Maurice Renoma : “Ma curiosité est partout.”
Maurice Renoma : “Ma curiosité est partout.” |
Rencontre avec le précurseur de la mode yéyé, le styliste Maurice Renoma.
Il y a cinquante ans, vous ouvriez votre première boutique. Comment en étiez-vous arrivé là ? Parce qu’il faut bien faire quelque chose de sa vie ! Je travaillais chez mes parents, qui m’avaient donné une petite boutique de 20 m2. Mes parents étaient artisans, c’est comme ça que je suis arrivé dans le monde du commerce. J’ai appris la mode comme ça, sur des tables, en regardant les tissus de ma mère… Ensuite, j’ai trouvé la boutique de mes rêves, je suis entré et je suis reparti avec les clés ! Un peu par hasard…Mais comment s’est construit le chemin vers votre propre univers stylistique ? La mode, pour moi, c’était une façon d’inventer sa propre personnalité. C’est une histoire de sensibilité, de perception, d’observation… Je regardais les vêtements des gens, je me demandais ce qu’ils auraient aimé porter… L’étape suivante était de construire ma propre mode et de convaincre les gens de s’habiller de cette façon. Un par un, en commençant par des amis… C’était parfois difficile, il fallait avoir confiance en soi… Mais je croyais en ce que je faisais. À l’époque, la société était bloquée, les gens s’interdisaient certaines formes, certaines matières, certaines couleurs comme le vert ou le marron… On portait quatre couleurs ! Tout était à refaire. J’avais 18 ans, mon univers, et je suis arrivé à un moment où on avait envie de changement. Le contexte était là pour que je puisse proposer autre chose, mon propre univers. La jeunesse des années 60 était ouverte à la création, quelque chose de nouveau. À l’époque, on vivait 24 heures sur 24, les boîtes de nuit aussi étaient des lieux de rencontre…Vous avez contribué à forger la mode yéyé et habillé de nombreuses personnalités dont Gainsbourg… Oui, même si je n’aime pas le mot mode – c’est ce qui se démode. Le temps de la mode est très court. Alors que ce que je fais, c’est un parcours qui n’est pas daté. Gainsbourg, avec qui j’ai fait une campagne, était bien dans cet esprit. On cherchait des personnalités qui pourraient changer l’image de Renoma, nous avions aussi pensé à Dutronc, qui lui aussi était un copain… Gainsbourg était quelqu’un d’éternel, c’est quelque chose que peu de chanteurs peuvent représenter. Il fait partie des artistes qui resteront du XXe siècle en tant que personnage légendaire. Il avait le charisme, le sens de l’avant-garde. L’élégance, c’est l’attitude, plus que de porter tel ou tel vêtement.Pourquoi vous être mis à la photographie dans les années 90 ? J’agis par pulsions. Je me sers beaucoup du hasard. Un jour, j’en ai eu assez d’avoir des photographes qui ne faisaient pas ce que je voulais voir. Grâce à leur incapacité, j’ai trouvé plus facile de prendre l’appareil photo à mon tour que d’essayer de m’expliquer avec des gens qui ne me comprenaient pas. Là aussi, je voulais entrer dans la matière et faire des photos indémodables, qui ne soient pas datées. Dans ma série Mythologies, j’ai monté des photographies d’hommes avec celles d’animaux – qui ne sont pas très loin de nous, il suffit de les observer. Tout le monde a repris le sujet depuis. C’est bien, ça prouve que j’ai toujours cinq ou six ans d’avance. J’ai aussi mélangé hommes et femmes, puisqu’on a à la fois un côté masculin et un côté féminin. Mais avant, je mélangeais les vêtements d’homme et ceux de femme, les matières, les carreaux, les rayures…Vous avez aussi choisi d’ouvrir un lieu d’exposition… Avant, j’exposais chez les autres, et je n’arrivais pas toujours à faire ce que je voulais. Donc, de ma frustration, j’ai voulu faire quelque chose et ouvrir ce lieu. Ma curiosité est partout. Ma vie est prise par 10 000 choses différentes, toutes sont intéressantes – la personnalité comme la vache que je décide de photographier… La photographie m’aide à montrer ce qui m’étonne, ce que je ressens – comme récemment, San Francisco, qui est une ville extraordinaire…Quel regard portez-vous sur ces cinquante ans de carrière ? Je n’aime pas regarder en arrière. Commencer a été difficile, continuer aussi. Ce que je n’aime pas, ce sont les contraintes du merchandising, les obligations commerciales d’une entreprise… Je n’ai pas envie de refaire ce que j’ai déjà, je veux trouver de nouvelles idées, de nouvelles expositions, et continuer à faire connaître mon travail…Propos recueillis par Sophie Pujas [Visuel © courtesy Renoma Paris] |
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