Les dieux et la danse : “Contes des sages qui dansent” aux Éditions du Seuil
Les contes sont le fondement de nos civilisations, et sur tous les continents on en trouve où les héroïnes ou héros se mettent à danser. Cette énergie vitale traverse des récits guerriers, doux, amoureux, philosophiques ou espiègles. Céline Ripoll les réunit dans un volume plein de charme et de sagesse, paru aux Éditions du Seuil.
Les contes du monde entier sont ici rassemblés sous l’égide d’une citation de la chorégraphe Susan Buirge : “Fais attention à ce que tu danses, car ce que tu danses, tu le deviens.” En effet, danser c’est se transformer et accéder à une part de magie en soi. Comme pour le prouver, Céline Ripoll a consulté une longue liste d’ouvrages consacrés aux contes, récits et mythes, au sacré, au théâtre et aux danses des cultures du monde, fouillant les terres littéraires du monde entier – et surtout les bibliothèques – à l’affût de toutes ces figures légendaires qui dansent pour retrouver la lumière, pour guérir, pour apaiser les dieux, communiquer avec le royaume des ombres, trouver la liberté, ou bien fêter l’union avec la nature, et notamment avec les oiseaux.
“Ta danse est ta bannière !”
Céline Ripoll est une spécialiste passionnée des cultures d’Océanie. Elle vit sur l’Île de Pâques et avait déjà recueilli et publié, aux Éditions du Seuil, les Contes des sages de Polynésie, de Papouasie-Nouvelle-Guinée et des Aborigènes. Mais elle est aussi conteuse, et danseuse ! Et on sent l’amour des cultures-racines et de la danse dans ce volume qui est presque un livre-objet, richement doté de reproductions de gravures, peintures ou photographies historiques, issues de toutes les civilisations. Aussi, ces contes nous font comprendre qu’il n’y a ni peuple ni individu qui n’entretienne pas un lien ombilical avec la danse : Mexique, Irlande, Japon, Pyrénées, Perse, Inde, Italie, Sénégal, Chili, Australie, Chiapas, Polynésie…
Dans un récit fondateur, on ne danse pas pour soi-même mais pour accomplir le destin de sa communauté ! Aussi, en Amérique du Nord, chez les Objiwés, on souligne la force résurectionnelle de la danse : “Ta danse est ta bannière, car on n’arrête pas un peuple qui continue de danser”, d’autant plus que “Le soleil a dansé sur l’horizon, puis a montré le chemin au mal pour qu’il disparaisse.” En Inde, le Raja de Kottarakkara s’adresse au dieu Krishna : “Je dois me battre à armes égales, et ce n’est pas par la guerre que je me vengerai, mais bien par la danse.” Au Japon, Uzume rappelle : “Danser est une naissance, danser purifie l’âme…” Au Myanmar, la Danseuse du royaume des paons se trouve un fiancé. C’est Chaushutun qui voit “ses jambes se transformer en pattes, ses bras en ailes et ses habits devenir des plumes de la plus grande beauté.” Pas triste pour autant, “il fit la roue pour Namarona et dansa jusqu’à la tombée de la nuit.”
“Devenons la danse et nous serons libérés de tout !”
Par la danse, c’est un autre monde qui s’ouvre, avec les Selk’nam de Patagonie : “Les femmes qui avaient déjà le pouvoir de donner la vie, qui connaissaient tous les remèdes, les chants, les danses, pouvaient désormais décider de la mort aussi.” Pourtant, cette histoire se termine dans la violence. Dans l’ensemble cependant, les danses des guerriers et des montreurs d’ours, le haka ou autres joutes de testostérone sont présents, mais largement minoritaires. La danse, c’est la vie. Logiquement, les femmes ont ici la parole. On danse pour guérir, pour l’enfant ou pour l’oiseau.
Brolga, jeune “oiselle danseuse” pour laquelle la métamorphose en une grue australienne (brolga, justement) signifie qu’elle épouse sa destinée, appartient au peuple Mutti Mutti. Jeune fille aborigène, elle regardait les hommes danser au bord du lac. En se mettant à danser, elle s’empare donc d’une pratique réservée aux hommes (“Les femmes ne dansent pas, les femmes non, mais Brolga si”) et suggère à l’humanité : “Il y a un danseur en chacun de nous, devenons la danse et nous serons libérés de tout.”
Mais surtout, que l’on ne danse jamais par vanité ! Les Inuits le savent, quand ils se rappellent l’histoire du hibou Ookpik qui dansa pour se vanter après la prise d’un bon lemming lequel, libéré des griffes, “prit la poudre d’escampette”. Et madame de s’énerver face à tant de légèreté : “Ta danse d’orgueil nous a privés d’un bon souper !”
Alors, ne nous privons pas de ce livre et de ses réjouissances, avant ou après un bon souper !
Thomas Hahn
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