Michel Bissière : “Le désir de culture et l’énergie qu’on y met dépendent autant d’un choix politique que des personnes qui le portent”
Michel Bissière est Conseiller régional délégué à la vie artistique et culturelle de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, Président d’ARSUD et Conseiller municipal d’Avignon. Très présent dans toute la région durant l’été en raison des nombreuses manifestations et festivals qui l’animent, nous l’avons rencontré durant le Festival d’Avignon dans sa ville, avec Thierry Pariente, conseiller culture au cabinet du Président de Région Renaud Muselier. Quelles sont les grandes orientations de la politique culturelle de cette région qui regroupe pas moins de six départements, les Alpes de Haute-Provence (04) les Hautes-Alpes (05) les Alpes Maritimes (06), les Bouches-du-Rhône (13), le Var (83) et le Vaucluse (84) ? Et comment faire vivre la culture dans des territoires très divers, d’Arles à Orange, en passant par Aix-en-Provence, Marseille, Toulon, Cannes ou Nice ? Réponses au moment où le second mandat d’Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon s’achève, laissant la place au Portugais Tiago Rodrigues.
Nous avons la chance d’habiter une région où la culture représente un vecteur de développement économique considérable, à la différence d’autres régions françaises. Je le dis d’autant plus volontiers que les deux présidents qui se sont succédé, Christian Estrosi et Renaud Muselier, qui a été réélu pour six ans en 2021 à la tête de la Région Sud, ont eu à cœur de faire de la culture une force et un atout principal. La Région Sud est une région très touristique, tournée vers la Méditerranée. Nous devons offrir aux touristes, qui viennent de tous les pays du monde, une offre culturelle qui soit entièrement liée à l’offre touristique. Notre région est aujourd’hui leader en Europe du point de vue du tourisme et de l’accompagnement des acteurs culturels. Nous avons la chance d’accueillir de grands festivals, Cannes pour le cinéma et Avignon pour le spectacle vivant et le théâtre qui constituent sans doute les plus importantes manifestations mondiales dans ces deux catégories. Dans le domaine du lyrique, Aix-en-Provence et Orange, “La Roque d’Anthéron” pour le piano sont des festivals connus mondialement, mais la région grouille de manifestations culturelles, comme “Vaison Danse” ou le Festival de Chaillol par exemple, qui attirent un public de tous horizons. C’est cet atout, cette spécificité que nous souhaitons encore renforcer.
De quelle façon ?
Nous travaillons avec les artistes, avec les lieux et avec les compagnies. Nous venons de conventionner plus de 80 établissements culturels et nous aidons régulièrement au fonctionnement des compagnies qui effectuent un travail sur le long terme afin de leur donner davantage de temps pour créer et tourner leurs spectacles. C’est une volonté de Renaud Muselier de rassurer les artistes et de les assurer de notre soutien dans leurs projets sur trois ans, et non tous les ans comme c’est le cas pour d’autres. Sur la première mandature de Renaud Muselier, le budget dédié à la culture a augmenté de 30% et atteint aujourd’hui 72 millions d’euros puisque depuis 2021, il a encore augmenté de 10%. Ce qui est loin d’être le cas dans les autres régions, si on en croit les acteurs culturels de la Région Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, qui connaissent des baisses drastiques de leur budgets. Au contraire, nous avons la volonté d’augmenter les budgets et de mieux accompagner les acteurs culturels. Notre double priorité est l’aide à la création et l’aide à la diffusion. L’aide à la création concerne en particulier les artistes émergents dont nous soutenons les projets, et l’aide à la diffusion l’accompagnement des compagnies à pouvoir se produire dans tous les départements du Sud, notamment les plus ruraux, dans les Alpes, qui ne possèdent pas de métropole culturelle. Ces deux axes, encouragement à la création et à la diffusion constituent un acte fort du Président Muselier.
Vous avez aussi mis l’accent sur le développement durable en lien avec l’artistique.
Dans la politique du Président Muselier, il y a un fil rouge qui est l’écologie. Notre région est pour moitié constituée de parcs naturels, de montagnes, de forêts et d’eau. En matière de culture aussi, il faut sauvegarder l’environnement et veiller à recycler les matériaux. Les aides aux compagnies sont ainsi conditionnées par le respect de l’environnement et l’éco-responsabilité. ARSUD, qui accompagne la transition écologique du secteur culturel par des formations spécialisées, a ainsi demandé à une centaine de compagnies d’imaginer des propositions écologiques fortes allant dans ce sens, qui seront valorisées dans un site internet évolutif Le Référentiel Ecolo mis en ligne à l’automne 2022. A titre d’exemple, 16 festivals, dont Avignon “In” et “Off”, “Marseille Jazz”, le “Cooksound” etc. ont signé une charte Drastic on plastic par laquelle ils s’engagent à supprimer progressivement le plastique jetable de leurs événements. Et plus de 30 autres, comme Aix-en-Provence, La Roque d’Anthéron, “Les Suds”, sont associés au sein du COFEES (Collectif des festivals éco-responsables et solidaires) avec au programme la réduction des déchets, des déplacements limités, la maîtrise des consommations, l’utilisation des matériaux recyclés, etc. Justement, à Avignon nous réfléchissons à l’utilisation des tracts en papier qui finissent huit fois sur dix à la poubelle et à la déperdition d’énergie comme les projecteurs qui restent allumés toute la nuit. Il faut faire évoluer les mentalités.
