Les icônes de l’art moderne à la Fondation Vuitton
Icônes de l’art moderne La collection Chtchoukine Œuvres de Monet, Matisse, Cézanne, Picasso, Van Gogh, Renoir, Degas, Rousseau, Gauguin, Toulouse-Lautrec… Du 22 octobre 2016 Tarif plein : 16 € Réservation en ligne Fondation Louis Vuitton M° Les Sablons |
Du 22 octobre 2016 au 20 février 2017 Impossible de faire l’impasse sur cette exposition tant elle a des allures d’événement historique. Tous les grands noms de l’art moderne sont là – Gauguin, Matisse, Picasso… –, à travers essentiellement des chefs-d’œuvre. Un tour de force pour la Fondation Vuitton qui remet à l’honneur un collectionneur russe légendaire, Sergueï Chtchoukine. Un visionnaire. Sergueï Chtchoukine l’était largement car, si aujourd’hui les noms de Gauguin, Matisse ou Picasso apparaissent comme autant d’évidences et de jalons majeurs de l’histoire de l’art moderne, ils ne l’étaient pas au moment où le collectionneur les a achetés. Et il n’a pas été frileux : 49 Picasso, 37 Matisse, 15 Derain… Appartenant à la riche société bourgeoise – sa famille détient le monopole du négoce du coton dans la région –, il aurait dû se fondre dans le goût classique, lisse, avec une mise en avant de l’art russe.
Paris, théâtre d’une révélation Il était de bon ton de venir à Paris pour la mode et pour goûter de cet art de vivre. Mais Sergueï tombe littéralement amoureux de la ville et de l’art qui s’y fait. Il commence de façon timide en 1898 avec cette vue du boulevard de la Madeleine du peintre norvégien Fritz Thaulow, une sorte de carte postale des quartiers qu’il fréquente.
Une initiation à travers les galeristes Mais il découvre dans la rue Laffitte – où se trouvent alors les galeries d’art – Durant-Dessert qui l’amène à Monet et Ambroise Vollard qui expose Cézanne, Degas, Gauguin. Le choc pour celui qui comprend désormais que l’histoire s’écrit avec ces artistes-là. Et puis les choses vont s’accélérer à partir de 1905 : en février, le corps sans vie de son fils de 17 ans est retrouvé dans la rivière Moskova et, en décembre, sa femme tombe malade pour mourir le mois suivant. Il pense trouver la paix en se retirant dans un monastère en Égypte, mais il se rend rapidement compte que c’est à Paris qu’il trouvera son seul réconfort. S’abandonner dans le tourbillon de l’art, l’énergie de la ville et la musique de Scriabine. La seule année 1906, il achète 20 tableaux de Gauguin, une boulimie ! Les piliers de la collection La passion Gauguin se tarit et il s’enflamme pour Matisse, le seul avec lequel il aura une relation épistolaire soutenue. Il lui commande de nombreuses toiles, dont la fameuse Danse et son pendant la Musique pour l’escalier de son palais Troubetskoï. Il est partagé : il sait que ces panneaux seront mal perçus par la société moscovite – certains jugeaient qu’il régnait chez lui la folie ! –, mais il est convaincu qu’il s’agit de chefs-d’œuvre et que le temps sera son allié pour qu’ils soient reconnus comme tels.
Son dernier démon : Picasso Un véritable engagement qui l’amène à ouvrir les portes de son palais dès 1908 aux étudiants, la future avant-garde russe. Malévitch, Rodchenko, Larionov ou Tatline découvrent les grands ensembles de tableaux que le collectionneur accrochait lui-même, au gré de ses acquisitions, suivant un parcours à la fois sensible et didactique. Le dernier démon qui l’obsédera sera Picasso que lui présente Matisse. Il ne réussit pas à accrocher La Femme à l’éventail à côté des autres artistes tant il y trouve une force unique. Il achète ses tableaux les plus puissants et monumentaux peut-être. Le dernier coup du destin La Révolution de 1917 tombe comme un couperet : avec l’abrogation du droit à la propriété privée, il est dépossédé de son palais mais surtout de sa collection comportant 274 œuvres. Sa collection devient le fleuron du Musée de la nouvelle peinture occidentale (avec la collection Morosov), avant que l’art occidental ne soit banni par Staline en 1948. Divisée et restée dans l’ombre un temps, on oublie le nom de son propriétaire et il aura fallu un long travail des chercheurs pour que Sergueï Chtchoukine retrouve son aura, qui était convaincu d’œuvrer pour la postérité. Brisé par ce dernier coup porté par l’Histoire, il s’enfuit à Paris clandestinement en 1918 mais ne renouera pas avec cet art qui l’a tant fait vibrer. Il tourne une page définitivement et mourra le 10 janvier 1936 à Paris à 82 ans, dans la plus grande discrétion. Le tour de force de l’exposition L’exposition de la Fondation Vuitton est un véritable tour de force et une démonstration de sa puissance financière ; on ne peut imaginer le montant de la valeur d’assurance de ces 127 chefs-d’œuvre : Monet, Cézanne, Gauguin, Rousseau, Derain, Matisse ou Picasso, mais aussi Degas, Denis, Lautrec, Redon, Renoir, Vuillard ou Van Gogh. Mais au-delà de cela, elle rappelle l’importance de cette collection dans la formation de l’avant-garde russe qui s’est nourrie de cette création inaccessible par ailleurs. Ironiquement aussi, alors que le marché de l’art semble plus porté par les sirènes des records, il est bon de remettre au cœur du débat des figures comme Sergueï Chtchoukine et de rappeler que l’histoire ne retient que les visionnaires, pas les suiveurs. Stéphanie Pioda [Crédits photo 1 : Paul Gauguin, Aha oé feii (Eh quoi, tu es jalouse ?), été 1892, huile sur toile 66 x 89 cm. Courtesy Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou / Photo 2 : Christian Cornelius (Xan) Krohn, Portrait de Sergueï Chtchoukine, 1916, huile sur toile 191 x 88 cm © ADAGP, Paris 2016. Courtesy Musée d’État de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg / Photo 3 : Claude Monet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1866, huile sur toile 130 x 181 cm. Courtesy Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou / Photo 4 : La salle Picasso du Palais de Chtchoukine, photographie, 1914, 23 x 29 cm © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine / Photo 5 : Pablo Picasso, Trois femmes, 1908, huile sur toile, 200 x 178 cm © Succession Picasso 2016. Courtesy Musée d’État de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg / Photo 6 : Vue de l’installation salle 1 © Succession Picasso 2016 pour l’œuvre de l’artiste. Photo Fondation Louis Vuitton / Martin Argyroglo] |
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