À Bologne, Le street artiste Blu efface toutes ses oeuvres !
À Bologne, Le street artiste Blu efface toutes ses oeuvres ! |
Depuis le 18 mars, le Palazzo Pepoli, Musée de la ville de Bologne, héberge l’exposition « Street Art, Banksy & Co. L’arte allo stato urbano » (l’art à l’état urbain), un projet qui retrace 50 ans d’art urbain international à travers des œuvres, des vidéos, des photographies et différents genres de documents. Si 95 % des œuvres proviennent de collections privées ou de musées, certaines ont été prises directement dans la rue, comme ces trois séries de Blu. Le geste choque, la polémique enflamme les réseaux sociaux : l’artiste est au cœur de cette contestation.
Peut-on décider de récupérer des œuvres pour les mettre dans un musée sans en avertir l’artiste ? Un vrai débat qui fait resurgir les frontières du droit d’auteur. Rencontre avec Christian Omodeo, commissaire de l’exposition.
Il s’agit, tout d’abord, de la plus grande rétrospective consacrée à l’histoire de l’art urbain organisée par un musée européen. Nous souhaitions partager un savoir avec un public, qui connaît peu ou mal certains sujets ou certaines « redécouvertes » récentes comme la culture graffiti punk néerlandaise. L’autre enjeu était un recensement objectif des pratiques à travers lesquelles notre société a sauvegardé la mémoire d’un phénomène essentiellement urbain. On peut et on se doit de raconter l’art urbain à travers sa retranscription au sein du marché de l’art, mais nous ne pouvons pas ignorer que d’autres formes de sauvegarde, privées de tout intérêt économique, existent aussi.
2. Pourquoi certains graffitis ont-ils été retirés de la ville par des techniciens? Quel était le but?
Face à la disparition de dizaines de murs peints par Blu au cours des dernières années, un groupe de chercheurs et de restaurateurs bolonais essaye depuis 2014 de sauvegarder un témoignage de l’activité de Blu dans cette ville. Bologne est historiquement la capitale de la technique de la dépose de peintures murales. Camillo Tarozzi et ses deux assistants ont souhaité vérifier si cette technique, datée du XVIIIe siècle, pouvait être adaptée à des matériaux contemporains comme le béton. Blu avait réalisé des interventions dans des usines abandonnées, qui sont aujourd’hui en voie de destruction. Les propriétaires ont donné leur accord pour que ces peintures soient déposées et sauvegardées.
Ce qui n’est pas encore ressorti dans la presse c’est l’exploit technique que ces restaurateurs ont réalisé. Le mur le plus grand mesure 12 mètres de hauteur. On a l’impression de voir du béton, mais on est en réalité face à une toile. C’est une avancée historique majeure dans le domaine de la restauration des peintures murales.
3. Où iront ensuite ces œuvres empruntées à la rue, une fois que l’exposition sera finie ?
En Italie, comme aux Etats-Unis, la loi privilégie la doctrine des « mains sales » : si un artiste peint illégalement un mur, à ce jour, il ne peut en aucun cas réclamer des droits d’auteur sur celui-ci. L’avocat Andrea Pizzi explique cela dans l’un des essais du catalogue de l’exposition. L’association à but non lucratif Italian Graffiti, qui possède aujourd’hui ces murs, pourrait donc les revendre, mais cela n’a jamais été le but. L’idée est plutôt celle d’offrir ces toiles à une institution publique qui puisse les mettre à la disposition du public et de la communauté scientifique, si possible à titre gratuit.
3. Comprenez-vous la révolte des artistes, la révolte de Blu ? Est-elle justifiée selon vous ?
Ce n’est pas la première fois que Blu efface ses interventions et je ne pense pas que ce sera la dernière. D’autres artistes ont déjà entrepris un tel parcours dans le passé ou même très récemment : pensez au sculpteur Gérard Gartner qui, en janvier dernier, a détruit non pas une, mais toute ses œuvres en une seule fois ! Blu, comme tout autre artiste, est donc libre de s’exprimer quand et comme il le préfère, mais son opinion rejoint celle du propriétaire du mur, des citoyens de Bologne, des chercheurs qui s’intéressent à ces sujets, c’est-à-dire du public au sens large du terme.