Quelle est la réalisation culturelle dont vous êtes le plus fier ?
C’est la “Grotte Cosquer-Méditerranée” qui vient d’ouvrir au public à Marseille et qui sera inaugurée officiellement, en présence du Président de la République, à l’automne. Comme pour la Grotte Chauvet, la société Kléber-Roussillon a été choisie pour reconstituer à l’identique ce site classé dans La Villa Méditerranée, conçue sous la mandature de Michel Vauzelle, mais qui représentait jusqu’à présent un gouffre financier. À 37 mètres sous la mer, à l’instar d’Henri Cosquer, le plongeur qui a découvert cette grotte dans les Calanques vers le Cap de Sormiou en 1985, on découvre à bord d’un caisson de plongée une galerie étroite de 175 mètres de long dans laquelle on peut admirer des trésors vieux de 30 000 ans : plus de 480 œuvres peintes ou gravées sur la roche, des pingouins, des cerfs, bouquetins et bisons, mais aussi des empreintes de mains ou des traces de foyers. À l’époque où cette grotte était fréquentée, la mer était à 120 mètres en dessous du niveau actuel, le rivage beaucoup plus éloigné et le froid beaucoup plus vif. Mais le site originel est aujourd’hui condamné en raison de la montée des eaux. La “Grotte Cosquer-Méditerranée” a donc pour vocation de devenir, à côté du Mucem, un lieu incontournable du tourisme national et mondial.
Qu’en est-il du Théâtre de Nice, en voie de destruction et qui suscite une vive polémique ?
Il faut bien comprendre que l’actuel Théâtre de Nice, en voie de destruction, a pris la place d’un ancien Théâtre de Nice qui avait déjà été détruit. L’actuel bâtiment était un lieu bunkérisé de marbre qui faisait obstruction à une grande promenade arborée de Nice. On peut en débattre et sa destruction fait l’objet d’une intense polémique politique et architecturale. Cette décision appartient au maire, Christian Estrosi, mais en contrepartie la mairie a rénové l’église des franciscains pour en faire une magnifique salle de théâtre de 300 places. Le lieu est très beau et est complété par la salle de La Cuisine, l’ancien théâtre éphémère de Carouge, une salle de 450 places qui est devenue la grande salle du Théâtre National de Nice située à l’ouest de la ville près du quartier Nice-Méridia. Une troisième salle va ouvrir près de la gare du sud et une quatrième qui naîtra dans 4 et 5 ans, ce qui permettra de faire vivre le théâtre de façon beaucoup plus diversifiée en touchant d’autres publics. Nous n’avons pas à juger la décision d’un maire. Ce qui nous importe est que l’offre culturelle offerte au public niçois ne soit pas diminuée ; elle sera même amplifiée avec cette dynamique et Muriel Mayette-Holtz, qui dirige ce Centre Dramatique National, joue pleinement son rôle dans la programmation.
Au Centre Dramatique de Marseille, il y a un changement de direction.
Oui, Macha Makeïeff assure en 2022 sa dernière saison à La Criée de Marseille après 11 années et laissera la place à Robin Renucci.
Est-ce que l’énergie et l’argent dédiée à la culture dans la Région Sud suffisent pour lutter contre les idées rétrogrades et conservatrices de certains élus d’autres partis ?
Je siège dans pas mal de commissions, culture, jeunesse, patrimoine, et suis conseiller communautaire du Grand Avignon. Je peux vous assurer que les élus de la majorité de l’exécutif régional n’interviennent jamais dans un choix politique ou artistique concernant la programmation. Les œuvres peuvent ne pas nous plaire, nous respectons le choix de la programmation quelle qu’elle soit. La particularité de la Région Sud est que nous avons face à nous une seule opposition, le Rassemblement National. Leurs représentants sont très critiques à l’égard de certains spectacles et films, notamment sur la thématique des migrants. Ils souhaitent connaître l’histoire et s’abstiennent ou refusent de voter. C’est pourquoi la grande majorité des artistes présents dans la Région Sud ont soutenu dès le premier tour la candidature de Renaud Muselier. Ils pouvaient être certains qu’il leur garantirait une liberté de création. Pour nous, la culture est une question de choix politique. On la défend, on la finance, on la met en avant en l’augmentant de 10%. Ce qui n’est pas du tout une obligation ! En dehors de l’aspect patrimonial, rien ne nous oblige à soutenir la culture dans la diversité. Aussi bien une jeune compagnie émergente au Festival d’Avignon Off qu’une grosse production au Festival d’Aix-en-Provence, une petite galerie du centre de Marseille et la Villa Noailles, centre d’art architectural, à Hyères. Mais outre la subjectivité des représentants des institutions régionales, nous considérons tous ici que la culture, que ce soit un festival de littérature, de musique actuelle, un groupe de folklore historique, est un service public qui est à défendre pour tous, une nécessité.
