Lek & Sowat : « Underground Doesn’t Exist Anymore »
Underground Doesn’t Exist Anymore Sortie le 21 novembre 340 pages 30€ Éditions Manuella ISBN: 978-2-91-917217-81-8 |
La première intervention consistait donc à peindre quelques mètres carrés de murs ?
Oui, dans cet escalier qui était alors interdit au public, nous sommes intervenus à une quinzaine d’artistes. Nous avons peint les murs, le plafond et le sol afin de créer une oeuvre immersive qui invite au déplacement plus qu’à la contemplation. Mais dès le départ, notre intention était de dépasser le cadre que l’on nous avait imposé. Nous avons donc exploré le bâtiment comme nous avons l’habitude de le faire dans nos explorations urbaines. Il fallait passer le musée au scanner, en connaître chaque recoin pour savoir ce qu’il était possible de faire. Il y a une différence entre visiter un musée en activité et une usine abandonnée, non ? Oui et non. À bien des égards, le Palais de Tokyo avait des airs de terrain vague. L’institution venait de changer de directeur et de nombreux travaux étaient encore en cours. Nous avons donc entrepris de visiter chaque pièce, chaque couloir, d’ouvrir toutes les portes, les trappes, des locaux techniques aux bureaux administratifs en passant par les espaces d’exposition jusque dans les gaines d’aération. L’idée était d’intervenir par la peinture ou l’installation dans l’ensemble du musée. Ce qui pourrait passer pour un petit jeu sans conséquences pouvait en avoir pour nous car à chaque fois que nous intervenions hors de notre zone officielle, nous risquions de mettre en péril tout notre projet. Nous agissions donc à la manière d’un petit commando, notant les rondes des vigiles et de l’administration, fraternisant avec le maximum de personnes sur place. Dès le départ, Jean de Loisy, le directeur du Palais de Tokyo, avait compris notre petit jeu. Ça l’amusait et l’intéressait en même temps, du coup il nous a couvert les rares fois où nous nous sommes fait prendre. Au-delà d’illustrer l’esthétique du graffiti, il s’agissait donc de questionner sa place dans une institution ? Exactement, questionner la place du graffiti dans une institution et proposer diverses façons de l’y inscrire. Pour cela nous avons procédé de différentes manières, c’est ce que montre et raconte le livre. Dans un premier temps, nous avons réalisé cette fresque collaborative dans l’escalier afin d’illustrer l’esthétique du graffiti et sa particularité en tant que mouvement de groupe. Ensuite, nous avons invité des writers que nous considérons comme importants dans l’histoire de notre culture afin de souligner ses différentes branches. Il y a la première génération avec JayOne, SKKI© et Mode2, la branche radicale avec Azyle, O’Clock, Babs et Cokney, ceux qui ont développé une esthétique hors des cadres classiques du graffiti comme Popay, Nassyo, Hoctez, Legz, Philippe Baudelocque et bien d’autres… Tous sont intervenus avec un code couleur très restreint, souvent du noir et blanc, en hommage à la technique du tracé direct, ce geste spontané du graffiti. Parallèlement à ces interventions officielles qui nous servaient de Cheval de Troie, chacun d’entre eux a réalisé une oeuvre officieuse, cachée ou éphémère, un peu partout dans le musée. Cela répond au caractère invasif du graffiti, au fait qu’il s’infiltre partout, qu’il soit attendu ou indésirable. Il reste donc au Palais de Tokyo quelques interventions secrètes ? Oui, les interventions éphémères ont disparu, nous les avons filmées et photographiées avant de les détruire. Elles font référence à l’effacement systématique du graffiti, à toute cette histoire perdue sous les coups de Karcher. D’autres interventions existent encore, elles sont dissimulées à divers endroits du Palais et certaines ne seront peut-être jamais découvertes. Parmi elles se trouve « La Trappe » où nous avons invité Mode2 et Futura. Quelque part dans les sous-sols du musée se trouve cette peinture dont l’inaccessibilité la préserve du temps. Un peu à l’image des catacombes où il existe encore des tags réalisés il y a trente ans et des graffitis bien plus vieux encore. Cette fameuse trappe qui vient clore votre ouvrage tient une place importante dans ce projet… En effet, nous avons découvert cet endroit dès les premiers jours et nous savions déjà que c’est là que se terminerait notre projet. Il s’agit d’espaces souterrains destinés au désenfumage du Palais de Tokyo en cas d’incendie. Nous ne le savions pas, mais à chaque fois que nous y travaillions, nous risquions d’être