Les êtres de pierre de Ma Desheng
Ma Desheng Du 30 janvier au 1er février 2015 de 11h à 19h Entrée libre Vernissage le jeudi 29 janvier à 18h30 Le Carreau du Temple M° Temple, République (lignes 3, 5, 8, 9 et 11) |
Artiste chinois vivant en France depuis presque 30 ans, Ma Desheng expose ses grands formats au Carreau du Temple en guise de clôture de cette année de célébration des relations diplomatiques entre la France et la Chine. De révolté politique, il est devenu un grand humaniste : c’est ce qu’il exprime sur ses toiles. C’est la galerie Wallworks qui est aux manettes de cet événement. Né en 1952 à Pékin, Ma Desheng a souffert du manque de liberté d’expression au cours des dix ans de la Révolution culturelle de Mao Zedong, l’amenant à penser l’art autrement. À la mort du grand timonier en 1976, une page se tourne et la jeunesse en effervescence a fait sauter les verrous, permettant à Ma Desheng de fonder en 1979 avec d’autres artistes – Wang Keping, Zhao Gang, Huang Rui, Li Shuang, Ai Weiwei… – le groupe Les Étoiles (Xing Xing). Avec poésie, chaque artiste brille désormais de la lumière de ces astres lointains comme autant de lueurs d’espoir du renouveau annoncé. La nouvelle voie à suivre ne s’accompagne cependant pas nécessairement de la négation de l’histoire millénaire dont ils sont les héritiers – la tradition d’une peinture de paysage construite autour des “quatre joyaux du peintre” (le pinceau, le papier, la pierre et l’encre) –, mais le temps est venu de la bousculer et de la projeter dans la modernité. D’autres avant eux s’y étaient essayés : Shitao au XVIIe siècle qui a expérimenté les couleurs vives ou Cai Yuanpei au début du XXe siècle, fondateur de l’Association pour la recherche des méthodes en peinture à l’Université de Pékin, qui a permis aux artistes chinois de venir se former en France. Ma Desheng renouvèle un art ancestral Pour sa part, Ma Desheng participe au renouveau de la peinture chinoise en donnant une place centrale au corps humain, là où dominait de manière ancestrale le paysage. Mais paradoxalement, c’est lorsqu’il quitte la Chine en 1985 pour s’installer en France un an plus tard qu’il donnera un véritable élan à sa peinture. Entre abstraction et figuration, ses silhouettes féminines deviennent le véritable sujet du tableau, souvenirs lointains de nos “Vénus” callipyges préhistoriques. Elles envahissent la toile, décomposées dans l’esprit d’un Henry Moore, prises pour certaines de la frénésie des danses matissiennes.
La simplification de ces corps donne naissance à un nouveau volet du travail de Ma Desheng que l’on connaît bien, autour de ces constructions minérales. Lorsqu’il s’attaque à l’acrylique sur toile en 2002, c’est une renaissance pour lui, exclu de la scène artistique internationale pendant dix ans après un accident survenu en 1992, le contraignant à rester alité pendant deux ans à l’hôpital. Il rate à ce moment une exposition d’envergure que souhaitait lui consacrer le Guggenheim Museum de New York. Gravement blessé et diminué, il n’aura de salut que par l’art, et à force de travail acharné, il redonnera de l’autonomie à cette main affaiblie : il peindra près de 4 000 dessins entre 1994 et 2002. Des lavis légers et dilués, il est passé à une peinture pleine, jouant de l’épaisseur d’un léger relief, comme pour donner corps à ces silhouettes qu’il a d’ailleurs fait sortir de la toile pour les modeler en 3D. Le volume était l’étape logique attendue de cette recherche plastique où domine la monumentalité. La spiritualité sous-tendant toujours son travail, on ne peut se passer de l’analogie avec les cairns néolithiques ou des empilements de pierres tibétains. Lorsqu’il les dresse sur ses toiles, on ressent le même recueillement que face aux alignements de Carnac ou au monument de Stonehenge. C’est le moyen pour l’artiste d’attirer notre attention sur la nature, d’écrire une ode à notre terre nourricière. Il endosse alors le rôle du chamane en dialogue avec les éléments.
Et nous voilà replongés dans la philosophie taoïste que Ma Desheng n’a jamais vraiment abandonnée, où l’homme n’est pas au centre du système mais un élément appartenant à un grand tout. Il n’a aucun droit sur la nature qu’il se doit de respecter et avec laquelle il ne peut que vivre en harmonie. C’est guidé par le “souffle vital” – le fameux qi – qu’il peint. Il trace le contour de ces rochers à la fois avec un trait contrôlé, défini et à l’aide d’un geste libre, lyrique. Ces touches contraires et complémentaires participent à l’équilibre et à la dynamique de la toile, alliant douceur et force, subtilité et sensualité. Ces silhouettes peuvent alors être interprétées comme l’âme protéiforme de la planète, le magma de l’origine. Ma Desheng prend le pouls de la terre, s’efface avec humilité en tant que peintre et être humain, pour nous laisser face à un spectacle qui nous dépasse. Stéphanie Pioda [Crédits photos © Nicolas Pfeiffer] |
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