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Laurent Elie Badessi, révélateur universaliste du sensible

5 novembre 2009
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LEB_Portrait

 

L’image, un rapport intrinsèque
Dès son plus jeune âge, Laurent montre son intérêt pour l’image par le dessin, pour muter à l’adolescence vers la photographie. Elle ne le quittera plus. Grâce à sa maîtrise du médium, comme un voyeur, il révèle ses réflexions sur le monde, son émerveillement pour l’espèce humaine dans toute la splendeur de sa diversité. Son altruisme exacerbé lui donne le goût du voyage. Dans les années 80, alors qu’il étudie pour son projet de maîtrise photo à l’université de Paris VIII, Laurent Elie Badessi part en Afrique pour analyser le rapport qu’a le peuple tribal avec le médium photographique. Il emporte  avec lui une kyrielle de tenues de créateurs, et laisse aux autochtones le soin de la réappropriation du vêtement en rupture avec les codes occidentaux. C’est ainsi que naissent des clichés insolites qui lui permettent d’étudier l’impact de l’image sur les sujets, et par extension la place du photographe au sein de la population. Ce sera celle d’un magicien. À la faveur de toucher la quintessence de la réalité, s’ajoute un attrait pour la mode, le costume et le corps. Des critères qui émaneront de tous les travaux artistiques et professionnels de cet alchimiste de l’image. À 18 ans, pour financer ces études, ces photographies sont déjà publiées dans le magazine de référence Vogue Hommes aux côtés d’illustres noms de la photographie.

Un parcours polyvalent et harmonieux
Des débuts prometteurs qui présagent une carrière de photographe professionnel prolixe. Il oscille entre publicité et mode pour subvenir à ses besoins ce qui ne compromet en rien un travail artistique assidu. Laurent Elie Badessi cumule plusieurs casquettes et regrette de devoir cataloguer ses différentes pratiques de la photographie. Qu’elles soient commerciales ou artistiques toutes coïncident avec une même grâce créative. Lorsqu’il photographie des modèles non professionnels pour une série de nus dans le cadre d’un opus intitulé Skin en 2000, il s’intéresse à l’être, à la beauté pure et transcendantale. Il revient à ses premières amours, le dessin, esquisse des images fantasmées et met en scène au travers de voyages des corps dont la beauté le subjugue. S’il apprend à ses modèles à s’aimer et leur donne confiance, ce travail marque pour lui une légitimité artistique. Il s’enrichit des relations consentantes et complices avec ces mannequins d’un jour et parvient à figer l’inattendu. En vertu d’une autonomie créative, Laurent Elie Badessi s’épanouit également dans la publicité. Il signe une campagne pour la prestigieuse marque Charles Jourdan succédant au photographe Guy Bourdin. Cette commande commerciale s’intègre dans sa démarche artistique et c’est en cette qualité que la série de photographies est intégrée a la collection permanente des Arts Décoratifs a Paris. La mode et le luxe restent des leitmotivs prépondérants dans la production du photographe, qui conjugue son métier à sa passion.

Un œil sur le monde, inspiration téméraire
Exilé depuis vingt ans aux Etats-Unis, Laurent Elie Badessi témoin et observateur, réalise en 2006 une œuvre à la croisée des chemins entre esthétisme, publicité et journalisme, c’est American Dream. Bien qu’il cherche à la sublimer, il n’en demeure pas moins très fidèle à la réalité. Et c’est au gré de ses nombreux voyages à travers le monde qu’il développe un regard éclairé sur l’actualité et confère à sa démarche un caractère journalistique. Son expérience de Français expatrié outre-Atlantique lui suggère de poser un regard sur une situation ambiguë, celle de la vision de l’armée et de la guerre aux USA. American Dream ancre directement sa thématique dans le déni de l’obscure réalité des troupes américaines en Irak et l’image rendue d’une guerre aseptisée, fait des médias. Lui qui au travers des discours avec ses grands-parents qui ont connu les deux guerres mondiales a une représentation réaliste et inquiétante des grands conflits, confortée par la littérature, le cinéma et les médias, s’est familiarisé avec la peur de la guerre. Sa vision panoramique du monde, son accès à la presse étrangère ont engagé une réflexion sur l’absence de discernement des Américains vis-à-vis de la visibilité du conflit en Irak. C’est ainsi que son attachement pour le sujet survient, résultat de ses interrogations d’enfant et d’une expérience pragmatique de la rupture entre une culture emprunte du passé et cette notion inexistante aux Etats-Unis en tant que Français.

