Mathys Derboule : “Cessez de regarder et de conscientiser comme on vous le demande”
Rencontre derrière l’objectif avec Mathys Derboule, qui mêle le cinéma à la photographie dans une ambiance néon-expressionniste presque électrisante.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Un petit curieux aussi rêveur qu’émotif, pour le pire et le meilleur.
Pouvez-vous nous décrire rapidement votre parcours ?
J’ai passé mon enfance dans la peinture et la danse. L’image et le mouvement étant mes centres d’intérêt principaux je me suis donc rapidement tourné vers le cinéma, passion qui fut très entretenue par la cinéphilie de mon père. J’ai ensuite pu me procurer un peu de matériel au fil du temps et c’est ainsi que la machine fut lancée : travail sur la musique, le son, la caméra, la lumière, la mise en scène et surtout, la photo.
Pourquoi la photographie ?
Toujours dans une intention cinématographique, l’expérience de la prise de vue en photographie est pour moi un espace semblable au laboratoire d’un chercheur : les prises de risque esthétiques ou artistiques que je m’autorise dans ce domaine me permettent d’appréhender l’espace, la matière et même le temps, sous de multiples facettes. Ainsi, j’entretiens et améliore mon rapport avec le médium du film en tant que support artistique (mobile ou figé) et garde une proximité relative avec l’art de la peinture qui m’attire depuis le début.
Vos photos portent souvent sur l’architecture, pourquoi ?
J’utilise fréquemment l’architecture comme sujet photographique car l’équilibre qui en émane me rapproche des fondements qui constitue une œuvre d’art d’une manière générale : un objet architectural est composé d’une gestion des forces gravitationnelles, à travers les divers fragments qui la composent (toiture, mur, sol, pont, arche…). De cette diversité émerge une unité complète qui, selon moi, représente l’allégorie parfaite de ce que devrait être une œuvre d’art, c’est-à-dire une homogénéité organique : un tout composé de plein de différences, chacune unique mais agissant toutes dans une intention commune.
Une fois dans la rue, comment trouvez-vous votre inspiration ? Pouvez-vous nous expliquer le processus ?
Généralement, j’opère comme pour un tournage : sur le “plateau”, je suis là pour acquérir le plus de matières possible (sans négliger leurs qualités respectives), puis je rentre et je regarde les résultats sur l’ordinateur, j’essaie d’en lier certains, j’en jette d’autres, jusqu’à ce que le résultat me touche. C’est un peu comme aller mettre son linge à la laverie : vous venez avec votre lot de linge “sale”, vous introduisez le tout dans la machine, un peu de lessive, quelques gouttes d’adoucissant par-ci par-là, de la patience, et il en sort un résultat propre, lavé, prêt à être utilisé au grand jour. Il m’arrive aussi de photographier par pur plaisir, sans réelle intention ultérieure, et de découvrir plus tard le potentiel artistique de la matière récoltée.
Comment décririez-vous votre style ?
Je n’aime pas trop me conforter dans un style particulier, que ce soit dans l’intention artistique ou dans le processus de création en lui-même. Souvent, j’élabore une série de photos autour d’un thème (ex : Corps Décor = Corps Dé-corps = Corps des Corps) et la fois d’après, je vise l’extrême opposé afin d’assouvir toujours plus ma soif de curiosité. Mais si je devais généraliser mon désir en tant que photographe, je dirais qu’il relève d’une intention que je qualifierais de “néon-expressionniste” : le terme “expressionniste” renvoyant au désir de transformer, mettre en valeur ou styliser la réalité par la subjectivité du regard humain, le terme “néon” indiquant non seulement un désir de revisiter le mouvement expressionniste dans un contexte contemporain, mais surtout d’y ajouter la vision et les ambiances nouvelles qui se présentent à nous grâce aux nouvelles technologies et aux modes d’aujourd’hui (nouveaux styles de vie, nouveaux bâtiments, nouvel éclairage de rue et des monuments, moyens informatiques…).
Avez-vous un message à faire passer ou une intention particulière dans vos photographies ?
Cessez de regarder et de conscientiser comme on vous le demande, vous le ferez certainement mieux par vous-même.
Pensez-vous que vos photographies représentent le témoignage d’une époque ?
Tout à fait. Selon moi, les sujet abordés, le regard porté sur ces derniers et la manière de traiter les photos sont influencés par les mœurs et le contexte dans lesquels évolue l’artiste. Qu’il essaie de s’en détacher ou de les mettre en valeur, les circonstances de vie culturelles et sociétales de l’artiste restent un point de comparaison phare, même inconsciemment.
Vous travaillez aussi dans la réalisation cinématographique, pourquoi ce mélange ? Vous retrouvez-vous autant dans le domaine de la photo que dans celui du cinéma ?
Le cinéma étant un support qui utilise en moyenne vingt-quatre photos par seconde, le lien avec la photographie est donc évident. La photographie est d’ailleurs un moyen de mettre ce défilement d’images-mouvement en “pause”, ce qui permet une appréciation plus particulière du photogramme, plus atemporelle.
Quel projet vous a le plus marqué et pourquoi ?
Chaque projet contient une expérience unique, ce qui rend le choix difficile. Mais si je devais en choisir un pour l’instant, je citerais mes débuts en réalisation. Notamment lors de mes premiers festivals de film, les 48 Hour Film Project : c’est un festival où chaque équipe doit écrire, tourner et monter un film en seulement 48h, avec des thèmes imposés. Cette expérience a permis à mes collègues et moi-même d’apprécier l’osmose qui se dégage d’une équipe de tournage soudée. Certains s’enferment dans une pièce pour élaborer la musique du film, qui n’est pas encore tourné, jusque tard dans la nuit ; dans la pièce d’à côté on peut entendre les acteurs travailler leur texte, tandis que d’autres font de multiples allers-retours pour essayer les différents costumes et maquillages proposés. D’autres encore se réunissent dans une salle pour gérer toute la logistique du tournage afin de perdre le moins de temps possible, tandis que certains travaillent d’arrache-pied pour optimiser le scénario. Enfin, tout ce petit monde se réunit autour du film produit, après 48 heures de travail acharné, pour finalement apprécier la contribution de chacun dans une œuvre qui nous appartient tous. Cette expérience restera pour nous une merveilleuse aventure de groupe, en parfaite cohésion autour d’un même rêve qui devient réalité.
Des projets futurs ?
De nombreux projets sont encore à faire en effet, qu’ils se trouvent dans le domaine du cinéma, de la photo ou de la musique. Une fois que la machine est lancée, il est presque impossible de l’arrêter.
Plus d’informations sur le compte Instagram de Mathys Derboule.
Propos recueillis par Justine Mailhe
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