Julien Chatelin : “La photographie me permet d’explorer le monde, d’avoir une position dans celui-ci”
Poussé par l’envie de ressentir le monde qui l’entoure et de produire du sens, Julien Chatelin revient sur son parcours de photographe, ses méthodes de travail et ses inspirations pour ses projets.
Peux-tu nous dire quelques mots sur toi et ton parcours ?
Je suis un photographe franco-américain né en 1968. J’ai un Bachelor of Fine Arts de la Tisch School of the Arts de New York University, avec une spécialité en photographie et en sciences politiques. J’ai commencé ma carrière en tant que photoreporteur au début des années 1990. C’était l’activité qui me semblait le mieux conjuguer ma passion pour la photographie et mon désir d’explorer le monde et d’en comprendre les enjeux.
J’ai commencé par traiter des sujets de société en France, avant de couvrir pour la presse les grands évènements qui animaient la planète, et plus particulièrement les révolutions à l’Est qui suivirent la chute de l’Union Soviétique. Par la suite je me suis engagé sur de nombreux terrains de conflits dans les Balkans, dans le Caucase, en Asie centrale ou au Moyen Orient, en me concentrant sur le sort des nations sans État.
A partir de 2004, j’ai consacré trois ans à la réalisation d’une fresque en image de la société israélienne intitulée Israel Borderline qui a fait l’objet d’une monographie éponyme de 160 pages et d’expositions dans différentes galeries.
Depuis une dizaine d’années je travaille sur des séries dans différents pays autour de la thématique des mutations cycliques du territoire.
Comment la photo est-elle rentrée dans ta vie ?
J’ai commencé la photo très jeune. J’avais été initié à la peinture, mais j’étais un piètre dessinateur. L’apprentissage était laborieux. La photographie apportait un résultat immédiat. Je n’ai jamais eu beaucoup de patience. À 16 ans j’avais installé un laboratoire noir et blanc dans la salle de bain de mes parents et dès que j’avais un moment de libre je sortais faire des photos.
Qu’est-ce que la photographie signifie pour toi ?
C’est une question difficile et philosophique qui rejoint la question d’être. La photographie c’est le vecteur, l’outil qui me permet d’explorer le monde, d’avoir une position dans celui-ci. Mais c’est un outil limité qui génère de la frustration car, finalement, il ne permet pas de montrer grand-chose. Des instants infimes dans un cadre restreint. Ces limitations sont la force et la faiblesse du médium.
Je cherche plutôt à traduire ce que je perçois. A la question de savoir pourquoi il faisait des photos, Garry Winogrand avais répondu, “je fais des photos, pour voir à quoi les choses ressemblent en photo”. Il y a de ça, dans ma démarche.
Fondamentalement, aujourd’hui, je n’aime pas les photos qui tentent d’imposer un point de vue, ou qui vont déclencher une émotion pavlovienne. J’aime l’idée d’une proposition, d’un agencement d’éléments picturaux, symboliques ou non, à partir desquels le regardeur est libre de construire sa propre narration. J’aime les images qui gardent leur secret de fabrication. Elles marchent, mais on ne sait pas forcément pourquoi. On est loin du journalisme là …
Comment définirais-tu ton style, ta façon de travailler ?
Pour moi chaque projet est unique, et mon style, ma technique, auront tendance à évoluer en fonction du projet. La constante est que je n’interviens pas sur le réel. On peut dire que mon travail s’inscrit dans le vaste champ du style documentaire.
Pour mon projet sur la société israélienne, j’avais décidé de travailler avec un format carré et en noir et blanc. L’idée était d’avoir une forme forte qui allait apporter une cohérence visuelle à l’ensemble du projet, qui traitait d’univers très variés. Il y a, par ailleurs, une qualité intemporelle dans le noir et blanc.