Concernant le débat sur le passage de la rue au musée, je souscris ce qu’Andrea Baldini, chercheur à l’université de Nanjing (Chine), constate : le street art n’est plus un signe de révolte dans la rue, parce qu’il ne génère que du consensus. Le public attend avec impatience les nouveaux murs de Banksy ou de Blu, alors qu’il réagit scandalisé quand l’art urbain rentre au musée. Si le but de ces artistes est de gêner, le musée, paradoxalement, devient alors le nouveau territoire de la révolte…
4. Que diriez-vous à Blu s’il acceptait le dialogue ?
Blu a été contacté à plusieurs reprises, avant et après la dépose de ses interventions. Il a demandé de rencontrer les restaurateurs, mais il ne s’est pas présenté au rendez-vous. Des artistes bolonais lui ont proposé de repeindre ses murs pendant l’été 2015, mais il a préféré attendre le weekend avant l’inauguration de l’exposition pour intervenir. Je ne pense donc pas qu’il soit intéressé par le dialogue. Il agit à sa manière, en pleine liberté.
5. Est-ce que cette situation vous peine ? Vous fâche ? Comment la vivez-vous ?
Vous savez combien de murs peints disparaissent chaque jour au monde ? Le « buffing » est inscrit dans l’ADN du writing et du street art : un mur propre est un mur vide. D’ailleurs, certains des murs repeints à Bologne étaient déjà re-repeints le matin suivant. Ce qui me gène ce ne sont pas les murs gris, mais le fait de constater que, même si Berlusconi n’est plus au pouvoir, le Berlusconisme a bel et bien infiltré les modes de pensée politiques italien, à droite comme à l’extrême gauche.
Vu de l’étranger, l’information transmise serait qu’un artiste est en train d’effacer ses murs afin que le « pouvoir » institutionnel ne privatise et ne spécule pas sur son art. Le billet d’entrée au musée, 13 euros, serait une preuve supplémentaire de cet acte amoral. Il n’a pourtant jamais évolué. Le conseil d’administration du musée a même prévu que si l’exposition générait un excédent, il serait reversé à des structures de projets d’arts urbains à Bologne.
Personnellement, contribuer au financement d’un musée, comme d’un théâtre ou d’une salle de concert ne m’a jamais posé de problèmes. En revanche, à l’échelle locale, je constate qu’une force politique d’extrême gauche, avec le consensus silencieux d’un artiste, n’hésite pas un instant à détourner à des fins privés – obtenir un minimum de visibilité dans la campagne électorale pour la Mairie en cours – le travail d’une équipe de chercheurs internationaux, avant même que l’exposition n’ouvre ou que le catalogue ne soit publié. Ce qui me fâche et m’attriste est de voir que des mouvements radicaux de gauche trouvent normal d’avoir recours aux mêmes stratégies de communication de Donald Trump. L’héritage des mouvements altermondialistes des années 2000 se réduit-il vraiment à cela ? Un débat compliqué qui amène beaucoup d’interrogations. Une œuvre urbaine a-t-elle sa place dans un musée ou doit-elle rester dehors quitte à disparaitre? Jusqu’où l’artiste peut-il s’approprier une œuvre créée dans la rue ? Quoiqu’il en soit, à l’heure actuelle, les seules œuvres restantes de Blu à Bologne se trouvent maintenant à l’intérieur du Palazzo Pepoli.
Marie Dufour [Photos : © Blu © MICHELE LAPINI © Palazzo Pepoli, Musée de la ville de Bologne © spraymiummagazine.com ] |
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