Julien Benhamou invité de ConfiDanse à Éléphant Paname
Pour des ConfiDanses inédites, Fanny Fiat, co-fondatrice d’Éléphant Paname, invite tout au long de la saison de prestigieuses personnalités de la danse qu’elle a rencontrées tout au long de sa carrière à l’Opéra de Paris, où elle a été danseuse jusqu’en 2009.
Après Karl Paquette, Noëlla Pontois et Julien Benhamou, ce sera au tour d’Agnès Letestu de discuter de sa carrière et de son nouvel amour pour les costumes (le 9 mars avec dédicace du livre Danseuse Étoile, co-écrit par Agnès Letestu et Gérard Mannoni, en vente à la boutique d’Éléphant Paname). Puis, est programmée Viviane Descoutures, qui évoquera son métier de répétitrice et ses rôles de caractère (le 20 avril). Enfin, Isabelle Ciaravola, danseuse Étoile de l’Opéra de Paris, revivra sa nomination et ses adieux (le 11 mai).
Mais avant d’apprécier ces nouvelles rencontres, retour sur la dernière ConfiDanse avec le photographe Julien Benhamou pour apprécier la qualité des échanges autour du thème “Capturer les corps en mouvement”, à partir de sa monographie publiée aux Éditions Incarnatio.
“La photo donne vie au mouvement.”
Depuis 2013, vous faites partie des photographes officiels de l’Opéra de Paris. Comment y êtes-vous parvenu ?
Ma passion pour la photographie est apparue vers l’âge de 13 ans, lorsque j’ai eu mon premier appareil. J’ai tout de suite aimé l’échange que cet outil me permettait d’établir avec les gens dont je faisais le portrait. Après une école de photographie, j’ai été assistant de différents photographes professionnels, dans la mode, la pub ou l’art contemporain. En tant que photographe indépendant, je réponds toujours aujourd’hui à des commandes pour des institutions, des agences, des magazines. Mais, à 25 ans, j’ai eu une révélation après avoir vu mon premier ballet à l’Opéra de Paris. Je reste fasciné par les danseurs, leurs corps sublimes et ce qui s’en dégage.
J’ai proposé à Brigitte Lefèvre, alors directrice, de faire le portrait de tous les membres de la troupe. Le projet a été accepté. Ce travail a donné lieu à la publication d’un livre et à une exposition au Palais Royal, dans les locaux du ministère de la Culture. Brigitte m’a ensuite offert la possibilité d’assister à des répétitions et m’a encouragé à expérimenter la photographie de scène. Le résultat l’a séduite.
Faites-vous uniquement des photographies de spectacles ? Votre démarche est-elle documentaire, archiviste ou artistique ?
Tout dépend des commandes. Mais j’ai aussi la chance de pouvoir mener mes propres recherches en parallèle. Ainsi, cet ouvrage rassemble des clichés issus d’un travail artistique personnel. Dans la continuité des portraits, je mets en lumière des personnalités choisies dans des moments suspendus. J’essaie de créer une ambiance.
En effet, vous abordez autrement la danse et les danseurs…
Pour les ballets, il faut être en alerte pour capter le moment le plus fort. La musique et les enchaînements peuvent aider. Pour mon travail personnel, le processus est très différent. Je souhaite révéler une personne, sous un autre jour et avec une certaine force, pour exprimer une vérité.
J’entretiens des collaborations sur le long terme avec des danseurs dont j’aime particulièrement l’univers et la personnalité : par exemple avec Aurélien Dougé, danseur et chorégraphe de Inkörper Company, pour une série qui s’est fabriquée à partir de nos expérimentations en studio ou en extérieur ; une autre avec François Alu, Premier danseur à l’Opéra de Paris, avec lequel nous avons créé une série d’images qui défient la gravité. L’idée de la chute est d’ailleurs un thème récurrent dans mon travail.
Pourquoi ne photographiez-vous que des danseurs / danseuses ?
C’est le cas dans ce livre mais, depuis, j’élargis à d’autres secteurs : performeurs et créateurs en tous genres. Il faut juste que ce soit de fortes personnalités, comme Marie-Agnès Gilot, Marie-Claude Pietragalla, Jérémy-Loup Quer, qui m’inspirent, par exemple. Tous mes modèles aiment prendre des risques. Je ne les remercierai jamais assez pour leur générosité.