aspirés par les puissantes turbines qui s’y trouvent. Cet espace constitué de différentes pièces reliées par des couloirs exigus nous a tout de suite évoqué les grottes de Lascaux. C’est d’ailleurs de là que le projet tient son nom.Pour rebondir sur cette thématique, Mode2 a peint au pastel en couleur ocre un grand lettrage « Underground Doesn’t Exist Anymore » qui a donné son nom à l’ouvrage. Futura est intervenu à la bombe et à la craie en réalisant une fresque abstraite typique de son style historique qu’il peignait quarante ans plus tôt sur les métros new-yorkais. Quant à nous, nous avons relié leurs peintures avec nos signes respectifs et sommes intervenus dans le reste de l’espace du sol au plafond. Les derniers jours où nous y peignions, nous avons fini par nous faire surprendre et compte tenu de la dangerosité du lieu, la direction a fait sceller l’entrée de la trappe. L’ouvrage contient également un chapitre qui aurait pu être un projet distinct à lui tout seul, le tableau noir. Oui, nous avons appelé ce projet « Tracés Directs » en hommage à cette pratique spontanée dont nous parlions tout à l’heure. Nous avons repéré ce tableau utilisé par les médiateurs du Palais et nous avons décidé d’inviter clandestinement une vingtaine d’artistes à jouer avec la notion d’effacement en intervenant successivement à la craie et à l’éponge. Le projet a duré six mois. La première personne à s’être prêtée au jeu est tout naturellement Philippe Baudelocque qui intervient régulièrement à la craie dans les rues de Paris. Le dernier fut Jacques Villeglé que nous avions rencontré quelques mois auparavant et qui a réalisé son abécédaire sociopolitique. Son intervention est restée telle quelle, sans être effacée, puis le tableau accompagné du film que nous avons réalisé pour l’occasion ont intégré la collection permanente du Centre Georges Pompidou. En effet, comme ce fut le cas pour votre projet Mausolée dont vous aviez tiré un livre et un film, vous avez filmé la plupart des interventions au Palais de Tokyo. Trois films sont tirés de notre aventure au Palais de Tokyo. Le premier, Vandalisme Invisible, montre une succession d’actions très courtes, réalisées un peu partout dans le centre d’art par nous ou nos invités, sans que l’on ne sache plus trop ce qui est officiel et ce qui ne l’est pas. C’est très rapide et mixé avec des series de photos sérielles que nous avions réalisées la premiere année, avec un cadre qui passe sans arrêt de l’horizontal à la verticale, comme si c’était filmé avec un smartphone. Le second, Tracés Directs est en plan fixe et cherche autant à montrer la gestuelle des artistes, leur dance, que ce qu’ils peignent et détruisent dans un meme geste. Le dernier enfin, Undergound Doesn’t Exist Anymore, tourné dans la trappe avec Mode2 et Futura est le plus proche de Mausolée en termes de réalisation, à la difference que nous maitrisions beaucoup plus le cadre de tournage et que nous disposions de lumières. Pour en revenir au livre, il ne s’agit pas simplement d’un livre d’images. Il est d’ailleurs très différent des livres consacrés à l’art urbain, dans le fond comme dans la forme. Nous ne voulions pas d’un énième livre de graffiti ou de street art. Nous avons eu la chance que notre éditrice Manuella nous présente Mathias Schweizer pour s’occuper de la maquette du livre. C’est un graphiste hors pair, considéré comme l’un des meilleurs de sa génération. Il nous a longuement écouté de manière à comprendre notre démarche et a réalisé un livre à l’image de notre projet. Un objet unique dont nous sommes très fiers. L’ouvrage contient de nombreuses photos illustrant nos recherches et nos interventions, y compris hors du Palais de Tokyo avec une séance d’affichage sauvage dans les rues de Paris en collaboration avec l’artiste André. Jean de Loisy nous a fait l’honneur de signer la préface et Hugo Vitrani a réalisé de longs entretiens avec Mode2, Jacques Villeglé, André et nous-mêmes afin d’apporter les clefs de compréhension à ce projet. À noter la récente sortie du magazine Palais #24 entièrement consacré au Lasco Project. En plus de revenir sur le projet mené par Lek & Sowat, le magazine a invité les différents artistes ayant participé au projet d’art urbain du Palais de Tokyo jusqu’à aujourd’hui. Avec des interviews de Azyle, Dran, Os Gemeos, Cleon Peterson, Craig Costello, Evol et bien d’autres… Magazine Palais #24 Nicolas Gzeley [Crédits Photos : © Nicolas Gzeley – Spraymium Magazine ] |
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