Lor-K : “Je souhaitais faire revenir la narration dans l’art”
Depuis bientôt 10 ans, Lor-K parcourt les rues de Paris à la recherche d’encombrants. Lor-K c’est un peu la femme qui murmure à l’oreille des objets en leur donnant une seconde vie. La street artiste nous livre en exclusivité les premières images de son nouveau projet, “Or Noir”.
Tu viens de commencer un nouveau projet, “Or Noir”. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Pour “Or Noir”, j’avais envie d’exploiter davantage la vidéo. Le fait de travailler en extérieur suscite forcément des rencontres et des interrogations de la part des passants. Je me suis dit qu’il serait intéressant de réaliser un projet où chacune des actions serait enregistrée et de publier une vidéo qui retracerait l’intervention. “Or Noir” c’est un mix entre deux anciens projets : “Objeticide” et “Peinture fraîche”. En 2012, avec “Objeticide”, j’ai réalisé une série de meurtres d’objets. À l’époque, j’avais trouvé intéressant de figurer la mort des objets avec une tache de sang. En 2010, pour “Peinture fraîche”, je peignais en doré des bidons en plastique que j’avais trouvés, j’y faisais couler une tache noire et y apposais un panneau “peinture fraîche”.
Quelle est ta démarche avec ce nouveau projet et la signification derrière cet “Or Noir” ?
Avec “Objeticide”, je cherchais des objets intacts et c’est moi qui les cassais. À l’inverse, avec “Or Noir”, je ne cherche que des objets qui sont déjà fracturés. Étonnamment, c’est plus difficile à trouver parce que la plupart de ceux que je vois dans la rue n’ont généralement pas trop de blessures. C’est plus pour une question d’esthétique qu’il se sont retrouvés dehors. À partir de là, j’ai pensé utiliser ces objets cassés et les mettre en scène comme des contenants faisant couler une sorte de liquide qui représenterait leur richesse. Ces objets sont censés symboliser notre confort et notre richesse. C’est assez paradoxal, le fait de passer notre temps à vouloir acquérir tous ces objets et en même temps, avoir des rues remplies de ces mêmes objets parce qu’on n’en veut plus. Les faire dégouliner c’est réfléchir au fait que si à chaque fois qu’on ne prenait pas soin d’un objet il se mettait à dégouliner, on n’aurait peut-être pas le même rapport à eux. Le fait d’utiliser du noir, c’est aussi le rapport à la marée noire. L’objet que l’on jette, qu’on oublie, et qui finalement peut devenir le réel déclenchement d’une catastrophe. Si on retrouvait tous ces objets jetés devant chez nous, peut-être qu’on ne les percevrait pas de la même manière.
Tu abordes le problème de la surconsommation à travers tes différentes réalisations. Quelle évolution observes-tu en 10 ans d’expérience ?
L’évolution n’est pas perceptible. Par exemple, un projet comme “Objeticide” qui date de 2012, j’aurais très bien pu le réaliser aujourd’hui. Esthétiquement et au niveau de son impact visuel, je le trouve toujours aussi fort. Comment un projet, même 8 ans après, aborde des problématiques auxquelles nous sommes toujours confrontés ? J’ai l’impression qu’on n’est qu’au début de cette ère de surconsommation. Nous sommes tellement peu d’artistes à travailler avec les déchets que je me dis qu’il y a encore plein de choses à faire. On est dans une production de masse qui est globalisée. Je m’en suis rendue compte avec le projet “Eat Me” qui a vraiment fait écho mondialement. J’ai été étonnée de voir un simple objet comme le matelas devenir si fédérateur. Je pense que plus ça va avancer, plus il y aura d’articles qui s’intéresseront aux déchets mais la prise de conscience n’est pas encore là. En tant que citoyen, même si on a la volonté de mieux consommer, la société nous impose quand même une certaine manière de consommer. On est le consommateur final, on se retrouve en bas de l’échelle, dirigé par le marketing, sans avoir vraiment notre mot à dire.
Comment se déroule une journée dans la rue avec toi quand tu pars créer ?
