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Kévin Bideaux : « Il m’importe de faire entendre des paroles minoritaires »

Agathe Pinet 8 décembre 2018
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©Stellart Photography

Kévin Bideaux est le commissaire d’exposition de « 50 nuances de rose » qui vient de s’achever au 59 rue de Rivoli. Rencontre avec un artiste passionné et passionnant.

Tu es actuellement chercheur en doctorat d’art et études de genre. Tu as choisi le rose et son lien avec le genre pour rédiger ta thèse. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Depuis plus de vingt ans j’entretiens un lien très particulier avec le rose qui transparaît dans de nombreux aspects de ma vie. De plus, c’est une couleur multiple qui se décline en une infinité de nuances et de symboliques comme l’amour, la beauté, la féminité, l’érotisme, la sexualité ou en encore la gourmandise. C’est pourquoi il est très stimulant de travailler avec cette seule couleur.

J’ai obtenu mon Master avec un mémoire sur le corps modifié et les pratiques de modifications corporelles, chose que j’incarne littéralement. Pour ce projet doctoral, j’ai décidé d’explorer une autre facette de ma personnalité et de ma pratique artistique. C’est d’autant plus excitant que la couleur rose ne suscite que peu d’intérêt. Ainsi, nombre de ses aspects restent à découvrir.

Aborder le rose sous l’angle du genre m’apparaissait également comme une évidence car, de toutes les couleurs, elle est celle qui est systématiquement associée au féminin. Mon rapport au rose est lui aussi en lien avec le genre. J’ai toujours eu conscience des stéréotypes féminins associés à cette couleur et du lien qui existe, d’un point de vue de la réception sociale, entre l’homosexualité et le féminin. J’étais également attiré par le rose pour affirmer qui je suis. En effet, je n’ai osé en porter que tardivement par peur du regard des autres.

Lorsque nous nous sommes rencontrés, tu m’avais dit que le but de ton exposition était de traiter la couleur rose. Or, on voit un réel engagement dans les œuvres. Comment as-tu choisi les artistes ? T’attendais-tu à ce phénomène ?

Selon moi, toutes les œuvres d’art devraient être issues d’un engagement de l’artiste. Dans le cas de l’exposition 50 nuances de rose, il est évident que cet engagement est féministe.

J’ai choisi les artistes en partie par affinités. Mon regard s’est aussi porté sur des artistes engagé.e.s sur ces questions. Néanmoins, je n’ai jamais incité les artistes à produire dans ce sens : le but était aussi d’ouvrir les horizons, notamment sur ce que le rose pouvait être en dehors de son traitement vis-à-vis du genre. C’est donc dans cette dynamique que j’ai proposé aux artistes d’aborder les voies de la gourmandise (Aphrodite Fur), de l’enfance (Chloé Coislier), de la chair (Salamandra), de l’exotisme (Florian Viel), etc. Cela a été fait, mais presque toujours nimbé de féminisme ou de queerness. C’est peut-être la scénographie et la mise en écho d’œuvres féministes avec des œuvres, roses elles aussi, mais sans discours sur le genre, qui ont fait ressortir l’impression d’une unité revendicatrice.

Kévin Bideaux, Mars #2, 2017. Paillettes sur papier, diptyque, 50×70 cm.

On peut observer en ce moment une libération de la parole de la part des minorités et des femmes. T’attendais-tu à recevoir des oeuvres allant dans ce sens en contactant les artistes ?

Le rose a été mis en avant dans les médias ces dernières années à travers différentes expositions. Ainsi, le magazine féministe Pink Things Mag a été créé en 2016 et les Pussy Hat ont défilé contre Donald Trump à Washington en 2017. Le rose s’est récemment vu réapproprié par les militantes féministes pour en faire une valeur de force, chose bien intégrée par le marketing qui lance la tendance du millennial pink, couleur se voulant « au-delà des frontières du genre ». Mais cela n’a rien de novateur : le groupe militant Gulabi Gang (gulabi voulant dire « rose » en hindi) de femmes indiennes luttant contre les violences faites aux femmes s’est formé en 2002 et adopte le sari rose comme marqueur de ralliement.

En choisissant les artistes, qui sont avant tout des personnes issues de mon réseau artistique, je savais pertinemment que cela rejoindrait ces thématiques féministes d’empowerment et de réappropriation du rose féminin. Avec la scénographe Barbara Fulneau, qui est par ailleurs également artiste, nous avions comme objectif de créer une exposition qui fasse sens de manière cohérente, et que le tout prime sur la somme des parties.

Crois-tu que 50 nuances de rose puisse sensibiliser les visiteurs sur les problèmes sociétaux dénoncés ? Selon toi, l’art peut-il réellement permettre de faire avancer les problèmes sociétaux ? A-t-il un réel pouvoir d’éveil des consciences ?

L’art pose des questions bien plus qu’il n’apporte de réponse ! En ce qui me concerne, je fais de l’art pour mettre en évidence des choses, des phénomènes, des concepts qui me paraissent essentiels.

Il m’importe plus de faire entendre des paroles minoritaires, de mettre en avant des savoirs assujettis, que la manière dont cela peut être perçu. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce que je fais, en tant qu’artiste, en tant que commissaire d’exposition, ou même en tant que chercheur importe peu, au final. Toute réaction, qu’elle soit bonne ou mauvaise, est bel et bien la preuve que l’art ne laisse pas insensible.

C’est sans réelle surprise que la grande majorité des visiteur∙se∙s de 50 nuances de rose sont des visiteuses qui savaient dans quel univers elles entraient avant même de voir l’exposition. Or, l’art est particulier dans le sens ou il peut (et devrait) être accessible à tou.te.s. Et en ce sens, l’art peut faire avancer les problèmes sociétaux, d’autant plus qu’il est présent, aujourd’hui, dans les institutions et dans les galeries, mais aussi dans les associations, dans les hôpitaux, dans la rue et sur Internet.

C’est cet espace créé entre les regardeur∙e∙s et l’œuvre, ainsi qu’entre les regardeur∙e∙s eux-mêmes, qui est politique. Pas l’œuvre, en elle-même, qui, écartée de son public ou du lieu où elle est exposée, perd tout son sens. Ainsi, exposer de jeunes artistes inconnu∙e∙s dans un lieu alternatif comme la galerie du 59 Rivoli, et faire une journée d’étude universitaire au milieu des œuvres, tout ceci contribue à donner du sens à 50 nuances de rose, que je souhaite être plus qu’une exposition sur le rose : un espace de vie(s), d’échanges et de réflexions.

Propos recueillis par Agathe Pinet

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« 50 nuances de rose »: l’art au service d’une couleur mal aimée, par Agathe Pinet

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