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« L’art brut et outsider en Iran » à la Galerie Claire Corcia

Matthieu Péronnet 22 novembre 2018
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Sans titre (détail), Reza Shafahi, acrylique sur carton 70x50 cm © Galerie Claire Corcia

La Galerie Claire Corcia expose huit artistes contemporains issus de l’art brut outsider en Iran. Voilà de quoi bouleverser notre rapport à ce pays et à cet art autodidacte ! À voir avant le 22 décembre 2018 !

Sans titre, Davood Koochaki | fusain sur papier, 50×65 cm © Galerie Claire Corcia

Peindre et dessiner « hors les murs » dans l’Iran contemporain

Que peuvent représenter des artistes lorsqu’ils vivent dans un pays où tout semble interdit, ou presque ? La question prend bien entendu une dimension particulièrement complexe quand ce pays est l’Iran et que ces artistes, tous autodidactes, trouvent un espace d’expression en dehors des règles et contraintes académiques.

Au-delà de ce carcan politique, religieux et social, au-delà de ce désir commun de création instinctive, quels points communs peuvent avoir les huit artistes iraniens exposés à la Galerie Claire Corcia ? En premier lieu, avoir traversé à des âges différents la Révolution Islamique de 1979 qui vit le pays se refermer sur lui-même.

Sans titre, Mehrdad Rashidi | pastel et stylo à bille sur papier, 41×30 cm © Galerie Claire Corcia

Révolution

Les six premiers artistes cumulent près d’un demi millénaire d’existence ! Ces six hommes ont en effet tous plus de 70 ans : ils avaient donc déjà atteint l’âge de la maturité lorsqu’éclata la révolution de 1979, qu’ils traversèrent avec plus ou moins de bonheur. Le septième artiste (Mehrdad Rashidi) est né en Iran en 1963 : à peine adulte lors de la révolution, en âge d’être enrôlé lors du déclenchement de la guerre avec l’Irak, il a fuit l’Iran vers l’Allemagne au début des années 1980.

Le huitième artiste est une jeune femme de 28 ans, qui vit dans une ville du nord de l’Iran ; elle n’a donc pas connu d’autre régime et d’autre situation que l’isolement de son pays sur la scène mondiale. Il semble qu’elle soit la seule à être sortie de son pays, pour d’épisodiques expositions en France et en Serbie – paradoxe de la condition féminine en Iran qui l’autorise toutefois à voyager seule en dehors de ses frontières. Nous n’en saurons pas plus.

Une chose paraît évidente : bien qu’aucun n’ait reçu une formation artistique, chacun semble avoir une relation particulière à la culture millénaire de son pays, des prophéties zoroastriennes aux poèmes de Khayyâm (poète perse, 1048-1131), en passant par le Shahnameh (le Livre des Rois, publié vers l’an 1000).

Sans titre, Salim Karami | stylo à bille sur papier, 70×100 cm © Galerie Claire Corcia

Huit artistes, huit regards

Davood Koochaki, né en 1939, commença à s’adonner régulièrement au dessin après avoir pris sa retraite. Il a travaillé dans des rizières, puis dans un garage automobile. Ces dessins, réalisés pour la plupart au graphite, dans une dynamique de hachures croisées, représentent des créatures primitives, archaïques, qui semblent renvoyer aux mythes de Zoroastre, à un dualisme cosmique entre la lumière et l’obscurité.

Né en 1963, Mehrdad Rashidi s’est installé en Allemagne dans les années 1980. Ses dessins, entrelacs de figures humaines et animales, sont emprunts de nostalgie.

Décédé en 2013, à l’âge d’environ 75 ans. Salim Karami a laissé d’admirables dessins réalisés au stylo à bille, qui empruntent à la fois à l’art du tapis (les bordures, les motifs floraux stylisés et les couleurs où dominent le rouge carmin, le bleu marine et le blanc ivoire), de la miniature et de l’incrustation. Son sujet de prédilection est un arbre, qui nous rappelle immanquablement l’arbre de vie, symbole de fertilité, d’enracinement à la Terre-Mère et de lien entre le monde terrestre et les mondes invisibles (souterrain et céleste). La force des traits de stylo, l’explosion des couleurs, donnent une vitalité intense à ces arbres. Ses dessins nous rappellent que le mot « paradis » a été emprunté à l’ancien persan pairidaeza, littéralement « jardin clos ».

Reza Shafahi également né en 1939, a été lutteur, puis entraîneur de lutte. Il a commencé à peindre à 70 ans passés, principalement des femmes plus ou moins lascives, plus ou moins séductrices (selon notamment que ses œuvres sont exposées en Europe ou à Téhéran…), inspirées par la poésie de Khayyâm, le cinéma, la télévision et les actualités.

Zabiholla Mohammadi, né lui aussi en 1939, et Kazem Ezi, né en 1933, s’inspirent respectivement du Shahnameh, poème épique écrit avant l’an 1000, et de l’architecture des lieux saints chiites, avec le même art de la construction graphique et de la couleur.

Né en 1947, Mahmoodkhan a souffert de lourds handicaps qui l’ont isolé une grande partie de sa vie. Il dessine (au marqueur) des animaux, tels qu’il les voyait dans le village de son enfance, notamment des ânes… qu’il assimile à la condition humaine, obéissante et oppressée.

Enfin, Samaneh Atef née en 1989, exprime avec force son malaise d’être femme en Iran, au travers de la représentation de femmes harcelées par des présences menaçantes et d’arbres ramifiés sans feuillage. Ses dessins au feutre ne sont présentés qu’en dehors de l’Iran.

Sans titre (détail), Samaneh Atef | feutres sur papier @ Galerie Claire Corcia

« Contente-toi de savoir que tout est mystère »

Ce vers tiré d’un quatrain du poète Khayyâm nous servira de conclusion. Quel que soit son propos ou son vécu, chacun des huit artistes iraniens exposés à la Galerie Claire Corcia exprime avec force ses espoirs, ses illusions, ses doutes ou ses découragements, dans ce qui semble être un effort de vérité humaine.

Appréciation simple des plaisirs terrestres ou spirituels, attachement aux mythes historiques ou religieux, chacun semble vouloir nous montrer ce qu’il perçoit au-delà de la déception causée par les hommes ou la condition humaine.

Matthieu Péronnet

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