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Marine Macq : “Je veux replacer le jeu vidéo dans l’Histoire de l’art avec un grand H”

Jeanne Jousselin 5 février 2022
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© Marine Macq. Pixel Life Stories

Marine Macq, spécialiste du concept art des jeux vidéo, est galeriste, autrice, chroniqueuse, vidéaste et a encore de nombreuses autres casquettes. Suite à la sortie de son livre Imaginaires du jeu vidéo. Les concept artists français aux éditions Third Editions et Cercle d’Art, elle a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours, comment êtes-vous devenue spécialiste du jeu vidéo et plus précisément du concept art ?

Plus jeune je souhaitais faire du journalisme culturel, sans encore avoir l’idée de me spécialiser sur le jeu vidéo. Ce qui m’intéressait c’était l’histoire de l’art en général, même si j’avais une affection particulière pour la peinture. Après un IUT en communication journalisme, j’ai commencé une double licence à l’Université Rennes 2 : Histoire de l’art et archéologie d’un côté, Information-communication de l’autre. Je voulais avoir un pied dans ces deux secteurs pour lier expertise du milieu de l’art et écriture journalistique. En 2015, j’ai commencé un master en Histoire et critiques des arts. C’est dans ce cadre que j’ai écrit un mémoire de recherche sur la notion de paysage dans les jeux vidéo.

Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre la manière dont les paysages de jeux étaient construits, par qui, et pourquoi. Je voulais replacer le jeu vidéo dans l’Histoire de l’art avec un grand H. Malheureusement, ce sujet était très mal perçu dans mon université car jugé non légitime, et continuer mon travail de recherche dans ce cadre était difficile. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai compris ceci : je souhaitais poursuivre mes recherches sur ce domaine mais dans un cadre beaucoup plus libre !

Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?

Après mes études, je suis me suis lancée en tant qu’auto-entrepreneuse. En 2017, j’ai fondé Pixel Life Stories, ma propre galerie d’art en ligne. L’idée était de pouvoir exposer des artistes de l’industrie du jeu vidéo et de rendre disponibles des ressources sur le sujet, ressources auxquelles je n’avais pas forcément eu accès durant mes études. Depuis, j’ai notamment organisé l’exposition Lumi Imaginare à Bucarest, en collaboration avec l’Institut français de Roumanie (à l’occasion de la Bucharest Gaming Week 2021). Je travaille également dans l’événementiel spécialisé pour proposer à des institutions culturelles des masterclasses, des conférences ou encore des performances artistiques live, avec des membres de l’industrie du jeu vidéo et du cinéma. Enfin, j’ai été directrice de rédaction pour un magazine et suis désormais chroniqueuse dans l’émission Jour de Play sur Arte !

Qu’est-ce que le “concept art” de jeu vidéo ?

Le concept art est une discipline de design, appliquée à l’industrie du divertissement : cinéma, bande dessinée, parc d’attraction… et donc, jeu vidéo. Un “concept artist” est à la fois un dessinateur et un explorateur d’idées au service de cette industrie. C’est un agent de production qui arrive très tôt dans la création d’un jeu et qui va avoir pour rôle d’accompagner un studio dans la formalisation graphique de ses idées. Avant de lancer la production d’un jeu, il faut en effet réussir à poser les fondations visuelles et conceptuelles d’un univers. Le concept artist est précisément celui qui passe par l’image pour poser ces idées, et s’assurer que toutes les équipes d’un jeu vont aller dans la même direction. C’est donc une étape essentielle.

© Marine Macq. Pixel Life Stories

Fin novembre, votre premier livre sur le sujet est sorti. Comment cet ouvrage est-il né ?

Ce livre a été une manière de me délester de ce que j’avais toujours voulu faire en doctorat. Je l’avais donc en tête depuis un bon moment, sans trouver le temps de l’écrire. Il se trouve qu’en mars 2020, la pandémie et le confinement sont arrivés et toutes mes activités professionnelles ont été annulées ou reportées. C’était donc le bon moment pour commencer à contacter les artistes et les studios avec lesquels je souhaitais travailler sur ce livre. Par chance, il ont tous été très enthousiastes dès le début !

Comment avez-vous construit cet ouvrage, le premier qui met en relation les concept artists de plusieurs studios français ?

