Kouka : “Je me considère comme un artiste expressionniste contextuel”
Issu du graffiti, Kouka s’est fait connaître par la représentation de guerriers Bantus un peu partout dans le monde. Il a souhaité d’abord, par ces silhouettes en noir et blanc, nous interpeller sur la colonisation et l’esclavage. Son message touche aujourd’hui à l’universalité de la condition humaine.
Quel est votre parcours ?
J’ai grandi à Paris puis ai déménagé à Toulouse où j’y ai commencé le graffiti en 1995 à l’âge de 14 ans. C’est en effet à Toulouse que j’ai connu un véritable choc esthétique. Contrairement à Paris où le graffiti que l’on pouvait voir relevait davantage du vandalisme, les graffeurs peignaient beaucoup plus librement à Toulouse. Un crew commençait déjà à y réaliser de véritables fresques dans le centre-ville et mélangeait différents styles : Miss Van peignait par exemple au pinceau. J’ai ainsi pratiqué le graffiti durant quinze ans. J’ai par ailleurs intégré les Beaux-Arts d’Avignon.
Comment vous est venue l’idée de peindre des guerriers Bantus ?
En 2008, à la sortie des Beaux-Arts, je suis parti au Congo : ce fut un voyage qui m’a bouleversé. En réponse à l’omniprésence des instances politiques françaises sur le territoire congolais, m’est venue progressivement l’idée de peindre en extérieur des guerriers Bantus. Les Bantus comprennent un ensemble de peuples vivant entre le Cameroun et la pointe de l’Afrique du Sud. Je peignais des guerriers, fantômes du passé, qui resurgissaient dans le présent pour reprendre possession de leur territoire. Cela m’a poussé à travailler de manière contextuelle. Je le faisais déjà avec le graffiti dans la rue mais, en Afrique, mon intervention prenait une dimension plus symbolique et politique qui s’adressait à la population et non plus seulement aux connaisseurs des codes du graffiti. Ces réalisations ont réuni mes deux pratiques puisque je me suis mis à peindre au pinceau avec la technique acquise aux Beaux-Arts – étant donné qu’à Brazzaville, on ne trouve pas de bombes aérosols – tout en conservant l’urgence et la spontanéité propre au graffiti lorsqu’on peint dans l’espace public sans autorisation.
Comment votre art et son propos ont-ils évolué ?
Si mes premières interventions ciblaient seulement la colonisation, j’ai réalisé que cette image du colonisé noir concernait en réalité l’humanité entière puisqu’on la retrouve, outre dans la colonisation, dans l’esclavage et les flux migratoires. J’ai alors peint ces guerriers partout dans le monde, en cherchant des lieux symboliques, et sans m’interdire de pouvoir les représenter où je le souhaitais. J’en ai ainsi peints en Asie, en Russie, jusque dans des endroits où l’on trouve peu d’afro-descendants. Ce n’est pas parce qu’il existe peu d’afro-descendants en Russie et en Asie qu’il n’existe pas pour autant un certain nombre de russes et d’asiatiques en Afrique. Des relations étroites se sont développées entre ces territoires depuis les différentes indépendances. Au fil des années, mon propos s’est davantage porté sur l’image qu’on pouvait développer de l’Afrique due aux relations internationales, que sur la seule représentation des Noirs.
Quels sont vos projets, notamment dans le street art ?
J’avais mis entre parenthèses, faute de temps, mes interventions publiques. Avec les événements actuels, la question est plus que jamais revenue au centre du débat international. Il s’agit d’un signe comme quoi il est nécessaire de continuer à porter ce message dans l’espace public via le street art, qui est un art populaire et créateur d’émotions. Parce qu’en réalité, c’est dans cet espace que se crée le débat. Cela fait douze ans que je réalisais des guerriers Bantus et il y a quatre ans, on m’a dit que le racisme n’existant plus, il n’était plus nécessaire d’en faire ; or, cette problématique reste toujours d’actualité. Mon travail doit être toujours en dialogue avec son environnement et donc contextualisé. Je me considère ainsi comme un peintre expressionniste contextuel. Je pense que le grand danger aujourd’hui pour un artiste est de s’enfermer dans son atelier sans être nourri par ce qui se passe autour de lui.
Votre grand-père, Francis Gruber, est un grand peintre expressionniste dont l’une des caractéristiques résidait dans le contour noir très marqué. On retrouve ce trait dans vos créations.
Mon grand-père m’a inspiré de manière inconsciente. À l’école, on m’interdisait l’usage du noir et du blanc. Or, pour moi, le contraste noir/blanc est très important : d’abord parce que je suis métisse. Par ailleurs, ces couleurs revêtent des symboliques très fortes telles que le divin, la mort etc. On est aujourd’hui saturé de couleurs. Or, selon moi, il est plus percutant et direct de transmettre un message par ce contraste noir/blanc sans couleurs, quand bien même le noir et le blanc en sont. C’est à la base de mon travail et du graffiti de créer un visuel saisissant avec une économie de moyens. Le contraste du noir et du blanc, sans nuance ni dégradé de gris, produit une image presque violente. Je révèle ainsi une part de subjectivité dans l’envie de créer un impact très immédiat tout en restant objectif par cette même utilisation du noir et blanc.
Retrouvez le travail de Kouka sur son compte Instagram @kouka_ntadi et son site Internet www.kouka.me.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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