Light Friday : “On est des influenceurs sans le côté téléréalité”
Light Friday est un collectif de jeunes créateurs qui nous parle de leur projet à l’occasion d’une de leurs animations au Printemps à Tours.
Nous sommes au Printemps pendant le Black Friday. Notre projet c’est de venir pendant cette période et de retravailler des invendus. On est venu faire une sélection de vêtements au préalable et on a récolté un stock de vêtements qui avait été redonné par la clientèle du Printemps. Une partie de ces stocks ira ensuite au Relais 37. Nous, on vient avec notre savoir-faire recréer des “designs” comme on a l’habitude de le faire et on le fait sur place avec nos machines, afin d’apporter aux consommateurs du Black Friday la conscience que la conception d’un vêtement demande du travail. L’objectif c’est la transparence, grâce à laquelle on voit par qui et comment sont faits les vêtements Light Friday. Parce que la liste noire des marques qui utilisent la main-d’œuvre des Ouïgours est en train de s’agrandir de plus en plus. Avec les grandes enseignes où l’on peut retrouver des vêtements à moindre prix, les gens oublient qu’un vêtement ça demande du travail pour être fabriqué et que c’est quelqu’un qui l’a fait avec ses mains.
On essaye aussi de montrer que finalement nous, en tant que jeune entreprise et jeune collectif, on arrive à faire un petit peu évoluer les mentalités des grandes enseignes. Et que même certaines d’entre elles, prennent le pas vers une nouvelle direction pour amener leurs clientèles à consommer autrement. On aime bien dire que les gens votent pour le monde de demain par leurs actions d’achat et les gens n’en ont pas toujours conscience.
Le projet Light Friday ça vient d’où ? Comment ça vous est venu ?
On est trois parce qu’il faut un cœur pour exister mais en vrai on est cent avec tous ceux qui nous entourent. Chacun y apporte sa part sans forcément qu’ils en aient conscience.
On a une expression qui dit c’est “ligit”, c’est une contraction de Light Friday qui réunit les acteurs majeurs dans le projet avec qui on essaye de travailler le plus possible, il y a des photographes, des musiciens, des artistes, des sculpteurs, des plasticiens, des peintres…
Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Light Friday. Au départ, c’est un constat d’urgence et une réaction face à l’industrie de la mode. Ça a commencé quand on se retrouvait pour faire les brocantes et se faire des petits styles sympas. À partir de là, très vite on a été allergique aux grandes enseignes parce que les pratiques mises en place on les trouvaient “dégueulasses”. La cerise sur le gâteau ça a été le Black Friday, avec des -80% partout, ça ne voulait plus rien dire. Concrètement Light Friday c’est l’antithèse du Black Friday sur tous les points, on ne va jamais faire de soldes parce que tous nos prix sont déjà soldés en permanence, on vend nos pièces au prix qu’elles coûtent vraiment. On ne veut pas acheter cette veste parce qu’elle est a -80%, on veut acheter cette veste parce qu’elle nous plaît.
C’est aussi le moment de réfléchir à sa consommation et choisir de valoriser une pièce “upcyclée” chez Light Friday, si ça se trouve la pièce va coûter aussi chère mais tout l’argent va revenir aux gens qui l’on conçu et pas 23 centimes pour le transport, 45 centimes pour le grand groupe, etc… On essaye que les gens prennent conscience des travers de l’industrie du textile et de la mode et de ce qu’il y a réellement derrière un Black Friday car on a l’impression de faire des affaires mais on n’en fait pas réellement. La plus grosse industrie, la plus polluante c’est l’industrie du textile et on s’est vite rendu compte qu’on était entouré de stock de textile énorme. On en avait marre des industries du textile et des Black Friday avec des marques qui produisent des collections juste pour l’occasion. Il faut qu’on agisse !
On sait qu’on ne va pas pouvoir agir à une échelle mondiale mais on va pouvoir se regarder dans la glace. Et donc Light Friday c’est le projet de devenir acteur.
Est-ce que vous pouvez nous présenter le concept de votre marque ?
Déjà, pour bien répondre, on n’est pas exactement une marque de vêtement mais plutôt une entreprise ou un collectif parce qu’on a divers champs d’actions. En tout cas, on essaye de ne pas se qualifier en tant que marque parce qu’on essaye d’évoluer au-delà de juste faire des vêtements et les vendre. Notamment à travers plusieurs ateliers en association avec des organismes comme l’université François Rabelais à Tours, l’école de la seconde chance à la Riche et le Printemps à Tours. Ce sont des ateliers où l’on essaye de faire passer un savoir-faire, ou alors, quand on ne peut pas comme ici au Printemps, on essaye de faire passer un message. Aujourd’hui, grâce au média et grâce à Internet, on va pouvoir s’exprimer et mettre en place des collaborations. C’est pour ça qu’on ne va pas vraiment être une marque mais plus un collectif qui va être moteur d’idées.
