Lek : “J’aime me voir comme un égaliseur de l’espace urbain”
Issu des premières vagues de graffeurs parisiens des années 80-90, Lek a toujours cherché à se dégager des codes du graffiti classique pour trouver sa propre voie et son propre tracé. Rencontre avec un grand graffeur de l’espace urbain aux multiples projets.
Pouvez-vous nous décrire vos débuts ?
En 1988, à 16 ans, je découvre le graffiti dans le 19e arrondissement parisien, un quartier marqué par la violence, les bandes et la drogue. Cela aurait pu me déstabiliser mais très tôt, j’ai eu la chance de comprendre que c’était véritablement le milieu artistique du graffiti qui m’intéressait : ce qui m‘a rendu particulièrement déterminé. Le graffiti m’a poussé vers le dessin et le dessin vers l’architecture. Ainsi, après le baccalauréat, j’ai étudié l’architecture durant cinq ans. J’ai réalisé par la suite que je ne souhaitais pas travailler dans ce milieu alors que j’aimais et aime toujours ce qui est lié à l’urbanisme.
En parallèle de vos études d’architecture, vous n’avez jamais arrêté votre pratique du graffiti.
En effet, et cela fait maintenant plus de trente ans que je peins, environ dix ans que j’ai développé une véritable carrière et j’estime que j’ai encore beaucoup de choses à montrer. Initialement, j’appréciais énormément le graffiti mais moins ses règles. J’ai été marqué très jeune par des graffeurs qui faisaient du freestyle, autrement dit de l’abstraction. En 1994, j’ai commencé à me démarquer de tous ces codes. Je ne comprenais pas pourquoi on me disait que le graffiti était une forme libre mais qu’il fallait suivre quantité de règles. À titre d’exemple, à l’époque, utiliser de l’acrylique avec un rouleau était impensable : tout devait être réalisé à la bombe. J’ai collaboré avec de nombreux groupes de graffeurs mais je suis demeuré un électron libre. Mes amis graffeurs m’appréciaient pour ma personne mais moins pour mes peintures qui se libéraient des codes du graffiti (Rires). J’ai par ailleurs voyagé notamment au Danemark où j’ai découvert un graffiti qui s’inspirait de la culture même du pays. Cela n’a fait que me pousser à chercher qui j’étais réellement et à me départir de ces codes. Je constate aujourd’hui que les nouvelles écoles de graffeurs se dégagent de ces règles et j’en suis très content. À l’époque, j’étais sûr de ce que je voulais réaliser esthétiquement tout en restant très ouvert à tout ce qui m’entourait. J’ai ainsi développé durant de nombreuses années énormément de styles.
Parmi tous ces styles, quelle(s) forme(s) ou quel(s) processus appréciez-vous particulièrement ?
J’aime le côté linéaire des choses comme si je traçais ma route. J’aime la ligne qui revient fréquemment dans mes créations. Mes créations évoquent souvent au public des plans, des réseaux, un environnement urbain dans lequel on évolue, des perspectives, y compris lorsque je ne dessine que des lettres ou seulement mon nom. Dans mes toiles, j’ai toujours l’impression de réaliser des dessins d’architecte, des maisons futuristes. Il est vrai que j’apprécie tout particulièrement le futur, les nouvelles technologies, c’est pour cela, entre autres, que le mapping m’intéresse beaucoup. Enfin, je tente toujours de susciter la curiosité chez le spectateur, de manière à ce qu’il cherche un passage pour pouvoir rentrer notamment dans les installations que j’ai pu réaliser. Dans mes peintures, je crée toujours un déséquilibre pour faire en sorte que l’œil du spectateur se balade, trouve une entrée qui n’apparaît pas évidente au premier abord et pénètre mon univers. Je retranscris ainsi mon goût pour l’architecture et j’aime constater la façon dont le public se déplace dans mes réalisations et crée des tracés qui ne sont pas nécessairement évidents et similaires d’un individu à l’autre : j’apprécie tous ces débordements propres à l’homme.
Vous collaborez très souvent sur des projets de grande envergure avec Sowat. Appréciez-vous de manière générale les collaborations ?
L’architecture m’a fait comprendre que l’union faisait la force. M’entourer de personnes qui présentent des compétences que je n’ai pas nécessairement m’apporte beaucoup. J’aime énormément collaborer avec des individus plus jeunes ou qui maîtrisent des techniques ou des technologies très avancées. Par ailleurs, je perçois beaucoup de potentiel chez d’autres artistes avec lesquels je travaille. Ces multiples collaborations me permettent de mettre en lumière toute la diversité dans ce milieu de l’art urbain qui m’est très cher. Chaque artiste avec lequel je travaille apporte sa propre “sonorité”.
Aimez-vous toujours autant travailler dans la rue ?
J’adore toujours autant réaliser mes peintures en extérieur. J’aime peindre sur les murs, notamment dans le cadre d’urbex. Ma création revêtira une valeur davantage sentimentale que si je l’avais réalisée sur une simple toile. Je tente toujours d’avoir un pied dehors et j’espère que cela va durer autant que possible. Le travail en extérieur me permet par ailleurs de rencontrer les passants : discuter y compris avec ceux qui n’apprécient pas mes créations m’intéresse particulièrement. Les échanges sont toujours très enrichissants. De manière générale, j’aime me voir comme un égaliseur de l’espace urbain.
Projet SUBWAY ART tunnel – prolongement de la Ligne 14 – Lek & Sowat :
Retrouvez le travail de Lek sur son compte Instagram.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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