J’aime bien partir tôt le matin comme j’ai la contrainte du jour pour mes photos et mes vidéos. Je rassemble mon matériel et je pars à la recherche de l’objet désiré. Une fois trouvé, ça devient un terrain de création, comme une sorte d’atelier en pleine rue qui me permet d’être en connexion avec tout ce qui se passe. Le fait d’être en plein jour change les rapports avec les passants. Il arrive parfois que des gens du quartier, partis faire leurs courses, reviennent et m’accompagnent pendant une heure. Ça devient une sorte de moment convivial sur le trottoir et crée un temps d’arrêt où l’on peut se rencontrer autour de la création, discuter, échanger. Une fois que j’ai fini, je prends des photos, j’abandonne la sculpture et je rentre chez moi. À partir de là, je vais concrétiser le projet. Si je m’arrête seulement à ce que je fais dans la rue, le projet n’a pas vraiment d’existence. Si je ne traite pas les photos, que je ne monte pas mes vidéos et que je ne partage pas mon contenu, il ne reste finalement pas grand chose du projet. C’est important pour moi de faire mes publications et de décrire toute cette expérience. C’est ce travail d’archivage qui fait vivre ma pratique. Sans cela, très peu de gens connaîtraient mon travail. La plupart de ceux qui me suivent n’ont jamais vu mes sculptures en vrai. Je signe rarement mes projets mais maintenant que j’ai plus de visibilité, les gens m’identifient plus facilement. On est tellement peu à poser dans la rue que dès qu’il y a une sculpture, le lien se fait beaucoup plus vite. C’est pour cela aussi que c’est bien de se défaire de la signature. Si c’est poser dans la rue juste pour faire de la publicité, ça ne m’intéresse pas. Je trouve ça plus sympa d’être reconnue pour son style.
Le travail que tu réalises en tant que street artiste est éphémère. Quel est ton sentiment sur le fait de savoir que tes sculptures sont amenées à disparaître ?
C’est ce qui rend mon travail poétique. C’était aussi ma volonté de pouvoir faire des sculptures vraiment imposantes dans la rue. Quand je faisais des tags et des pochoirs, je m’ennuyais. Je me disais que ça faisait déjà 40-50 ans que les gens faisaient ça. Maintenant, il y a tellement de choses sur les murs que ça se mélange avec la publicité. J’avais envie de décrocher du mur et de proposer quelque chose en volume. C’est aussi une manière pour moi de me déposséder de la création parce que je sais qu’elle va être ramassée. Avec les sculptures, on retrouve l’essence première du street art, où le travail est amené à disparaître. L’intérêt ce n’est pas seulement la sculpture en soi mais c’est aussi faire revenir la narration dans l’art, en apportant une histoire derrière l’oeuvre. Ce qui intéresse également les gens, c’est de savoir ce qui ce passe dans la rue. Je le vois sur les réseaux sociaux, où l’on me demande souvent comment réagissent les passants. Il y a aussi une part de jeu ; je trouve intéressant de me dire que je peux laisser un objet qui pourra être ramassé, comme pour “Eat Me” par exemple, où personne ne t’empêchait de ramener les donuts ou les sushis chez toi. Ce qui fait la force de l’art de rue, c’est que chacun puisse, après la création de l’artiste, se réapproprier ce qui a été fait. C’est ce qui rend l’art ouvert à tous, sans distinction.
Y a-t-il un pays ou une ville en particulier où tu aimerais parcourir les rues pour créer ?
Je suis très attirée par les pays d’Afrique et d’Amérique latine ! Ces pays défavorisés, où la population vit dans des conditions extrêmement précaires, n’ont pas du tout le même rapport aux déchets. Ils sont envahis par les déchets et n’ont donc d’autre choix que de s’en occuper. J’aimerais confronter ma pratique à ces pays. En Afrique par exemple, les déchets deviennent une richesse ; certaines personnes dorment dedans et les protègent car c’est aussi ce qui va leur permettre de manger. Ce sont les pays les plus touchés par cette crise du recyclage, là où l’on expédie tous nos déchets, qui m’intéressent le plus : voir tout ce qu’on leur envoie, comment eux le vivent et surtout comment je pourrais l’interpréter, en tant que française qui se retrouve, d’un coup, confrontée à tout cela.
Vous pouvez suivre Lor-K et son projet “Or Noir” sur Youtube et ses réseaux sociaux, Facebook et Instagram.
Propos recueillis par Camille Bonniou
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