Muscles ciselés, chairs à nu, vous faites vibrer les corps. Grâce à une passion de la danse ou de la sculpture ?
Les deux ! J’avais envie de travailler cette matière unique, de tenter, grâce à la photographie, de capter une émotion, de raconter une histoire. Je cherche à fixer le mouvement car la photo donne vie au mouvement ! J’aime les sauts et la beauté du geste, mais aussi les muscles saillants. Au-delà du mouvement juste, je veille souvent à ce que les danseurs soient beaux et expressifs.
Bien que timides, certains de vos modèles se dévoilent complètement. Pourquoi accordez-vous une place si importante au nu ?
Au départ, cet exercice me faisait peur, mais le nu permet d’aller à l’essentiel. Rien n’est gratuit, il faut travailler sur le sens du geste. Du coup, la photo est plus épurée. Les corps sculpturaux des danseurs expriment une densité, dégagent une intensité singulière. Je joue beaucoup avec les ombres et les reliefs. Franchement, un corps de danseur est photogénique. Comme la perfection de Michel-Ange !
Vous racontez votre propre histoire ou celle qui se dégage du sujet photographié ?
Je me laisse guider par la nature de mes modèles, leur tempérament : la performance et la beauté plastique pour tous ; la grâce et l’élégance pour la plupart ; la puissance ou l’humour pour d’autres. Par exemple, la surprise, la spontanéité et la fantaisie représentent bien François Alu.
Comment exprimer l’intensité de chaque moment ?
Saisir le corps en mouvement et sa puissance d’expression exige de la concentration. Pour les ballets, il faut se laisser porter, pour capturer un instant, une émotion mais, au bout du compte, on a souvent une réalité altérée, même si je tâche de respecter le processus de création. Dans ce projet personnel, je mets en lumière les corps en soulignant chaque proposition par des jeux d’ombres et des contrastes. J’essaie de révéler la sensibilité de chaque danseur, en respectant leur personnalité et leur univers. Tout est basé sur la confiance. Chacun est considéré comme un partenaire de création. Ce qui me plaît dans ce métier, c’est avant tout la relation à l’autre. Et je peux dire que je fais des rencontres passionnantes.
Concrètement, comment se déroule une séance ?
Ce peut être en studio, comme la photo de la couverture. Dans des friches ou des lieux au cachet inoubliable, comme dans les sous-sols de l’Opéra Garnier, Éléphant Paname, ou encore en pleine nature, comme sur la plage de Carteret, qui ne permet pas de trucage. Mais ma démarche s’apparente à celle des stylistes, avec recherche de décors, costumes, accessoires adaptés.
Avant, j’avais tendance à imaginer la séance dans les moindres détails et plus ça va, plus je laisse place à l’improvisation. Je suis à la recherche de l’accident, du hasard et de la surprise. En fait, il s’agit de cadrer sans figer. Je pars quand même d’une idée ou d’une sensation, puis j’en discute avec mon sujet. Quand je connais bien les modèles et qu’ils sont forces de proposition, les séances peuvent être très rapides. D’ailleurs, c’est mieux ainsi car c’est souvent très physique. Le premier jet est souvent le bon. Nous travaillons chaque posture ou intention dans la rapidité de l’instant. Nous créons des images ensemble. Mais au final, je m’intéresse davantage à la poésie du mouvement qu’à la performance du danseur.
Vos compositions sont uniques, de véritables tableaux oniriques. Avez-vous des références picturales ?
Rembrandt et Le Caravage font partie de mes maîtres : leur maîtrise du clair-obscur m’éblouit ; je suis également fasciné par l’intensité de leur noir. Moi, la lumière est mon pinceau. Parmi les photographes de mode, Herb Ritts m’inspire pour le côté graphique du corps, le jeu avec les lignes et les courbes.
D’autres sources d’inspiration ?
Le lyrisme, l’univers baroque, le mysticisme. De manière générale, j’aime qu’il se dégage une certaine poésie. L’idéal pour embarquer les gens dans un voyage !
Propos recueillis par Sarah Meneghello
La Poésie du mouvement de Julien Benhamou
Éditions Incarnatio – Prix 50 €
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