L’École Louis-Lumière s’expose à Éléphant Paname
DELTA est aboutissement d’un projet d’exposition collective porté par treize jeunes artistes aux écritures photographiques singulières. Voilà de quoi découvrir les jeunes talents de demain !
Une école renommée
Pour la 3e année consécutive, des étudiants en 3e année de l’École nationale supérieure Louis-Lumière (spécialité photographie – promotion 2018) ont investi l’ensemble des espaces d’Éléphant Paname, le temps d’un week-end. Et en effet, tout comme le territoire qu’un fleuve peut irriguer, DELTA ouvre un vaste champ des possibles.
Créée en 1926 sous l’impulsion des pionniers du cinéma que sont Louis Lumière et Léon Gaumont, cette école professionnelle publique forme aux métiers de l’image et du son. Au programme : théorie et pratique, technique et artistique.
En ce qui concerne la spécialité photographie, l’enseignement couvre un nombre significatif de métiers liés aussi bien à la prise de vue ou la post-production, qu’à la gestion des systèmes, le support technique ou commercial, le journalisme spécialisé, ou encore la formation et la recherche : « Notre vocation est de former des créatifs, des auteurs, des collaborateurs de création ou des coordinateurs de projet de haut niveau qui posséderont les facultés d’adaptation nécessaires à des métiers dans lesquels les techniques, les savoir-faire, les processus de création sont en évolution constante », peut-on lire sur le site.
« Décloisonnement à l’œuvre »
« Pas de commissariat d’expo pour Delta, mais nous avons demandé à chaque étudiant de concevoir, en trois mois, une scénographie, avec l’aboutissement d’un questionnement personnel autour de l’image, accompagné d’un univers sonore », explique Samuel Bollendorff, photographe et réalisateur, professeur associé à l’École Louis Lumière. « Quel que soit leur champ d’expérimentation, la prise de risque était obligatoire. Et tous ont su saisir cette formidable liberté », relève-t-il.
« L’exposition illustre bien le décloisonnement à l’œuvre à l’École Louis Lumière », renchérit Véronique Figini-Véron, historienne de la photographie et maître de conférences à l’École. « Depuis longtemps, l’image ne se limite plus à l’édition. À la faveur des nouvelles technologies, le multimédia permet le dialogue entre tous les arts ».
Treize regards
Les installations proposées par ces étudiants témoignent effectivement de la créativité dans ce secteur. Tous à la pointe des évolutions actuelles en matière d’écritures photographiques et audiovisuelles, ces artistes illustrent la formidable diversité des supports et des formats. Ils réfléchissent tous à la nature de leur art : Qu’est-ce que la photographie aujourd’hui ?
Ainsi, Lorie Flor Eliès nous plonge dans le quotidien d’un trio amoureux. Posés sur une table de salon, des carnets documentés – entre journaux intimes et albums photos – brouillent les visions fantasmées traditionnelles.
Collection, séquence, instantané, accumulation… la photographie au smartphone se prête à de nombreuses formes de temporalités. Amas photographique est une installation de Claudia Doublet qui met en scène une année de pratique quotidienne, visible sur tablettes ou dépliants. Nul doute, l’immatériel devient omniprésent.
Lisa Guillet, quant à elle, travaille l’argentique. Replaçant le geste de l’artiste au cœur de l’acte photographique, elle a suspendu une myriade de petits tirages uniques, dans la pénombre mais à portée des visiteurs, pour qu’ils puissent s’en saisir. Ludique à souhait !
Benjamin Achour, lui, a fait le choix du format XXL. Afin de rendre compte de la violence du conflit israélien et des stigmates de la guerre dans la cité, il a reconstitué un bunker qu’il a recouvert de poster. Intéressante mise en abîme, pour cette empreinte, tenace, de la guerre.
Multimédia
De nombreux projets sont à la frontière de la photographie, comme celui de Nadège Duhautois qui mêle image fixe et incrustation en 3D. Au cœur d’un paysage, une flaque d’eau s’anime pour donner vie à un mystérieux personnage liquide).
Pour son installation #no, Guillaume Colrat exploite l’interactivité du numérique. Afin de recréer la violence sourde du rejet vécu par certains homosexuels, l’univers sonore évolue en fonction des déplacements des visiteurs, avec force projections de pixels sur les murs.
Enfin, Alexis Allemand réalise un corpus de photographies à l’aide d’un dispositif anachronique mêlant un scanner à une chambre photographique du siècle dernier. Un sacré saut de géant, d’hier à aujourd’hui !
Si elle se définit souvent par un sujet, une vision ou un concept, la photographie est aussi un objet. Vers une architecture éco-responsable invite à découvrir un projet de construction alternative par le biais d’un puzzle en bois qu’il s’agit de reconstituer. Une installation interactive, sans recours aux nouvelles technologies, d’Audrey Bénard.
Parmi ces treize expérimentations photographiques et audiovisuelles, trois projets ont particulièrement retenu notre attention.
Portrait au masque
Le portrait et les mises en scènes photographiques, voilà le champ de recherche de Salomé Oyallon qui puise son inspiration dans la poésie et la littérature du 19e siècle, les peintures de la Renaissance et du symbolisme.
Pour cette exposition, elle a réalisé un autoportrait troublant. Dans un cadre doré, l’image s’anime pour dévoiler une sourde mélancolie : « L’appareil photographique est une drôle de machine, perturbante, qui provoque souvent chez nous des changements de posture. Aussi, semble-t-il un bon outil pour évoquer la question du masque social », explique la jeune artiste. Une féconde réflexion sur la représentation sociale et artistique.
Mémoire d’eau
Valentina Vannelli, qui vit et travaille à Paris depuis 2012, actuellement étudiante à l’Université Paris 8, en partenariat avec l’École Louis Lumière, développe des thèmes liés à la disparition de mémoire. Que reste-t-il après le déluge numérique ?
Par un processus original, elle explore comment l’eau garde les souvenirs de substances. Ainsi, elle récupère, sur internet, des photographies de vagues qu’elle transfère sur une pellicule aussitôt immergée dans l’eau. Elle expérimente alors les changements du film dans cet environnement liquide. Nature de l’eau, temps d’évaporation… ses recherches sont poussées. Réalisées sans appareil photo, ces œuvres naissent donc au gré de hasards chimiques. Et il semblerait bien que les souvenirs soient insubmersibles. Pas de vague à l’âme, d’autant que ces flots mémoriels et flux aquatiques sont plastiquement très réussis.
Latence
Cette installation monumentale de Vincent Royer est sans doute celle qui exploite le mieux le lieu d’exposition. Au centre de la pièce du rez-de-chaussée, surplombée de l’immense dôme de lumière d’Éléphant Paname, l’artiste a imaginé un dispositif optique ingénieux : pour déceler l’éclipse, il faut s’allonger, se concentrer, presque la faire advenir. Une expérience visuelle qui explore l’infiniment petit, au creux de l’infiniment grand. Fascinant !
Sarah Meneghello
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