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Les tatoueuses de Genève : Frédérique Nierlié aka Fifille (3/3)

Titou Granier 18 mai 2020
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© fifififififififififififififi

Fifille va, elle, nous transporter avec une poésie touchante et marginale dans un univers où les lettres abondent. L’histoire de sa vie va la mener à un art brut et spirituel. Mais quel chemin a-t-elle suivi ?

Peux-tu te présenter, parler de ton parcours ?

Je m’appelle Frédérique Nierlé, mais mon surnom d’artiste est Fifille. J’ai 30 ans, suis Genevoise et ai fait des études de lettres et de cinéma. Je suis passionnée par la littérature, par l’art, le voyage, la psychologie, la nature, les émotions, la marginalité.

Quel est ton parcours dans l’art ? Ne fais-tu que du tatouage ?

Je suis totalement autodidacte. Mis à part mon bachelor, je n’ai pas étudié l’art dans une école, car, d’abord, je n’en ai pas eu l’occasion, puis, parce que je considère l’art avant tout comme une thérapie plus que comme un métier ou un but en soi. J’ai commencé à créer en 2011, suite à une période noire. Mes carnets de l’époque étaient très sombres et je ne les montrais pas. Je suis partie en voyage en Amérique latine, et j’ai redécouvert les couleurs. Vives, vives comme le soleil, la mer, les arbres. Là-bas j’ai découvert le tattoo, j’en ai fait 12 en l’espace de 6 mois, ma mère a frôlé la crise cardiaque. Puis, un jour, un ami m’a proposé de décorer les murs colorés de son hôtel en Équateur. C’est sur ces murs que Fifille est née. De retour en Suisse, j’ai continué à dessiner, à faire des murs. L’écriture est revenue avec le tatouage, plus tard. Maintenant, je ne dessine plus beaucoup, je tattoo mais surtout, j’écris. J’aimerais énormément publier mes poèmes, je crois que je suis enfin prête. J’ai mis presque 10 ans à assumer ce que j’écris, et surtout, ce que je ressens. Pouvoir le publier, ce serait un statement de plus, une manière de renaître au monde, telle que je suis. Le papier est quelque chose de noble pour moi, mais il y a quelque chose de très intime, presque de sacré, à écrire mes émotions sur la peau des gens, pour la vie.

© fifififififififififififififi

Comment es-tu arrivée à ce métier ?

Je venais de démissionner d’un job qui m’avait littéralement drainé toute mon énergie, je traversais une période de vide, vide d’intérêt, vide d’espoir, vide d’envie. J’errais. Puis j’ai rencontré Ginevra Mandelli. On s’était rencontrées à un évènement aux Grottes à Genève, à l’occasion duquel j’avais invité une dizaine d’artistes femmes à redécorer les murs d’un bâtiment. À l’époque, elle se mettait tout juste à tatouer. Comme elle n’avait pas de lieu où tatouer et que j’habitais une maison avec un atelier, je lui ai proposé de venir chez moi pour recevoir ses clients, le temps d’un week-end. C’est là que je me suis tatouée pour la première fois, le mot “fragile” (j’avais d’autres tattoos mais pas de moi), et j’ai également pu tatouer Gin, avec sa machine. Ça m’a fait peur mais ça m’a plu aussi. Après ça, Gin est partie faire une formation de tattoo en Italie et elle est revenue avec tout le matériel nécessaire pour que je commence. Depuis je ne me suis jamais arrêtée. Je lui dois tout !

© fifififififififififififififi

Quelles sont tes inspirations ?

Je suis très attirée par l’art brut, l’art des “dégénérés”, des “fous”, des “sans école”, parce que je m’identifie énormément à eux. Je suis attirée par la marginalité, par la sensibilité, depuis toujours. J’aime l’art sans dogme, sans intellect, celui qui sort des tripes. Je dis souvent que je vomis les mots, mes maux. Quand j’écris, c’est vraiment avec le cœur. Si une phrase est trop réfléchie, ça se sent, et la magie disparaît.

© fifififififififififififififi

Comment vois-tu la place du tatouage dans le monde de l’art ?

Le tatouage s’est énormément démocratisé, la preuve : on peut aujourd’hui se lancer sans formation et sans appartenir à aucune école. Je n’aime pas particulièrement le monde de l’art, c’est un marché comme un autre, plein de requins et de personnes intéressées par l’argent qu’il génère. Tout ce que je sais, c’est que n’importe qui, s’il s’en donne les moyens et qu’il est suffisamment passionné, peut tatouer.

© fifififififififififififififi

Dans le monde du travail, les femmes sont moins bien payées et reconnues que les hommes, ceci est-il le cas dans le monde du tattoo ?

Me concernant, je me sens aussi respectée que peut l’être un tatoueur homme. J’impose mon tarif, sur la base de ce qui se fait sur le marché du tattoo, et les gens le respectent. Je crois que si une personne aime notre travail, elle y mettra le prix juste, peu importe notre sexe. Il y a des “super stars” du tattoo qui sont des femmes et qui en vivent très bien. Je suppose que ce n’est pas le cas dans tous les pays, et que je suis une privilégiée, mais dans mon entourage, les femmes artistes ont leur place et la prennent. Je ressens également énormément de soutien de la part des femmes envers mon travail, comme un élan de sororité. C’est pour moi la plus belle reconnaissance.

Une œuvre qui représente tes origines ?

Jacques Prévert, Paroles.

© Elena Bonardo

Un tableau de ton enfance/adolescence ?

Matisse, Elle vit apparaître le matin – Elle se tut discrètement. 1950.

©Matisse

Ton film préféré, et une musique ?

Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution de Jean-Luc Godard, qui m’a fait découvrir la poésie de Paul Éluard.




Pour la musique, “Traüme”, de Wagner, jouée à l’enterrement de ma grand-mère.

https://www.youtube.com/watch?v=6wyZ2hksBvc&app=desktop

Une œuvre qui représente ta vie sociale ?

Edward Hopper, New York Movie.

Cette femme, c’est moi, au cinéma, à l’écart du monde, perdue dans mes pensées ou tourmentée par des émotions fortes.

© Edward Hopper

Une œuvre qui, si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer !

La demeure du Chaos !

© Thierry Ehrmann

Pour finir, est-ce que le confinement t’a apporté un plus de créativité ?

C’est clair, j’ai eu enfin le temps de me poser, de me reposer, de ralentir et de laisser parler mon cœur ! Je suis beaucoup moins anxieuse depuis le début du confinement. Je me sens bien et ça se ressent dans mon travail ! Je suis pour ne jamais revenir à la vie de fou qu’on menait avant et qui, pour ma part, me rendait malade. J’ai écrit il y a quelques jours : “En fait, j’aime bien ça, quand le monde est à l’arrêt.” Et si on ré-apprivoisait la lenteur ?

Merci à Fifille pour cet échange. N’hésitez pas à la suivre sur son Instagram.

Titou Granier 

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