La conscience humanitaire de Steve McCurry
Ses images ont fait le tour du monde. Steve McCurry est à l’honneur au Musée Maillol dans cette rétrospective, une première à Paris. Un voyage de Kaboul à New York à travers 200 clichés : les images de sa vie, ses voyages, des gens qu’il a rencontrés. Une œuvre sensible, vivante et engagée.
Comment oublier ce regard impressionnant, à la fois perçant et égaré ? Afghan Girl, l’un des plus célèbres clichés de Steve McCurry, figure évidemment en bonne place. Premier photoreporter américain à pénétrer en Afghanistan en 1979, au moment où les tanks soviétiques entraient dans Kaboul, il a rencontré cette jeune fille dans un camp de réfugiés. « L’expressivité de son regard concentrait toute la sauvagerie de la guerre », précise-t-il. Considérée comme la Joconde de la photo contemporaine, Sharbat lui vaudra le prestigieux prix Robert Capa.
Témoin d’un monde en proie à la guerre et à la violence
Au cours de sa carrière, il retournera plus de trente fois dans ce pays qu’il considère particulièrement « spectaculaire », sans pour autant négliger d’autres contrées en conflit : Cambodge, Liban, ex-Yougoslavie… Pourtant, « Je ne me vois pas comme un reporter de guerre. Je suis un photographe qui documente les mutations du monde », témoigne-t-il.
Quand, envahie par le Koweït, la péninsule arabique s’embrase en 1992, il est sur place. Ses images de corps brûlés au pied des puits de pétrole, figés dans la même posture que les victimes de l’éruption du Vésuve à Pompéi, feront le tour du monde. Tout comme celle des ravages que provoque la mousson à travers tout le sud-est asiatique jusqu’au milieu des années 1990. Il témoigne de désastres écologiques, sociaux, humanitaires, souvent avec une approche anthropologique.
Membre de l’agence Magnum et pilier du National Geographic, le photographe vient de fêter ses 72 ans, mais il continue de sillonner le monde pour inciter à aider les plus démunis, dont il s’évertue à toujours montrer la dignité : des travailleurs de l’impossible, des nomades, beaucoup de femmes, des gens qui ont vécu des épreuves. Des êtres fiers, quoi qu’il arrive, des personnalités marquantes aux physiques atypiques. Au-delà du chaos, la force du vivant. Certaines rencontres sont déterminantes, mais il y a aussi des hasards heureux, comme cette photo prise en quelques secondes à un feu rouge de Bombay.
L’humain au centre
On déambule pour découvrir plus de 150 photos imprimées en grand format dans un désordre apparent.Reliées entre elles, les images prennent pourtant un sens tout particulier. À proximité de ruines à Kaboul… celles de New York après le 11 septembre. Domicilié à moins d’un quart d’heure, le baroudeur est miraculeusement aux premières loges quand les tours jumelles du World Trade Center s’effondrent.
Le titre, le Monde de Steve McCurry, éclaire le choix de ne pas classer les photographies par date ou région : « Nos histoires personnelles et l’Histoire interagissent dans la représentation donnée par l’image que nous contemplons », précise la curatrice Biba Giacchetti, qui connait Steve McCurry depuis 25 ans. En tant qu’agent, elle organise toutes ses expositions. Un quart de siècle d’une relation de travail qui traverse les continents.
Intensité et élégance
D’emblée, des regards nous happent dans la galerie de portraits. Après le choc de cette attaque terroriste, Steve McCurry se recentre dès lors sur un travail plus personnel, notamment avec des enfants, ce qui a donné lieu à un livre sur l’innocence trop souvent bafouée (aux éditions de La Martinière), parmi une vingtaine d’ouvrages.
Il réalise aussi de sublimes photos de paysages (certaines des photos de fond d’écran de Microsoft sont de lui). Enfin, il consacre une série sur les lieux de culte, notamment bouddhistes. Ses clichés à la composition réfléchie incitent à la contemplation. Du Yémen, il a rapporté des images quasiment bibliques.
Sa maîtrise technique force l’admiration. Son style élégant, aux couleurs éclatantes, aux contrastes saisissants, a fait école. C’est assez classique, mais ses photos touchent car chacune renvoie à une histoire humaine. Connectés à leur environnement ou en prise directe avec le viseur, ses personnages sont toujours en interaction.
On ne peut décidément pas oublier ces œuvres, car Steve McCurry photographie avec son cœur. Un cœur immense.
Sarah Meneghello
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