Le Centre Pompidou consacre Hervé Télémaque
Hervé Télémaque Ouvert de 11h à 21h tous les jours, sauf le mardi L’exposition sera présentée au musée Cantini à Marseille du 19 juin au 20 septembre 2015 Centre Georges Pompidou M° Hôtel de Ville |
Jusqu’au 18 mai 2015
Il était temps ! Le Centre Pompidou consacre enfin une exposition à Hervé Télémaque (né en 1937), artiste qui s’est imposé sur la scène artistique française des années 1960-1970, figure centrale du courant éphémère de la Figuration narrative. Mais sa carrière va bien au-delà, ce que démontre l’exposition. “Il s’agit de ré parer une injustice”, justifie le commissaire de l’exposition, Christian Briend, “parce que, parmi les membres du groupe de la Figuration narrative, Hervé n’a jamais eu d’exposition au musée national d’art moderne, contrairement à la plupart de ses confrères : je pense à Erró, Eduardo Arroyo, Valerio Adami…” Gérard Fromager devra quant à lui patienter jusqu’en 2016. L’institution nationale a l’habitude de prendre son temps pour mettre à l’honneur les artistes français qui ont marqué leur époque, il suffit de rappeler la tant attendue exposition de Pierre Soulages en 2009 alors que l’artiste fêtait ses 90 printemps. Ce retard a cependant quelque chose de paradoxal concernant Télémaque lorsque l’on sait que les musées de l’Hexagone l’ont soutenu très tôt et ce, tout au long de sa carrière : le musée Cantini de Marseille achète le tableau Suite à Magritte – Les Vacances de Hegel, n°1 dès 1972, une variation ironique sur le célèbre tableau de Magritte représentant un verre d’eau posé sur un parapluie.
Ce premier achat est la conséquence directe du projet d’exposition au Grand Palais porté par le Président Georges Pompidou, “Expo 72”, qui se voulait être une vitrine de l’art contemporain en France. Hervé y exposait deux œuvres. Et cet intérêt ne s’est pas démenti au fil de sa carrière : le musée des beaux-arts de Dole, le musée d’art de Toulon, le musée d’art moderne et contemporain de Nice, les Fracs, le Fnac, le LaM de Villeneuve-d’Ascq… Une réserve très riche dans laquelle il était très simple de puiser pour monter une exposition rapidement, facilement et à moindre coût. C’est ainsi qu’ont été réunies près de 70 œuvres, complétées des prêts de collections privées pour y associer quelques pièces maîtresses telle Confidence, œuvre inscrite au catalogue de “L’Écart absolu”, la dernière exposition surréaliste orchestrée par André Breton en 1965 à la galerie L’ŒIL à Paris. Elle a été acquise il y a seulement quelques mois par le brillant collectionneur suisse Jean-Claude Gandur et fait l’objet de la publication d’un livre d’entretiens entre Télémaque et la critique d’art Alexia Guggemos. Parmi les œuvres phares, citons également My Darling Clementine – une sorte de polyptyque dont le titre est inspiré par le film éponyme de John Ford (1946) et où le peintre se représente mi-flibustier mi-cow-boy – qui a été rejointe récemment par Canopée, permaculture (offerte par la galerie Louis Carré), Caca-Soleil (sorte de relecture ironique du Grand verre – La Mariée mise à nu par ses célibataires de Duchamp auquel le musée tenait particulièrement), La Femme adultère (à partir de Nicolas Poussin), Entre-jambes (avec le garde du corps) et Blême (la chambre noire), donation de l’artiste. Un artiste passionné que l’on ne peut enfermer Il était important que cette exposition aux allures de rétrospective – construite autour d’un parcours chronologique – ait lieu aujourd’hui pour resituer le travail de l’artiste qui n’a cessé d’évoluer. Passionné, il s’est toujours lassé rapidement, impossible de le voir s’enfermer dans une technique ou un style, d’où un renouvellement permanent : se succèdent une période pop, un travail sur des objets, des collages, des assemblages de bois recouvert de marc de café et enfin des fusains. Il n’hésite pas à se mettre en danger, particulièrement lorsqu’il abandonne la peinture en 1968 – “la peinture m’apparaît alors dérisoire”, écrit-il – pour créer des sculptures, ses “combines”. Il