americandreamAmerican Dream, une histoire contée
Il puise dans la presse étrangère pour fonder son questionnement et articule son travail sur American Dream, non pas comme une critique mais avec une approche journalistique singulière au regard d’une vive prise de conscience, et face au regret de ne pas partager certaines valeurs avec cette patrie qui l’accueille. Il se base sur les campagnes publicitaires nombreuses aux USA en faveur de l’armée – une institution hors d’atteinte – et met en scène le miroir du passé et du présent des soldats pris au piège d’un système ravageur. Pour ce faire, Laurent Elie Badessi use de puissantes symboliques révélant des soldats en uniformes dans une série de cinq portraits face à leur semblables en noir et blanc. Présentés comme l’alignement d’un escadron, ses militaires, héros et victimes, transcendent la vérité d’une histoire pugnace et cyclique. American Dream n’est autre que le recul de vingt ans sur l’occultation dans les médias, principalement sous l’ère du Président Georges W. Bush, d’une guerre destructrice. Tant sur le terrain que dans la chair même de la patrie, que se refusent à voir les citoyens, auprès de qui le message ne passe pas. Avec le constat tout de même que, depuis l’arrivée – historique – de Barack Obama, la situation se délie. Bien conscient du pouvoir de l’art et de l’image, Laurent Elie Badessi prône un certain engagement à travers ce postulat. Il tâche de figurer les dessous d’une guerre polémique, ses lacunes médiatiques, une réalité décevante, et le trop grand nombre de morts pour rien. C’est un projet réfléchi par un travail de recherche, en amont, dans l’actualité à la télévision et dans la presse. Cette actualité est ensuite ingérée, puis retranscrite par ce pont entre esthétisme et information à l’instar d’un scénario.

Un propos controversé, un accueil hostile
Le parti pris de l’artiste a fait des émules dans le pays pour lequel était destinée American Dream. S’il a pu utiliser de véritables uniformes pour habiller ses modèles, la démarche journalistique de Laurent Elie Badessi se voit amortie par l’emploi de modèles plutôt que de vrais soldats. Ces derniers liés à l’armée auraient trahi l’institution qui les couvent en participant à une telle œuvre. Le réalisme d’American Dream touche ainsi une limite, compliquée techniquement par des opinions divergentes entre les sujets et le sujet lui-même. Mais la mise en abîme ne s’arrête pas là : l’œuvre donne à voir le refus des Etats-Unis à accepter et montrer les images d’une guerre bien réelle et catastrophique ; cette oeuvre est ensuite rattrapée par la situation puisqu’elle fait elle-même l’objet d’une désapprobation. Laurent Elie traduit cette guerre « fanstamée » en attribuant à ses photographies une dimension policée et une force symbolique poussée à son paroxysme. Il ouvre le sillage d’une polémique et crée la controverse. Il reçoit jusqu’à des reproches racistes de la part de certains détracteurs américains. Et ce sont peut-être ces réactions violentes qui alimentent la pertinence de son sujet. Curiosité et maturité l’ont mené jusqu’à cette création affirmée, et quand bien même une poignée de collectionneurs et acteurs du monde de l’art aux Etats-Unis se sont sentis offensés, Laurent Elie Badessi assume sa pensée et l’expression qu’il exploite. Seule la galerie Adler Bertin-Toublanc de Miami a accepté d’exposerAmerican Dream en coordination avec la Foire de l’art contemporain Art Basel. Et hormis l’article d’une journaliste américaine pour le magazine international Eyemazing, et la presse européenne, l’œuvre de Laurent Elie Badessi n’a été traitée par aucun média US. Mais l’artiste se félicite d’avoir la liberté d’exporter sa production où qu’il veuille : un contre-pied au rejet qu’il a connu aux Etats-Unis.  

