La Littorale d’Anglet prend position
LA LITTORALE #6 Du 26 août au 2 novembre 2016 Entre Biarritz et Bayonne, parcours en extérieur sur la plage |
Nouvelle édition, nouveau commissaire, nouvelle identité. Pour cette 6e édition, la biennale d’Anglet devient La Littorale et questionne ces lieux de villégiature traditionnellement associés aux plaisirs qui deviennent des frontières que les immigrés tentent de franchir. Son commissaire, Paul Ardenne, répond à nos questions. J’ai pris comme point de départ la notion contemporaine de littoral avec notamment l’aspect touristique – le balnéaire, les lieux de villégiature, la belle vie… –, mais aussi l’idée de la côte, et en particulier aujourd’hui la question des côtes européennes, nous emmenant dans une dimension politique. Même si l’immigration ne vient pas de l’Atlantique, les côtes sont aujourd’hui entachées d’une image très ambivalente, d’un côté il y a le plaisir, la détente et de l’autre, ce sont de nouvelles frontières, assez inattendues d’ailleurs. Le troisième thème nous parle quant à lui de l’écologie, ce qui est apparu comme une évidence en étudiant la géographie de la zone avec, au nord, le parc d’Izadia qui constitue un écosystème très grand.
Le territoire de la biennale est très étendu, entre Biarritz et Bayonne. Comment avez-vous imaginé la répartition des artistes en fonction du parcours ? Nous avons positionné le plus de structures autour de Biarritz, au sud, et l’autre point fort se situe au nord au niveau de Bayonne, où se trouve l’entrée du parc écologique. La plage n’est pas linéaire avec la côte rocheuse de Biarritz, et on aborde quand même un parcours entre ces deux pôles éloignés de 4 kilomètres. Je connaissais bien la biennale et j’ai toujours été gêné par le fait qu’elle n’était pas assez internationale. Cela vient du positionnement du directeur artistique d’alors, Didier Arnaudet, qui souhaitait favoriser la jeune création française. Mon point de vue était de dire que les artistes internationaux n’étaient pas forcément plus chers car les galeries qui les représentent peuvent toujours participer à une production. Donc, je voulais orienter cette édition dans ce sens et c’est pour cela qu’ils ont voulu changer de nom. Je leur ai proposé La Littorale, et ils ont adhéré. Toutes les œuvres sont des productions spécifiques. Pas uniquement comme l’illustre le travail de Rachel Labastie, la “régionale” de l’étape car elle est originaire de Bayonne, mais sa carrière est bien nationale voire internationale. Elle a créé une sculpture de barque échouée qui aurait tout à fait pu prendre place dans un espace muséal. Quelqu’un comme Conrad Bakker a produit une réplique de la mythique cabane d’Henry David Thoreau – l’auteur de Walden ou la vie dans les bois (1854) – construite dans les années 1850 à Walden Pond dans le Massachusetts, et où il a vécu pendant 2 ans, 2 mois et 2 jours – un petit peu moins en vérité ! Elle n’est pas très grande non plus ! Si on schématise, je pense que la proposition de Rachel Labastie est très belle pour évoquer la poésie et le génie du lieu : Anglet était une ville de pêcheurs, de baleiniers et les Basques allaient jusqu’au bout du monde. Cette barque représente tout un monde qui a disparu. Pour le balnéaire, je pense à Laurent Perbos, un sculpteur d’origine bordelaise qui vit à Marseille. Il a créé des espèces de palmiers qu’il a appelés Floride et qui sont en réalité une proposition kitsch faite d’étais de soutènement trouvés sur les chantiers de construction pour le tronc et, pour sa ramure, des “frites” colorées en caoutchouc dont se servent souvent les enfants pour jouer à leurs guerres imaginaires et où celles-ci jouent le rôle d’épées. Benedetto Bufalino, un artiste de Lyon, a créé une sorte de faux terrain de jeu sur la plage quasiment muré comme une enceinte fermée. Ce sont des œuvres généreuses qui se donnent à voir et qui ont une beauté plastique à laquelle je tiens, mais elles n’ont pas que de l’effet. Lucy + Jorge Orta ont créé le Studio Orta en 1992 avec un objectif à la fois esthétique et pratique : mettre en œuvre un type spécifique de design connu sous le nom de “design d’urgence”, de finalité humanitaire. Pour Anglet, ils ont conçu un véhicule de secours, avec du matériel de survie (des bouées, des seaux, des bouteilles, de quoi stocker et cuisiner, des lits de camp…) et à l’arrière se trouve un bureau proposant à quiconque aspirant à une vie équitable, respectueuse aussi de l’environnement, le Passeport Antarctica). Ils ont créé la nationalité mondiale ! Grâce à leur passeport, on pourrait circuler partout dans le monde sans avoir besoin de visa. Un acte signifiant, utopique sans doute, mais ouvert au principe, ici majeur, de la générosité. Placées sur l’estran, elles se vident de leur sable quand la marée monte. Cette création d’Andrea Mastrovito n’est pas seulement une réflexion sur les mouvements des peuples et la question des réfugiés, brûlante aujourd’hui. Elle est aussi, dans toute son évidence et sa simplicité, une proposition symbolique évoquant la condition humaine. Lutte continuelle, jour après jour, contre l’absurdité de la réalité. Propos recueillis par Stéphanie Pioda [Photos. Laurent Perbos, Floride © CommunicationCulture / Fabrice Langlade, Django © Xue Sun / Kemal Tufan, U-Boat © CommunicationCulture / Benedetto Bufalino,Terrain de sport © Benedetto Bufalino / Rachel Labastie, Enlisement © Nicolas Deprat]
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