On fait des constats, on a notre opinion et après parce qu’on a des savoir-faire que ce soit dans le textile, dans l’imagerie, dans la production, dans la réalisation ou encore dans le stylisme, on va pouvoir dire des choses. Aujourd’hui, on trouve que c’est un peu péjoratif d’être une marque de vêtements, parce que c’est facile finalement de faire de beaux vêtements, j’ai l’impression que tout le monde peut le faire. Mais le faire en amenant des messages forts, des prises de position sur le secteur dans lequel on est, ce n’est pas pareille. On essaye de graviter autour de plein d’autres secteurs qui nous entourent et qui nous inspirent dans ce qu’on crée, que ce soit la musique, les arts appliqués, etc…
Le terme approprié ça serait un collectif avec un rayonnement professionnel on a des statuts on se fait rémunérer pour notre activité, mais on essaye d’avantage d’avoir un impact moral sur les pratiques et sur les constats qu’on fait plutôt que vulgairement vendre des vêtements ou des services. On essaye vraiment de véhiculer quelque chose en premier chez les gens, et puis maintenant, sachant qu’on a une visibilité locale, on essaye de le faire directement avec des groupes, comme au Printemps aujourd’hui.
Comment vous arrivez à trouver vos matériaux ?
On a des partenaires qu’on a réussi à obtenir avec le temps, il y en a quelques-uns qu’on ne peut pas citer, mais sinon il y a la Croix-Rouge à Tours et Active à La riche. Grâce auxquels on récupère essentiellement des vêtements déjà existants sur lesquels on va soit faire de la customisation et incorporer de la matière, soit incorporer des “designs” via sérigraphie ou flocage. Ensuite, il y a un troisième partenaire, mais qu’on ne peut pas citer. C’est une entreprise qui fait des tests sur du textile et qui nous permet de récupérer des matières de qualité qui sont normalement destinées à des grandes marques. On les sauve avant l’incinération, ça nous permet d’avoir des grandes longueurs de tissus qu’on peut venir patronner et travailler pour faire de la conception de A à Z.
On a 95% des matériaux qu’on utilise qui sont récupérés et les 5% restants correspondent à des pressions ou des zips, que quelquefois on va devoir acheter et encore on arrive à se débrouiller. Si on achète 20 pressions par mois je crois que c’est le maximum.
Est-ce que vous pouvez expliquer le processus de fabrication d’une de vos créations ?
Comme on récupère la matière, on a inversé le processus de création. On a les matières et ensuite on imagine les pièces en fonction des matières qu’on a afin d’utiliser le plus de matière possible. Le tissu nous inspire, il parle et nous on doit trouver la manière de le faire s’exprimer et lui trouver sa forme finale.
Ça nous arrive aussi de passer par des artistes qui ont déjà des directions artistiques définies et nous on l’utilise pour s’inspirer. Quand on collabore, ce ne sont pas des vêtements qui sont mis sur cintre et qui vont attendre et attendre… Ce sont justement des pièces qu’on crée directement pour une œuvre, qui sont portées, qui sont visualisées. Il y a un échange, une sorte de symbiose qui se passe avec les artistes, et c’est pour ça qu’on aime autant la collaboration, parce qu’il y a un rapport direct avec nos créations. Ce n’est pas une pièce qu’on a conçu il y a un mois, qu’on va coudre deux mois après et qui va être portée six mois après. En une semaine, le vêtement est imaginé, fait, porté, en image. Après, il y a celui qui va être derrière l’appareil qui va venir embellir la pièce. On trouve que le processus est beau, c’est magique, c’est ce qui nous plaît.
Nos vêtements ce sont essentiellement des pièces uniques tout simplement parce que ce sont des créations. Je vois souvent nos pièces comme des œuvres d’art parce qu’on s’exprime à un moment donné et on dit ce qu’il nous passe par la tête. C’est un processus créatif.
C’est pour ça qu’on ne va pas pouvoir proposer de collection automne-hiver parce qu’on n’en a pas la volonté. On s’émancipe du système, on veut rester inclusif à tous les niveaux. Entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud ce n’est pas la même température au moment où l’on sort le vêtement, et puis on ne veut pas faire de différences entre masculin et féminin, entre enfant et adulte, entre over size et straight. En fait,on veut faire des vêtements.
Quand une personne achète l’une de nos pièces, elle la fait vivre, elle la tue si elle veut, si elle a des compétences elle peut même la retravailler, et elle peut la revendre à quelqu’un d’autre après. C’est aussi pour ça qu’il n’y a pas de stock sur le site. En effet, quand on achète l’un de nos vêtements sur le site, nous ce qu’on propose c’est une coupe et c’est seulement à partir du moment où le vêtement est acheté, qu’on va se mettre à le produire. Peut-être que c’était la pièce qu’il y avait sur la photo, si elle n’a pas encore été vendue mais si ce n’est pas le cas, il va falloir qu’on la reproduise à la bonne taille. Elle ne va surement pas avoir la même allure, mais ça sera la même coupe, il y aura des petites similitudes si on retrouve à peu près les mêmes couleurs. Sinon ça ne sera pas forcément les mêmes matières parce qu’à ce moment-là on n’aura pas forcément les mêmes tissus en stock. Même si on voulait faire de la série on ne pourrait pas donc ce sera toujours de la pièce unique ou des micro-séries.