La photographie dans tous ses états, vecteur magnanime
S’il se refuse à généraliser, malgré le constat qu’une « partie des Américains préfère entendre un mensonge qui sonne bien plutôt qu’une vérité qui blesse », Laurent Elie Badessi continue à s’intéresser au monde et à ses complexités avec fougue à travers des images comme des histoires. Se faisant ainsi l’architecte de tant de mises en scène esthétiques et symboliques, fruits de son intérêt pour les choses de la vie et d’une curiosité insatiable. La notion d’humanité prend une part considérable dans toutes les démarches de Laurent Elie Badessi, comme en témoigne Skin et American Dream, qu’il s’agisse du respect de la nature ou des faits de sociétés les plus graves. Réaliste quant à la standardisation ambiante du fait de la mondialisation, Laurent cultive son appétence pour les cultures hétéroclites. Avide de  diversité, il profite, derrière son appareil, de tous ce que les richesses du monde et des hommes peuvent rendre. Son cheval de bataille : prendre conscience de sa planète, et la photographie lui donne ce luxe d’en extraire ses trésors et ses quelques vérités…

 

Derrière la mode, la publicité, l’art, le photojournalisme, se dissimule le regard ébloui et l’âme philanthrope et esthète d’un homme animé par des convictions. Il a recours à la lumière pour mieux atteindre les sources mêmes de l’espèce humaine.

Hélène Martinez

 

Interview express

Quelles sont vos racines réelles ou imaginaires ?
Elles sont internationales, je suis un citoyen du monde !

Existe-t-il un espace qui vous inspire ?
C’est en général la nature, le désert, les grands espaces, comme un infini, qui est en fait le symbole de la photographie. Pour Skin, j’ai beaucoup travaillé dans le désert et en Afrique. On peut vraiment y réfléchir. C’est un peu comme une page blanche, et on peut tout y inventer, tout imaginer.

Quelles sont vos obsessions et comment nourrissent-elles votre travail ?
J’ai une obsession d’être là et de ne pas faire assez pour les gens qui souffrent dans le monde. J’essaie de faire ce que je peux au travers de mes différentes participations a des œuvres caritatives et aussi directement au travers de mon art dès que je le peux, soit par des dons de la vente de mes photos ou en abordant dans mes œuvres des sujets humanitaires qui nous font réfléchir sur des questions importantes. Mais j’éprouve souvent le sentiment que je devrais dans un avenir proche faire beaucoup plus – d’aller à nouveau sur le terrain pour me rendre compte de leurs besoins et de les aider en m’impliquant plus concrètement. Je suis notamment beaucoup touché par le problème de l’eau dans le monde et je travaille déjà depuis quelques années avec une fondation internationale la Global Water Fund à monter des projets artristiques qui ont pour but de sensibliser les populations à ce grand problème et  aussi trouver des fonds pour aider ceux qui sont les plus affectés par ce fléau.

 

Croyez-vous à l’existence d’un mot, d’un geste, d’un son, d’une image absolue ?
Je crois davantage en la pluralité des choses, c’est la beauté de la vie, des découvertes et la diversité qui font la richesse. 

Quelle dimension tient votre travail dans votre vie ?
Il remplit une place primordiale. J’ai souvent pensé que c’était trop, mais c’est l’amour de ma vie, ce qui peut sembler égoïste aussi.

 

Lire la critique de American Dream sur Artistik Rezo

 

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