L’outil utilisé, le format de l’appareil qu’il soit argentique ou numérique est fondamental, selon moi, car il n’impacte pas uniquement sur la nature de l’image, mais influe sur le process créatif. On ne fait pas les mêmes images à la chambre argentique qu’avec un reflex numérique. Parfois les contraintes techniques deviennent un atout car elles imposent de passer du temps, de réfléchir à son cadre, à sa lumière. Les avancées technologiques, même si elles ouvrent de nouvelles voies créatives, rendent l’acte photographique plus anodin. La post production prend le pas sur la prise de vue. L’inverse est aussi vrai. Le désir d’expérimenter avec un type d’appareil photo, peut déclencher un projet, ou simplement permette de se renouveler.
Quelles sont tes influences, d’où viennent tes inspirations ?
Les photographes de rue m’ont beaucoup influencé dans mes débuts, comme Cartier Bresson, Gary Winogrand, ou Lee Friedlander. Par la suite les grands paysagistes américains qui ont émergé dans les années 1970-80 comme Joël Sternfeld, Joël Meyerowitz ou Mitch Epstein, pour n’en citer que quelques-uns, ont eu une grande influence sur moi. L’anglais Chris Killips a aussi été très important. Il y a d’autres photographes dont j’admire particulièrement le travail comme Taryn Simon, Jeff Wall ou Vivian Sassen.
La liste est potentiellement assez longue ; mes référents se situent davantage dans l’histoire de la photographie que dans l’histoire de l’art.
Un sujet particulier que tu aimes traiter dans ton travail ?
A priori, j’aime les sujets qui ont une dimension sociale ou politique, mais pas uniquement.
Y a-t-il une évolution dans ton travail depuis ces dernières années ?
À la base pour moi la photographie avait une double fonction. C’était un outil d’exploration du monde, et un outil d’exploration créative. Il s’agissait de trouver des systèmes visuels à partir du réel pour tenter d’exprimer une idée, une émotion en exploitant les propriétés spécifiques de l’outil : le temps, la lumière, le cadre. Les photos devaient produire du sens avec un côté, “regardez ce que j’ai vu !”. J’étais obsédé par l’instant décisif, et la réalisation de l’image absolue, où tout était résumé en une fraction de seconde.
Aujourd’hui, pour explorer le monde on a Instagram, et les milliards de photographes amateurs qui vous ouvrent les portes de chez eux. Le rapport qu’entretient le médium au réel a aussi été bouleversé par la technologie. La profusion d’images, spectaculaires, obtenues grâce à du matériel ultra performant et une assimilation – régurgitation des codes de la photographie de façon “magnum-bréssonienne”, ont produit chez moi une forme d’indigestion, doublée d’un doute sur leur authenticité. Je me suis tourné vers une photographie, qui tente de ne pas imposer un point de vue, mais qui offre à voir. Des images simples, ouvertes, qui ont l’ambition de nourrir l’imagination du regardeur, et qui se consomment lentement. C’est très compliqué à réaliser.
Quels ont été tes derniers projets ?
Depuis plusieurs années, je travaille sur des séries qui tournent autour de l’idée des mutations topographiques. Ces séries sont réalisées essentiellement à la chambre argentique grand format, et sont un mélange de paysages réalisés sur des territoires semi-désertiques et des portraits. Le projet Promised Lands, rassemble quatre séries respectivement réalisées en Égypte, à Détroit, à Norilsk en Sibérie et dans l’ouest de la Chine.
Tu as des préférences parmi tes séries ?
Bien que le style et l’approche soient assez différents, j’estime qu’Israel Borderline et Promised lands sont mes projets les plus aboutis.
Des projets en préparation ou en cours de réflexion ?
Je suis en train de finir un cycle avec le projet Promised lands qui aura duré presque 10 ans. J’ai des pistes de réflexions, notamment autour de ma généalogie, mais je ne sais pas encore trop où cela va me mener.
Retrouvez le travail de Julien Chatelin sur son site.
Propos recueillis par Eleftheria Kasoura
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