Vos ambitions pour l’avenir ?
Pour l’instant, on agit essentiellement sur du vêtement parce que tout le monde en porte donc on peut toucher un large public. Mais de plus en plus on essaye de se diriger vers la musique et d’évoluer vers la transmission de savoir-faire. Soit directement dans la couture ou l’impression textile, parce qu’il y a plein de gens qui ne porte pas un vêtement tout simplement parce qu’il ne leur plaît plus et mettre un logo ou faire une impression c’est un moyen de changer la donne. Donc c’est quelque chose qu’on aimerait vraiment bien mettre en place de manière associative ou professionnelle, on ne sait pas encore. Le but c’est d’apprendre aux gens à se débrouiller tout seuls. On montre les gestes et après c’est à eux de faire. On a appris tout seuls à coudre mais je ne dirais pas qu’on est autodidacte parce que je trouve que ce mot est plus juste pour l’artisanat. Après, c’est un débat qu’on a souvent, est-ce qu’on fait de l’artisanat ou de l’artistique ?
Et en fait ce sont les deux. On reprend effectivement des méthodes artisanales pour faire de l’art. On fait de la couture mais on n’a pas simplement la volonté de faire un vêtement qui tient chaud et qui couvre les parties, on veut faire un vêtement dans lequel tu vas pouvoir t’exprimer.
Comment voulez-vous qu’on se sente en portant vos vêtements ?
On aimerait que la personne se sente elle-même, on n’aimerait pas qu’elle se sente d’une manière spéciale parce qu’elle porte du Light Friday on laisse ça à « Prada, a Gucci et Versace » et nous on prend « l’humain ». On a mis du fil dans de l’épaisseur de tissu, on n’a pas la légitimité d’avoir le désir que les gens se sentent différemment quand ils portent nos vêtements.
Il y a une volonté de « consomme-acteur » c’est-à-dire de consommer intelligemment, et de savoir dans quoi on place son argent. Il y a une manière de consommer quand on va acheter du Light Friday, on veut que les gens se sentent intelligent et qu’ils flattent leurs égaux en se disant qu’ils ont fait une bonne action.
On peut donner des avis politiques mais on ne se place pas politiquement, culturellement, socialement. On n’est pas des riches, on n’est pas des pauvres, on n’est pas à droite, on n’est pas à gauche… je ne vais pas dire qu’on est irréprochable, mais on fait de notre mieux. On n’a pas la prétention de se dire écologique, on dit qu’on peut faire mieux. On n’a pas l’ambition de dire qu’on fait de la mode, on s’en fout de la mode on ne respecte pas les collections. On n’a pas la volonté de dire qu’on est des artistes, on fait de l’artisanat aussi. Donc en fait on n’a pas volonté de dire non plus : “Achetez Light Friday vous allez sauver la planète” parce que c’est faux. En fait, nous trois on ne va pas pouvoir changer le monde mais dans notre élan on se dit qu’en diffusant des idées comme les nôtres, on peut amener d’autres personnes à agir autrement. Finalement, ce que l’on recherche, c’est que d’autres personnes soit inspirées et se dise : “C’est une bonne idée ! Moi aussi je peux faire comme ça”. Si on est de plus en plus à agir autrement, on pourra peut-être le sauver le monde dans lequel on vit. On est des “influenceurs”, on veut faire changer les mentalités mais on est des influenceurs sans le côté “téléréalité” et on ne vend pas de “blanchissement dentaire” ni de “codes promos sur Snap”.
Propos recueillis par Salomé Terrien
Articles liés
MINIATURE : l’expo événement pour les 10 ans de la Galerie Artistik Rezo
La galerie Artistik Rezo et FIGURE s’associent pour présenter la troisième édition de l’exposition MINIATURE : un événement unique en son genre à l’occasion des 10 ans de la galerie. Cette édition réunit plus de 80 artistes français et...
Justice livre un show explosif et festif à l’Accor Arena de Paris Bercy
Ce mardi 17 novembre 2024, après une première partie orchestrée par Pedro Winter, boss du label Ed Banger, Justice a électrisé une salle pleine à craquer, première date des deux soirées prévues à Paris, chez eux, à domicile. La...
Marion Mezadorian pète les plombs au Théâtre Victor Hugo
Avec son précédent “one woman show”, Pépites, Marion Mezadorian a défrayé la chronique. Dans la même veine, celle d’une performance scénique où l’humour le dispute à l’émotion, cette nouvelle création donne la parole à celles et ceux qui craquent...