Know Hope : « Le cœur est un espace vide »
Water Takes the Shape of its Container Jusqu’au 25 avril 2015 Vernissage le 11 avril 2015 de 18h à 21h Entrée libre Galerie Openspace |
L’œuvre délicate de Know Hope se nourrit du temps qui passe et des fragilités humaines. Rencontre. « Water Takes the Shape of its Container », pourquoi ce titre pour votre nouvelle exposition ? Parce que nous sommes façonnés par nos expériences, la façon dont nous nous adaptons à notre environnement. Chaque pièce de mon exposition est une fenêtre vers différents aspects de ces espaces vides dont nous devons reconnaître l’existence à l’intérieur de nous. J’ai par exemple placé des troncs d’arbres au centre de l’exposition, très similaires aux bras amputés, à ces mutilations qui sont le produit des circonstances. J’humanise ces arbres pour évoquer les histoires individuelles et collectives. L’idée de perte est très présente dans votre travail… Oui, ou en tout cas le concept d’espace vide, dont la perte est l’une des dimensions. Il s’agit pour moi du vide d’un point de vue littéral ou philosophique. Chacun de nous se confronte à ces espaces vides, tâche de les remplir ou non. Il y a une part de mélancolie dans ce questionnement.
Vous représentez souvent le cœur comme l’un de ces espaces vides…. Mais je crois que c’est le cas, le coeur est un espace vide… Je parle beaucoup de l’éphémère, de l’idée de quelque chose qui passe. Nous avons tous nos propres manques. Nous faisons avec. Ce n’est pas nécessairement une idée romantique, même si cela peut l’être. Le cœur est un symbole assez universel de fragilité, de quelque chose qui doit être protégé… La place du cœur chez mes personnages est très symbolique, selon leur degré d’expérience. Nous apprenons à mesure que nous vieillissons que ce processus, d’abord difficile, est inévitable. Cette fragilité, elle se retrouve jusque dans les matériaux que vous choisissez… C’est vrai, j’utilise beaucoup de papier vintage, de cadres au rebut, etc. Ils ont appartenu à des gens, et c’est comme si je prenais quelque chose de la vie de ces inconnus. La dimension tactile de ces matériaux est aussi très importante pour moi. Pourquoi des personnages récurrents ? C’est une décision que j’ai prise peu après avoir décidé de créer dans la rue. Parce que la rue a changé la façon dont je voyais le processus créatif et la communication avec les autres. Il existe entre mes personnages et le public une familiarité, une relation au long cours. Et vous, quelle relation entretenez-vous avec eux ? Pendant des années, j’ai expliqué qu’ils n’avaient rien à voir avec moi. Mais au fond, il s’agit de ma propre expérience que je transcris selon une symbolique personnelle… Il m’arrive de constater que mon personnage traverse une situation difficile d’une façon dont j’aimerais être capable, et je me rends soudain compte que c’est le cas, puisque c’est moi qui l’ai créé ! Ils forment une narration, mais non linéaire, ce qui me bloquerait. La photographie prend de plus en plus de place dans votre travail. Pourquoi ? C’est devenu une partie importante de mon travail au cours des deux dernières années. J’utilise la photographie pour créer un parallèle entre deux réalités. Je fais par exemple des photographies de rue, spontanées. Je pense qu’il y a quelque chose de très riche dans le fait ne pas chercher à illustrer quelque chose, à ne pas styliser. Après une décennie à composer ma propre imagerie, cela m’intéresse beaucoup d’explorer cette voie. Peut-être simplement parce que je me suis rendu compte que c’était possible ! Que l’art pouvait devenir quelque chose de quotidien, une part de la réalité de chacun… Je crée en atelier et pour la rue. Mais il y a une grande force à se mêler à la vie quotidienne des gens. Je crois que chacun a une relation très intime au lieu dans lequel il vit, même s’il n’en est pas conscient. Si vous entamez un dialogue avec ce lieu, vous créez vraiment quelque chose de puissant. L’autre jour, j’ai vu un grillage rouillé au milieu d’un champ. Il était magnifique, et c’était un support parfait pour évoquer une nouvelle fois l’éphémère et le passage du temps. Mais je l’ai mieux regardé, et j’ai compris qu’il n’avait pas besoin de moi. Le job était fait ! La métaphore était déjà évidente. Comme artiste visuel, la communication, le dialogue sont essentiels. Un environnement dynamique, comme une ville, crée ce dialogue. Comment décririez-vous votre relation à Tel-Aviv ? J’ai grandi en Californie, et je suis arrivé en Israël quand j’avais dix ans. J’ai alors emménagé à Tel-Aviv, qui est une ville très accessible. Elle est très petite, tout tient dans un mouchoir de poche. Vous pouvez être dans un quartier très bourgeois, marcher dix minutes, vous êtes au milieu des junkies.
La réalité politique est aussi suggérée dans vos œuvres… Pourquoi passer par une forme de stylisation ? Il est impossible d’échapper à cette réalité locale. En Israël, la réalité est tellement chargée que même à Tel-Aviv, qui est une sorte de bulle, le conflit est présent. Mais je m’efforce de créer des œuvres universelles, plutôt que de parler du conflit directement. Je parle de la politique comme d’un mécanisme émotionnel. Tout le monde sait ce que cela veut dire que d’être jaloux ou d’avoir le cœur brisé. Il faut savoir en parler de manière instinctive. Même quand j’utilise des symboles comme des murs ou des frontières, des cicatrices ou des barbelés, j’essaye de les combiner à une image humaine. Je pense que l’art est le seul lieu où l’on puisse parler de choses complexes en les simplifiant à l’extrême, je crois même que c’est une nécessité. Allez-vous installer des œuvres dans Paris ? Je l’espère. Mais ce genre de processus doit survenir de manière organique. C’est très facile de le provoquer, mais plus je muris, plus je veux être au plus juste quand je crée, et accueillir les choses quand elles surviennent, sans rien forcer. Sophie Pujas |
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