Cette politique culturelle profite-t-elle réellement à tous ? Au public aisé, cultivé, comme aux populations plus défavorisées, aux lycéens, on pense aux quartiers Nord de Marseille par exemple ?
Aujourd’hui, tous les grands événements, et vous avez évoqué le Festival d’Aix-en-Provence ou les Chorégies d’Orange, proposent une grille tarifaire accessible aux plus modestes. Naturellement, le Théâtre d’Orange avec ses 7000 places est plus accessible que le Théâtre de l’Archevêché d’Aix-en-Provence plus réduit, mais un étudiant ou une personne en recherche d’emploi peut acheter sa place pour un opéra à un tarif d’une place de cinéma. Notre travail d’accompagnement consiste aussi à pouvoir proposer à des familles en milieu rural, éloigné des grandes villes, un spectacle vivant, tous les deux à trois mois. On a recruté Robin Renucci au Théâtre de la Criée à Marseille, Tiago Rodrigues – élu à l’unanimité – à la direction du Festival d’Avignon, en raison de leur volonté d’ouvrir le spectacle vivant à tous les publics, aux jeunes, par des actions dans tous les quartiers, et avec le concours des « maisons de quartier » et des missions locales. Aujourd’hui, il n’y a plus une population qui fréquente les lieux culturels et une autre qui en est privée. Il est important de croiser les populations. Nous accompagnons des jeunes lycéens et apprentis au Festival de Cannes, au Festival d’Avignon ou aux Rencontres d’Arles.
Et ça marche ?
Bien sûr ! Ils sont présents et ils participent ! Tout ce qui permet des passerelles, des rencontres autour d’une œuvre constitue un rempart à la sauvagerie. Il faut essayer la culture. Comme dit Pascal, “l’homme est un roseau pensant”. Le Festival de musique de Chaillol entre les Alpes et la Provence dans les églises et les châteaux, le festival MusiQueyras qui invite des artistes de tous horizons dans le site d’Abriès-Ristolas ou le centre de Marseille, chaque manifestation culturelle est une tentative de réunion des populations. Notre pari, qui est une obsession, c’est que chaque habitant de la Région Sud ait accès au moins une fois dans son parcours à un événement culturel. La Tournée Mosaïque, initiée par ARSUD, propose dans sur tout le territoire des spectacles gratuits dans toutes les disciplines du spectacle vivant. Au Festival d’Avignon, le Portugais Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène de très haut niveau, propose de faire du festival un “café de l’Europe”, un lieu où se croisent les intelligences, les énergies de chacun. Son projet est avant tout européen, tourné vers le bassin méditerranéen. Il va réfléchir à une nouvelle approche des publics, une nouvelle manière d’aborder le spectacle vivant, ce qu’il fera avec Anne de Amézaga, directrice déléguée, qui a travaillé durant trente ans avec les publics du “Off” puis avec la compagnie de Joël Pommerat. C’est d’ailleurs la première fois que les collectivités territoriales, des financeurs, réunis en jury, participent, avec un représentant du Ministère de la Culture, au choix du directeur du Festival d’Avignon. Auparavant, cette décision était proposée par le Ministère et entérinée par le Maire d’Avignon. C’est une preuve de décentralisation.
Il semblerait que la crise de la COVID-19 ait considérablement modifié les pratiques culturelles ?
La crise sanitaire a créé une véritable fracture sociale. Les pratiques sont totalement modifiées. L’abonnement, l’anticipation ont moins cours. Les gens se décident à la dernière minute, ce qui complique beaucoup le travail des organisateurs. Dans cette optique, nous venons de mettre en place avec ARSUD un outil numérique, “Kiosque au Sud”, en lien avec les grandes institutions, qui permet d’acheter un spectacle à prix réduit à la dernière minute. En outre, nous réfléchissons à harmoniser le pass Culture national avec notre pass Culture de la Région Sud. Le désir de culture et l’énergie qu’on y met dépendent autant d’un choix politique que des personnes qui le portent.
Propos recueillis par Hélène Kuttner durant le Festival d’Avignon 2022
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