L’autre chose à l’œuvre chez João Vilhena
Érothéisme, le dessin sacré Œeuvres de João Vilhena Jusqu’au 25 juillet 2015 Entrée libre Galeria Alberta Pane |
Né au Portugal et diplômé de la Villa Arson, João Vilhena vit et travaille en France. Lauréat du Prémio Rothschild Painting Award en 2003, l’artiste pratique le dessin et la peinture. Notamment présenté à Drawing Now et à Artissima, son travail fait actuellement l’objet d’une exposition intitulée « Erothéisme, le dessin sacré », à la galerie Alberta Pane jusqu’au 25 juillet 2015. À cette occasion, Art Media Agency est parti à la rencontre de cet explorateur de l’ambigüité des images.
Votre exposition mêle érotisme et sacré. Pouvez-vous en dire quelques mots ? Il existe entre l’érotisme et le sacré des ponts qui se créent presque naturellement ou que l’on peut établir. Le sacré ne se dissocie pas d’une structure d’interdits qui sauvegarde son principe même. L’érotisme est ce langage qui permet de contourner l’interdit sans le détruire. Le lecteur le sent assez bien dans les œuvres de Sade ou de Nabokov. Lolita, par exemple, témoigne bien de la façon dont la représentation érotique contourne les tabous. J’ai souhaité travailler sur ces notions parce que j’ai eu cette intuition que dans toute représentation il existait un langage érotique. Dans vos images, le public remarque aussi comme une intention de le tromper ou de le dérouter. Une certaine sensualité imprègne le trompe-l’œil dans la mesure où quelque chose est présentée mais se dérobe automatiquement sitôt qu’on se rapproche de l’image. Je perçois quelque chose d’érotique dans cette suggestion. Également, dans les flous et bords des documents photographiques représentés dans mes grands dessins. Ces flous ne sont pas structurellement érotiques mais noient l’image dans quelque chose de dilué, de voilé ou de dévoilé qui se révèle finalement être assez érotique. Ce jeu de dévoilement se retrouve-t-il dans vos titres en forme de contrepèteries ? Ces jeux de langages forment un mouvement similaire à celui des trompe-l’œil. Une idée est présentée mais derrière elle, autre chose est à l’œuvre, en filigrane. Dès que la pensée pour l’un et le regard pour l’autre deviennent opérants, quelque chose se dévoile et peut faire surface. Pour moi, l’un et l’autre ne sont pas si éloignés car le visuel relève de la pensée – l’image pense. En quoi l’image pense-t-elle ? La nature de l’image qui pense n’est pas tout à fait comparable à celle du texte, notamment du fait de sa “sémantique” différente. En revanche, en tant que visiteur d’expositions, je remarque que toute œuvre visuelle appelle un commentaire sans lequel on ne peut exprimer l’effet que nous fait l’œuvre en question. Cependant, le langage a ses limites et ne parviendra jamais à épuiser l’expérience visuelle. Qu’est-ce que le public doit penser face à une image aussi inquiétante que L’amour à bord ? Je me garderais bien de dire ce que le public doit penser. Mais si je dois commenter cette œuvre, je préciserais que le document au départ de l’œuvre était déjà très ambigu et violent. Ce personnage masculin dont un masque d’ombre dissimule l’identité apparaît à la fois inquiétant et surnaturel. Sa main, qui saisit la jeune femme, semble comporter beaucoup trop de doigts pour une main normale. D’autre part, le personnage féminin paraît à la fois subir une agression et en tirer un certain plaisir, ce qui contribue largement à l’ambiguïté de l’œuvre. Ça, ça me plaît. Ces images sont inspirées de photographies anciennes. Pourquoi ce choix ? Je me suis beaucoup intéressé à cette imagerie-là mais je ne cherche pas vraiment à comprendre l’origine de cet intérêt. Peut-être parce que je perdrais ce goût si j’en comprenais la raison. Avec l’invention de l’argentique, cette période de la fin XIXe et début XXe connaît la banalisation de l’image photographique. L’apparition de la carte postale rend le médium plus accessible et l’ouvre à une grande diversité de sujets, du tourisme à la guerre en passant par les starlettes, la pornographie, etc. En travaillant avec ces documents centenaires, j’ai l’impression de traiter des thèmes actuels tout en prenant un certain recul. Ces thèmes sont plutôt sombres. Vous êtes passé par une période plus humoristique dont le dessin Fouille courageuse, également exposé chez Alberta Pane, semble plus proche. Je ne sais pas. Cet homme monté en haut d’une montagne pour y donner un coup de pioche [dans Fouille courageuse] relève plutôt d’une sorte d’absurde dramatique. Mais j’ai tout de même l’impression qu’un certain humour, sans doute grinçant, persiste dans toutes ces œuvres, y compris dans L’amour à bord. Ou peut-être apparaît-il davantage dans les contrepèteries des titres ? Pouvez-vous parler du type de papier que vous utilisez ainsi que de la pierre noire ? J’utilise du papier recyclé, un support qui n’est généralement pas considéré comme noble et pas employé pour le dessin. Mais l’idée du recyclage m’intéressait, peut-être parce que je travaille avec des documents, une imagerie que je recycle, à laquelle je donne un nouveau souffle. En revanche, je ne saurais pas vraiment expliquer pourquoi j’ai recours à la pierre noire, si ce n’est pour la profondeur de ce noir. Il permet de donner une gravité à des sujets que je tente d’exprimer avec humour. Peut-être que j’aime cette forme de décadentisme qui mêle humour, provocation et mélancolie. Comment se présente cette pierre ? C’est un schiste argileux. À l’inverse du fusain, elle a donc une origine minérale. Je l’achète en bâton ou en crayon mais l’utilise très peu sous cette forme. En général, je la réduis en une poudre que j’applique sur le papier recyclé à l’aide d’un coton, par frottement. En nuançant avec une gomme, cela me permet de réaliser des dessins qui ont cette facture photoréaliste sans prendre la peine de dessiner au crayon au préalable. On peut dire que je brûle les étapes. D’ailleurs je ne pense pas que cette technique soit très “orthodoxe”. Je l’ai mise en place en travaillant car j’aime la rapidité qu’elle rend possible. Avez-vous des projets à venir ? Je vais participer à une exposition collective au centre d’art URDLA, à côté de Lyon, en septembre et à l’édition 2015 d’Artissima, la foire internationale de Turin du 6 au 8 novembre, avec Alberta Pane. Vous avez participé au Salon de Montrouge en 2011. Que pensez-vous du fait que Stéphane Corréard ait été remercié ? Je trouve cela vraiment dommage. Il a un rapport à l’art tout à fait désintéressé, ce qui fait de lui quelqu’un de rare à l’heure actuelle. Il se permettait de sélectionner un très large panel d’artistes, aux pratiques diversifiées, dans un salon gratuit, consacré à la découverte, tout en fédérant une équipe de grands professionnels de l’art autour des artistes émergents. Donc, je ne peux qu’exprimer mon regret à propos de la mise à l’écart de quelqu’un de l’envergure de Stéphane Corréard. Art Media Agency [Crédit Photo : © João Vilhena, Coll. Artistique – Afrique 2013, Pierre noire sur carton gris, 102 x 140 cm, documentsdartistes.org ] |
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