L’Atlas : “Il n’y a pas de frontière entre street art et exposition”
Le street artist l’Atlas nous ouvre les portes de son atelier. Découvrons aujourd’hui son univers artistique, à cheval entre street art et galeries. Il nous dévoile ses techniques de réalisation par la matérialité de ses œuvres et ses gestes de création.
Fais-tu des choix artistiques différents selon la finalité de l’œuvre (street art ou galerie) ?
À mon sens, il n’y a pas de frontière entre street art et exposition. Le fait d’exposer est déjà quelque chose d’urbain car on travaille à l’intérieur d’une architecture intérieure. De plus, quand on fait du street art, on travaille sur la peau extérieure du bâtiment. Je pense une exposition avec les mêmes processus de création qu’un mur à l’extérieur : je prends la mesure de la toile ou du mur et ensuite je divise le mur ou la toile en un certain nombre de lignes. Mon processus s’adapte à tout. Je peux peindre un piano, un dodécaèdre, une table, en fait tout ce qui est géométrique, tout ce qui est existant.
Perçois-tu un esprit de rébellion dans le fait de faire du street art par rapport à l’art en galerie ?
Pour parler de la rébellion, elle est partout. Aussi bien dans son choix de vie que la vision du monde que l’on exprime, que ce soit sur un timbre, sur une toile ou sur un grand mur dans la rue. Il n’y a pas d’échelle pour être un homme libre. Les projets dans la rue me permettent de prendre de la distance avec les contingences du marché de l’art. Si je faisais les choses sans autorisation au début, c’était par défaut. Pour créer un déclic. Ce n’était pas juste par amour du vandalisme, mais par amour de l’art, d’abord. Si j’avais attendu que l’on me donne une permission, je serais mort avant d’avoir fait quelque chose. Le street art c’est une manière de provoquer le destin, d’accélérer le temps.
Quels sont tes principaux supports de créations ?
Je fais 80 % de toile, mais j’utilise aussi des panneaux de rue, des barrières de police, des panneaux d’affichage. À présent, je travaille le néon. L’idée est de récupérer des fragments de rue, tout ce qui fait partie du décor urbain qu’on ne voit même plus, pour ensuite les réutiliser et les exposer en galerie. Plus récemment, je me suis mis à attaquer des matériaux moins urbains, comme le marbre, pour toucher l’aspect d’éternité, au-delà des codes civilisationnels. Avec un ami danseur, Lorenzo De Angelis, nous faisons des performances dans mes vernissages : il vient détruire le marbre, le “vandaliser”. Ensuite, le marbre reste exposé et explosé pendant tout le temps de l’exposition. Puis, je le reconstitue comme on le faisait en archéologie, c’est-à-dire que je pose un cadre et je le réexpose. Cette performance s’appelle Eternal Signs. Ce travail cherche à recréer la destruction du temps, la persistance de l’humain qui veut que les choses existent, malgré tout. Il se passe quelque chose entre la rigueur des lignes que je fais, et l’aléatoire du chaos de la brisure.
Quelles techniques utilises-tu dans tes œuvres ?
Au début, j’étais dans le graffiti pur, puis j’ai commencé à travailler avec des pinceaux, des khalams dans des pays arabes et asiatiques. La géométrie m’a permis d’accéder à une certaine “perfection” de la réalisation plastique. Je me suis inspiré beaucoup du kufi, et aussi des peintres en lettres qui, à l’époque, traçaient les pubs pour Dubonnet et qui, eux, travaillaient au pinceau, mais aussi avec cette technique de caches et de réserves à l’adhésif. Dans mon travail mes toiles sont réalisées à l’aide d’adhésifs en amidon de riz qui permettent que la tranche soit ultra nette, pour arriver à une certaine perfection de la lettre par la géométrie. Ensuite, quand j’utilise mes tampons, c’est l’effet inverse. Je vais prendre du lin qui est un peu épais, je vais jouer sur sa texture, sur l’accident contrôlé avec le dripping, la sigillographie, l’art gestuel. Parfois, quand je fais trop de séries optiques, je me sens contraint et j’ai besoin de retourner vers une peinture plus instinctive, plus gestuelle.
Quels rôles jouent les gestes physiques, les mouvements corporels dans tes créations ?
La peinture est un genre de chorégraphie, de kata. Je mets la toile à plat et je répète un certain logo, un certain lettrage, comme un danseur qui va répéter sa chorégraphie jusqu’à la perfection, le but étant de la connaître par cœur. J’ai toujours considéré que mon corps fait partie de l’œuvre. C’est pour cela que j’aime beaucoup les Time Laps. En calligraphie il y a un mot : Ductus. C’est le trajet que fait le stylo, à la fois quand on écrit, mais aussi quand on le soulève. C’est l’addition de ce que l’on a écrit sur la feuille et de ce qu’on écrit dans l’air. Le mouvement chorégraphique de l’artiste en train de peindre fait partie de l’œuvre.
Propos recueillis par Youlan Le Seignoux
Site de l’artiste ici
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