Les peintures ragamala : les tableaux à écouter avec les yeux
Les peintures ragamala associent peinture, poésie et musique indienne classique, attestant des liens profonds et interdépendants entre les sons et les visuels, l’humeur et le temps qui traversent tant de siècles.
Pendant 400 ans et jusqu’au 19e siècle, plus précisément jusqu’au déclin de l’aristocratie indienne par la colonisation, les peintures ragamala ont été très populaire. Ces œuvres indiennes miniatures étaient échangées par des admirateurs de la peinture, de la poésie et de la musique, généralement par des aristocrates indiens. Pourquoi étaient-elles si populaires pendant des siècles ? Comment sont-elles apparues, pourquoi ce mélange entre musique, poésie et peinture ?
“Ragamala” peut se traduire comme une guirlande de ragas, des cadres mélodiques sur lesquelles cinq notes musicales ou plus sont jouées, formant ainsi une mélodie. Un raga est plus qu’un son, il transmet une émotion à l’auditeur : un bon raga doit pouvoir colorer l’esprit. Plus que cela, chaque raga représente une humeur, une saison ou une heure spécifique de la journée, accompagné d’une brève inscription qui suggère l’humeur de celui-ci, le plus souvent l’amour et la dévotion. Nous pouvons rapprocher cette dimension aux pratiques d’écoutes d’aujourd’hui : les morceaux que nous écoutons sont liés à une humeur, une période de la journée.
L’inscription qui se trouve en haut des tableaux est souvent un verset tiré d’un poème médiéval, qui personnifiait ainsi les ragas. Une peinture ragamala n’est jamais produite seule, elle s’inscrit dans une série de 36 ou 42 pièces, à la manière de nos playlists contemporaines. Il faut toutefois souligner qu’à l’époque, effectuer un raga à un moment inapproprié était considéré non seulement comme inesthétique mais aussi dangereux car ceux-ci étaient liés à des divinités et pouvaient ainsi avoir un impact sur la nature.
Avec la montée du mouvement Bakhti au 16e siècle – voie spirituelle de l’hindouisme caractérisée par la dévotion à un dieu personnel -, les peintures ragamala évoluent, passant d’une représentation d’icônes divines singulières à des scènes narratives d’êtres humains dans leur propre environnement. L’évolution du paradigme religieux a ainsi affecté la représentation des tableaux. L’amour, surtout la passion insatisfaite et dévorante est devenue le thème général de ces peintures ; la séparation amoureuse est une allégorie de l’âme humaine séparée de Dieu.
D’abord limité au Nord du Rajasthan, les peintures ragamala se sont répandues à travers l’Inde au cours de la période Moghole entre les 16ème et 19ème siècle. Les changements constants des postes administratifs et militaires ont joué un rôle important dans sa transmission au Sud, les peintres et les scribes accompagnant souvent leurs mécènes aristocrates. Arrivées à Deccan, les séries sont devenues plus grandes et plus complexes, les styles ont commencé à se mélanger et des nouvelles formes sont apparues. Le paysage et l’environnement architectural ont pris une place importante ; l’amour, le désir des divinités, la nostalgie et la perte sont devenus les principaux sujets des artistes.
Comme les ragas, les peintures ragamalas sont associés aux 6 saisons : l’été, la mousson, l’automne, le début de l’hiver, l’hiver et le printemps.
En plus de cette périodicité, les peintures sont réparties par moments de la journée, en témoignent ces exemples :
- Raga Hindola, à l’aube : il y a un sentiment de calme qu’on ne peut ressentir que le matin
- Raga Bhairav, au matin après le lever du soleil : ce raga et les tableaux ont une signification particulière pendant les moussons. C’est aussi généralement la pièce de départ à tout concert de musique classique indienne.
- Raga Megha de midi à 15h : ces peintures évoquent l’humeur de soulagement après l’épuisement ou l’anticipation joyeuse.
- Raga Shree au coucher du soleil : ces ragas sont associés à la saison d’automne et aux fêtes des vendanges, évoquant généralement l’ambiance de détente et de bonheur, parfois de nostalgie.
- Raga Dipak à la nuit : ces ragas sont destinés à être chantés la nuit et évoquent des passions similaires à celles des amoureux ; on observe souvent des représentation de feu dans les tableaux.
Exemple d’un raga joué par Pandit Nikhil Banerjee, joueur de sitar :
Baran Cengiz
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