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Laura Spiessert et sa poésie organique

Margot Pain 20 avril 2021
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© Verena Thompson

Laura Spiessert est plasticienne. Plongée dans son fascinant univers pictural, une représentation métaphorique du corps, entre douceur érotisante et violence charnelle.

Peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours artistique ?

J’habite et j’exerce à Meaux en Seine-et-Marne. J’ai commencé à peindre lorsque j’étais au lycée, mais c’est en intégrant une classe d’approfondissement en Arts Plastiques que j’ai pu vraiment développer les prémisses de ma pratique actuelle par la découverte de l’aquarelle, l’expérimentation de plusieurs autres médiums et surtout l’affirmation d’une identité artistique. Ensuite j’ai poursuivi mon cursus jusqu’au master à l’Ecole des Arts de la Sorbonne, au sein de laquelle ma démarche s’est étoffée, aussi bien plastiquement que théoriquement. En parallèle, j’ai entretenu une vie associative au sein du collectif La Ronde de Nuit, avec lequel j’ai réalisé de nombreux événements culturels. J’ai eu l’occasion d’y exposer mon travail, et aujourd’hui je suis auto-entrepreneuse en tant qu’artiste-auteure.

© Laura Spiessert

Ton travail gravite autour du corps et de son organisme. Comment ce sujet s’est-il retrouvé au cœur de ton travail ?

La représentation du corps m’est venue assez tôt. Petite je dessinais déjà des figures féminines tirées de contes ou de dessins animés : des princesses, des fées, des sirènes… Tout particulièrement des sirènes, d’ailleurs ! C’est peut-être pour ça que j’en suis venue, des années plus tard, à vouloir détourner l’image du corps, en commençant par les couleurs, en teintant les chairs de tons bleuâtres. J’ai ensuite complètement inversé le processus pour ne garder que les couleurs du corps, en supprimant toute composition figurative. Dans cette exploration abstractive, ce qui m’intéressait, c’était d’extraire les couleurs de la chair et de retranscrire quelque chose proche de la peau humaine, par la confrontation entre un papier très texturé et une aquarelle translucide, comme si j’avais eu ce besoin d’un passage par l’abstraction pour ensuite reconstruire le corps à ma façon.

© Laura Spiessert

En regardant ton travail, on peut à la fois ressentir une forme de douceur et une certaine violence. Comment expliques-tu ce paradoxe ?

Ce paradoxe entre douceur et violence vient du fait que les images que je propose sont réalisées avec des teintes très douces, notamment grâce à l’aquarelle et sa translucidité, que je confronte avec des nuances de rouge très vives, obtenues en concentrant beaucoup d’aquarelle. Cela renvoie à quelque chose de très sanguin, à la blessure qui ouvre sur l’intérieur du corps. Certains éléments accentuent cette sensation d’avoir affaire à des viscères, mais l’utilisation d’une technique non réaliste atténue la représentation violente de l’organisme. Mon interprétation se fait donc d’une manière poétique, en partant d’éléments qui pourraient paradoxalement être rebutants, car ils rappellent l’intérieur effrayant de nos organismes.

Tu ne te cantonnes pas à l’utilisation d’un seul médium. Que t’apportent les différentes techniques que tu emploies ?

Globalement les médium utilisés sont les reflets de mon évolution. L’aquarelle est mon médium de prédilection. Moyen de réflexion et d’expérimentation autour du corps, j’en ai tiré des formes que j’ai appris à manier dans toute leur fluidité. Mais j’ai presque usé cette pratique de l’aquarelle, car pendant des années j’étais dans une démarche de vouloir en extraire toutes les capacités, tout en pratiquant parallèlement le dessin, un travail de la ligne que je distinguais complètement de la peinture. Je me suis cantonnée longtemps à ces deux techniques. Toutefois, j’ai eu envie d’aller voir ce qui se passait ailleurs.

À vrai dire, à l’université, nous devions trouver une cohérence entre la théorie et notre pratique artistique. Grâce à cette manière de procéder, j’ai donc développé de réelles connaissances et une réflexion aboutie. Mais je me sentais limitée et je ressentais un manque de lâcher prise pour explorer et prendre le risque de découvrir de nouveaux supports. Lorsque j’ai terminé mon cursus universitaire, j’ai donc voulu dépasser ces limites en expérimentant, en ajoutant et en mélangeant pour diversifier mon univers et élargir ma pratique. C’est là que j’ai rencontré le collage, le travail du volume, la couture, le numérique… Des connexions se sont faites naturellement entre les formes créées sur tel ou tel médium. Toutes les formes produites semblent liées.

