Julie Lagier : “Ce sont mes rêves qui me guident”
Rencontre avec Julie Lagier, photographe de grand talent. Remplies de sensations, ses œuvres nous transportent. Julie Lagier nous ouvre ici son univers pour partager ses rêves.
Pouvez-vous nous parler de vos débuts en photographie ?
J’ai débuté la photo il y a huit ans. Dans la rue, mon Fuji X10 au niveau de la ceinture, je shootais l’humain sous tous ses angles, quitte à me coucher par terre. En parallèle, pour apprendre la lumière, je m’exerçais dans mon appartement à coup d’autoportraits. Retardateur en marche, j’ai expérimenté toutes sortes d’univers, du plus dark, au plus féerique. Puis ma première série, Blow, est née, celle qui m’a permis de me rapprocher de plus près de l’humain. J’enfermais dans du cellophane des corps entièrement nus, de la tête au pied, sans aucun moyen de s’échapper et photographiais leurs états de libération, telle une chrysalide. J’ai vite compris ce que la photo pouvait m’apporter, ma propre libération. Cette série a été repérée par Olivier Barriol, celui qui m’exposera pour la première fois en 2017, avant de devenir mon agent.
Comment avez-vous réussi à trouver votre style de photo ?
En ne le cherchant pas. Il est apparu au fil des années, jusqu’à être mon journal intime. Suivant le cours de mes humeurs, mes angoisses nocturnes, mes rêves plus spectaculaires les uns que les autres… Je passe du noir et blanc à la couleur sans me poser la question de l’éthique photographique. Me détachant très rapidement de mes images, je les ai enchaînées par besoin d’expression, sans réfléchir à la création d’un univers particulier. J’ai réalisé très récemment avoir un style, une signature. Mais je ne souhaite en aucun cas être prisonnière de ça.
Quelles sont vos inspirations ?
La plupart du temps, ce sont mes rêves nocturnes qui en sont la source. J’ai puisé une énergie folle à les accepter depuis gamine, pour ne plus en avoir peur. J’ai pris le contrôle sur eux, leur donnant une seconde vie, ils sont devenus mes alliés, ma dose de créativité. Puis l’humain. Ses failles, ses maux, ses complexités, ses lumières, des diamants bruts que j’aime tailler des heures durant en post-prod.
Quel est votre processus créatif ?
L’improvisation est mon adrénaline. J’aime me lever le matin et ne pas chercher bien loin pour mettre en place une image que je construis au fur et à mesure de la journée. Un ou deux coups de fil et j’ai ma matière première. Un modèle, une amie fripière qui me prête ses vêtements, ou une peau nue. J’ai la chance d’avoir mon noyau dur, mes copains, qui me suivent dans mes créations sans se poser de questions sur le devenir de leur sort. Je ne suis pas à la recherche constante de nouveaux modèles, je me sens en sécurité avec les miens. J’ai besoin de leur énergie pour ne pas compter les heures et il n’y a qu’en se connaissant bien que l’on se sent suffisamment à l’aise pour faire des folies et entrer dans le vif du sujet, chacun apportant sa touche personnelle. Mon temps de shooting reste indéfini, jusqu’à me dire que j’ai la bonne. Cela peut durer 30 minutes comme 4 heures. Puis le moment de la post-production arrive, ma partie préférée, là où tout est permis.
Comment la série Narsimik a-t-elle vu le jour ?
Je faisais des rêves récurrents depuis des années. Mon corps était démembré et je remettais jambes, bras, tête à la mauvaise place, tout en me disant “c’était où déjà ça ?”. J’ai alors eu envie d’en faire une série. Elle a débuté il y a environ trois ans et a été un moyen d’accepter mon corps, en sous-poids depuis longtemps. Je m’amusais avec les objets de mon quotidien, un cintre, un fruit, un fauteuil, un œuf… puis trouvais une idée autour de cet objet, pour me servir de l’essentiel, mon corps et ce qui me sert à vivre.
Vous aimez jouer avec le corps humain. Pourquoi vouloir le déformer ?
C’est devenu une manie de déformer, transformer, je m’ennuie si je ne le fais pas. J’aime le monstrueux dans toute sa beauté, ce qu’est pour moi un être humain d’ailleurs. Les yeux au volume démesuré ou absents, c’est une façon de manifester l’importance du regard que nous portons les uns sur les autres et la manière dont nous sommes aveuglés par des stéréotypes imposés, touchant particulièrement le vrai sens de la beauté. Puis encore une fois, il y a ce retour à l’enfance, quand je dessinais des personnages difformes qui se sont incrustés dans mes rêves. J’utilise la photographie comme mémoire de l’âme en quelque sorte. Je me surprends à les appeler “mes personnages”, ça c’est le côté grande admiratrice de Tim Burton.
Vous créez un univers onirique, qui peut autant faire rêver que faire peur. Comment faites-vous pour créer ces impressions ?
Il y a quelques jours, j’ai montré à une amie danseuse une vidéo où je suis en train de danser avec un gros ballon noir. Je lui explique que celui-ci représente mon passé. Elle me dit trouver ça beau, je lui réponds que je ne trouve pas ça beau mais que ça m’a fait un bien fou de le faire. Puis elle me dit que la danse, avant toute chose, c’est un état et que la beauté est dans cet état. J’ai réalisé qu’au moment de la post-production, il se passe la même chose. Je danse avec mes états. Ils sont à la fois pastel et très sombres. Nous avons tous notre part d’ombre, je cherche juste à mettre la mienne en lumière, en la rendant plus douce et onirique, puisque ce sont mes rêves qui me guident.
Avez-vous des envies particulières pour vos projets futurs, envie de tester de nouvelles choses ?
Faire un livre, je n’en suis qu’à la maquette aujourd’hui et découvre les joies du tri… C’est une expérience enrichissante, qui m’aide à comprendre beaucoup plus de choses sur mon univers. Un livre qui sera rempli de mes images monstrueusement douces et de quelques lignes pour compléter cette complexité. Aujourd’hui, je teste en parallèle l’intégration de la mode dans mon univers. Je sors un peu de ma zone de confort, la mode n’est pas mon créneau mais à force qu’on me répète qu’il y a quelque chose à faire de ce côté-là, j’ai retiré mes œillères. Puis j’ai bien envie d’aller voir ce qu’il se passe vers l’érotisme… C’est en train de mûrir.
Vous pouvez retrouver le travail de Julie Lagier sur son compte Instagram et son site internet.
Propos recueillis par Pauline Chabert
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