avance masqué derrière ce double héritage surréaliste et vaudou – Télémaque est resté en Haïti jusqu’en 1959 –, où l’objet est doué de vie, activé par le verbe performateur comme chez les Égyptiens pharaoniques. Le vocabulaire de Télémaque se met en place, et certains objets feront presque office de signature, à l’instar de cette canne blanche d’aveugle, chère à Bruegel dans sa Parabole des aveugles, mais aussi compagnon du Baron Samedi dans le vaudou. On la retrouvera régulièrement dans ses tableaux, aux côtés de la cloche, du sifflet, des chaussures de tennis, des clous, de la gaine… Dans ces associations, il ne faut pas y voir une tentative de rébus, ce serait là faire fausse route : “Je produis un discours fictionnel cohérent avec le vécu et non pas un jeu frivole et léger attaché au sens réel des choses, qui serait le propre du rébus”, nous confie-t-il. Alexia Guggemos l’a très bien cerné : “Hervé Télémaque est de ces artistes qui chassent la surprise pour mieux l’attraper. Sans cesse à la recherche d’indices, de divergences et de tout ce qui dans la théorie reste en suspens. Maître de l’oxymore, il fait jaillir l’éclair de l’inattendu, développe les formes les plus déroutantes, comme pour nous révéler les singularités de l’existence. […] la surprise se tient du côté de l’énigme dont le pouvoir réside dans la séduction qu’elle exerce.” Un peu de surréalisme, de poésie et du souvenir de Gorky Il déstabilise, surprend, s’amuse et ne peut donc être circonscrit à la Figuration narrative. Ce mouvement a été nommé par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot à la suite de l’exposition événement qui s’est tenue au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1964, “Mythologies quotidiennes”. Hervé Télémaque se souvient dans le livre d’entretiens Confidence : cette exposition rassemblait “trente-quatre artistes ayant pour point commun la recherche d’un langage nouveau face à l’usure de l’Abstraction lyrique parisienne et à l’Expressionnisme envahissant de New York. Nous introduisons tous à l’époque des mécanismes narratifs pour tenter de décrire le paysage politique que nous vivions : guerre au Viêtnam pour certains, paysages sexuels ou introspectifs pour d’autres. Chacun de notre côté développons des compétences inédites.” Hervé rejette “le bavardage pop” comme il le définit pour s’attacher au contenu, au propos qu’il peut développer dans ses toiles, à la poésie également. Son esprit est pétri de l’approche surréaliste d’un Magritte, de l’univers d’un De Chirico et son pinceau imprégné du souvenir d’Arshile Gorky, ce peintre qui a marqué les premières années de l’artiste à New York. C’est d’ailleurs avec un hommage à ce dernier que se termine l’exposition, le dernier tableau peint par Télémaque. Avant de se suicider en 1948, Gorky avait réalisé un grand dessin, Le Moine noir. Ici, ce sera un tableau plus monumental (2 m x 2,50 m) et un moine comblé. “J’ai voulu faire un hommage gai”, s’amuse Télémaque, “une sorte de testament pictural”, avoue-t-il le cœur serré. Mais, l’artiste étant porté par cette curiosité de la quête picturale qu’il mène depuis plus de 60 ans, on ne peut y voir là que la fin d’une période, une page qu’il va tourner pour nous emmener ailleurs, nous surprendre encore avec un nouveau chapitre qu’il n’entrevoit qu’à peine. Sage ou sophistiqué, peinture ou dessin, écriture ou poésie, à lui de nous le dire. Stéphanie Pioda [Légendes. Portrait de l’artiste, 2014. Photo : Philippe Migeat, Centre Pompidou / Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux, 1965, huile sur toile – 80 x 80 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. MNAM-CCI/Dist. RMN-GP. Photo : Philippe Migeat, Centre Pompidou © Adagp, Paris 2014 / My Darling Clementine, 1963, huile sur toile, papiers collés, boîte en bois peint, poupée en caoutchouc – 194,5 x 245. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. MNAM-CCI/Dist. RMN-GP. Photo : Philippe Migeat, Centre Pompidou © Adagp, Paris 2014] |
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