Ce livre n’est pas un ouvrage universitaire. C’est un vrai livre d’art dédié au grand public, à la fois initiatique et didactique, qui aide à la compréhension du concept art et qui permet d’avoir un premier recul critique sur la discipline. Le plus important pour moi était de donner la parole aux concept artists, souvent cachés par les rouages de l’industrie.

Le livre se construit en deux temps. D’abord, une partie théorique qui définit le concept art : son histoire, les grandes spécialisations du métier ou encore les étapes de création par lesquelles passent tous les professionnels du milieu, depuis la genèse d’une intention créative jusqu’à sa mise en application dans le moteur de jeu. Elle sert de grille de lecture pour la seconde partie : un ensemble de dix entretiens exclusifs avec des studios français. Pour chaque studio, un jeu de leur production a été sélectionné. Nous avons ensuite tenté de révéler la manière dont le concept art avait été utilisé pour chacun d’eux, afin de servir une direction artistique et une philosophie créative. Tout cela est accompagné de planches de concept art bien sûr, tels des mini artbooks. Ce qui m’intéressait avant tout, c’était de réunir les studios pour avoir une vision panoramique du secteur et favoriser une lecture comparative entre leurs approches de design.

© Marine Macq. Pixel Life Stories

Comment mettre en lumière, selon vous, le concept art dans une exposition ?

Je trouve que les expositions actuelles sur le jeu vidéo le vendent très souvent (peut-être trop) en pièces détachées. Quand elles ne mettent pas en avant l’histoire technique dans laquelle s’insère le jeu vidéo, les expositions nous proposent des parcours thématiques où chaque salle s’attarde sur une facette de la création vidéoludique : graphisme, game design, musique, narration, etc. Cela permet, certes, de créer des focales qui décortiquent le sujet pour les non connaisseurs, et il en faut. Néanmoins, à force de vendre le jeu vidéo en pièces détachées, on perd de vue la manière dont les pièces s’assemblent pour donner naissance à un jeu.

Ce qui m’intéresse lorsque j’étudie le concept art, c’est comprendre comment l’image est construite pour servir une narration ou un système de jeu de manière organique. En somme, je m’intéresse à l’emboîtement des pièces du puzzle !

À Bucarest, j’ai tenté de réaliser une exposition qui révèle davantage cette même fonctionnalité de l’image jeu vidéo. Chaque peinture conceptuelle exposée est en effet accompagnée d’un descriptif détaillé de sa direction artistique, mais aussi d’un commentaire d’œuvre de son auteur, celui-ci expliquant ses intentions créatives et outils utilisés pour composer son image. Évidemment, une partie interactive de l’exposition permet de jouer aux jeux sélectionnés pour avoir un aperçu du avant/après !

Image tirée du jeu Journey © Marine Macq. Pixel Life Stories

Enfin, si vous aviez un jeu vidéo intéressant à proposer du point de vue du concept art, quel serait-il ?

Je dirais que Journey est un jeu très intéressant de ce point de vue-là. Les créateurs voulaient en faire un jeu humaniste qui évincerait toute forme de violence ou de compétitivité entre les joueurs. Ils voulaient une œuvre qui ait du sens et qui réunisse les gens plutôt que l’inverse. Le studio qui l’a produit, Thatgamecompany, a une approche de design unique en son genre : ils créent des sortes de cartographies papier en notant les émotions qu’ils veulent transmettre aux joueurs, puis réfléchissent à un langage graphique, mécanique et sonore capable de les sublimer. Les concept arts sont au service de l’émotion, et les étudier est donc très intéressant pour un chercheur : la simplicité du character design est pensée pour favoriser l’identification du plus grand nombre, quelle que soit leur culture ou histoire, et les environnements du jeu eux-mêmes empruntent à l’esthétique romantique du sublime. On fait en sorte que notre silhouette soit minuscule à l’écran, comme écrasée par les forces de la nature… C’est une superbe réalisation qui met en avant le rôle du concept artist !

 

Imaginaires du jeu vidéo. Les concept artists français aux éditions Third Editions et Cercle d’Art, disponible dans vos librairies. 

Propos recueillis par Jeanne Jousselin

 

 

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