Quelles sont tes inspirations artistiques ?

J’ai quelques grandes références comme Marlène Dumas qui m’a beaucoup inspirée par sa manière de diluer la peinture. Ses figures créées à partir de tâches qu’elle laisse s’écouler sur le papier me touchent particulièrement.

Les textures de Jean Fautrier m’évoquent aussi quelque chose de très charnel. Son art informel m’a beaucoup parlé quand j’étais dans une période abstractive, car j’avais un certain rapport avec la matière. De plus, dans ma manière de retranscrire la chair, je me retrouvais mieux dans l’idée d’ « informel » que dans le terme « abstrait ».

Je considère aussi la chanteuse islandaise Björk comme plasticienne de talent. Ce qu’elle fait est bien plus que de la musique : elle crée des univers où les formes et les couleurs semblent vivantes, aussi bien le minéral que le corporel ou le végétal. Toute cette organicité m’a forcément inspirée.

Et parmi mes autres références, on retrouve bien sûr Georgia O’Keeffe, notamment pour sa série de fleurs qu’elle parvient à retranscrire de manière si sensible. Ses fleurs ont quelque chose d’assez érotique. Cette artiste avait un rapport si intime avec son sujet qu’il s’en dégageait une grande sensualité. Ça évoque d’ailleurs quelque chose qui s’est longtemps joué dans mon travail : un jeu d’ambiguïté entre le corporel et le végétal.

© Laura Spiessert

Que cherches-tu à provoquer en confrontant les visiteurs à ces amas organiques ?

Premièrement, cela peut paraître large ou bateau, mais j’ai envie de susciter une émotion. N’importe laquelle ! Instinctivement, j’ai envie de toucher le spectateur autrement qu’avec des mots. J’ai déjà constaté ce phénomène avec certaines personnes qui regardaient mon travail : elles se sentaient touchées, happées, sans toutefois pouvoir expliquer comment ou pourquoi.

C’est exactement pour ça que je fais de l’art, pour transmettre, trouver la forme ou la texture qui va créer une émotion. Je propose des images organiques qui font écho à ce qu’on a à l’intérieur. Je pense que si ça touche autant certaines personnes, c’est parce qu’il y a ce rapport avec les organes, la chair, parce que cette vibration titille l’âme grâce à ma démarche, poétique, qui transcende le côté macabre d’un amas de chair, qui le rend plus doux, plus accessible.

© Laura Spiessert

En tant qu’artiste, comment vis-tu les contraintes d’isolement actuelles ?

Comme tout le monde, je suis lasse. Un(e) artiste qui travaille en solo a cet avantage de pouvoir malgré tout créer. Seulement l’isolement a aussi ses limites. À un moment donné, on a envie de montrer son travail et de créer un échange. Donc, mon travail n’a pas trop de sens sans monstration au public.

Heureusement, j’ai eu la chance de pouvoir exposer entre deux confinements à l’OpenBach Galerie, dans le cadre d’une exposition collective suite à une résidence d’été. J’ai ensuite eu une exposition en duo avec l’artiste Louise de Crozals, qui a malheureusement du être écourtée à cause du deuxième confinement. C’est à partir de là que l’isolement m’a le plus pesé. Je manquais du contact avec l’extérieur pour me nourrir. Cependant, j’ai pu réaliser une fresque sur la vitrine de la Yellow Cube galerie, un moment de création intense.

As-tu un projet en cours que tu aimerais partager avec nous ?

Je continue à faire de la peinture, du collage, de la couture sur papier, mais il y a un projet qui me tient particulièrement à cœur et qui a émergé dans mon esprit depuis un certain temps, déjà : pouvoir muter mes dessins en tatouage. Je suis donc en train de constituer un book de dessins à la ligne, et j’ai passé une formation hygiène. Maintenant, pour faire les choses correctement, je suis en quête d’un cadre plus formateur au niveau de la technique pour pouvoir exercer. J’ai vraiment envie de faire proliférer mes formes organiques sur des corps, et peut-être même un jour y retranscrire mes aquarelles !

Propos recueillis par Margot Pain

Retrouvez Laura Spiessert sur Instagram

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