Julie Botet : “La photographie pour mieux se regarder en face”
Au centre de l’objectif de Julie Botet se trouvent des silhouettes nues et vagabondes, un visage saisi sans retouche ni artifice. Sa photographie émancipe les corps et ses autoportraits déroulent le fil de son introspection. Rencontre avec une jeune photographe grenobloise à la démarche spontanée.
Quels ont été tes débuts en photographie ?
La photographie n’est pas le seul champ artistique que j’ai exploré. J’ai toujours touché un peu à tout, au dessin, à la peinture, à la sculpture, etc. Je m’épanouie artistiquement lorsque je combine différentes pratiques ; si mon art se limitait à un médium exclusif, je pense que je m’ennuierais beaucoup ! La photographie, et en particulier le portrait, est une approche qui m’a tout de suite plu.
Lorsque je capture, avec mon appareil, un visage ou un corps, je mets en images une réflexion autour des canons esthétiques, de ce que l’opinion considère comme beau ou comme laid. La photographie incarne aussi une certaine liberté. En ciblant tel aspect ou tel détail, je fais le choix de ce que je veux montrer aux autres. Maintenant, notamment grâce à mon entrée aux Beaux Arts de Grenoble, j’essaye de diversifier et d’enrichir ma pratique artistique, en déclinant mes sources d’inspiration et mes modes d’expression.
D’ailleurs, comment qualifierais-tu ton identité artistique ?
Je ne pense pas avoir un style photographique fixe ou prédéfini. Dès que je dois trouver matière à photographier, je puise mes idées dans dans mon expérience individuelle et les choses qui me touchent personnellement. De toute façon, de quels sujets pourrais-je traiter avec justesse si ce n’est de ceux qui me concernent directement ? En dehors de mes émotions intimes, j’apprécie la photographie franche et très imagée ; je me plais à représenter des corps mouvants en symbiose avec leurs environnements. J’oriente souvent ma photographie selon deux axes antithétiques : la fascination et le dégoût pour la nature humaine.
Dans tes deux séries, comprenant tes autoportraits et tes photographies de sujets dénudés, tu sembles accorder une grande importance aux corps nus ; pourquoi cela ?
Je pense que la représentation des corps dévêtus est un moyen pertinent pour réfléchir sur les notions de beau et de laid. Il y a une sorte d’harmonie sublime entre les corps nus et le cadre naturel dans lequel ils s’inscrivent. Ce sont ces instants d’une beauté simple et primaire que j’essaye de saisir. J’ai une connexion très particulière avec mes modèles, étant donné que ce sont avant tout mes amis, ce qui fait que les séances sont souvent très naturelles. Je peux ainsi aisément jouer avec les déplacements des corps dans l’espace.
D’ailleurs, pourquoi photographier ces corps dans des positions incongrues ou parfois contorsionnées ?
Il est vrai que j’aime montrer le corps humain dans des positions inhabituelles, voir extravagantes. Aujourd’hui, pour ce qui est des portraits photographiés, les modèles sont souvent figés et posent intentionnellement. Je préfère, quant à moi, libérer les corps afin que le mouvement photographié soit le plus instinctif possible. Le choix de la pose dépend aussi de la relation nouée avec le sujet, du feeling sur l’instant ; il y a des possibilités multiples autant qu’il y a de rapports au corps et à la nudité différents.
Comment choisis-tu les endroits où tu souhaites shooter ?
En forêt ou dans des friches abandonnées, je m’intéresse surtout aux intensités de lumière, aux qualités brumeuses d’un espace ou aux couleurs du ciel, qui influent directement sur le résultat final. En travaillant avec des éléments essentiellement naturels, j’obtiens des compositions assez minimalistes.
Peux-tu nous parler de ta série d’autoportraits ? Quelles étaient tes aspirations ?
Cette série est le fruit d’un long moment de solitude chez moi. Le fait d’évoluer seule, accompagnée d’un certain nombre d’objets du quotidien, est finalement très stimulant pour sa créativité. Je ne cessais de repenser leurs usages en les intégrant à mes photographies. L’autoportrait a également une qualité expressive indéniable ; lorsque l’on se retrouve seule devant son objectif, il est bien plus facile d’exposer son intériorité ou de s’abandonner entièrement. Une liberté que ne permet parfois pas le duo photographe – modèle.
Pourquoi avoir appelé cette série « Déformations » ?
Avec Déformations, je voulais illustrer la puissance qu’a la pensée face au corps ; une simple représentation mentale est capable de déformer un visage, d’altérer la peau ou de transformer une silhouette. Cette série d’autoportraits symbolise aussi ce moment de bascule entre la photographie contemplative et celle plus significative. Même s’il y a certaines réalités que je dénonce, cette série est davantage un outil introspectif qu’une critique de la société. En transfigurant cette sorte de brouhaha mental qui m’habite, la photographie parvient à éclaircir mes pensées et à exprimer certaines sensations corporelles que les mots ne peuvent décrire.
Comment te viennent tes idées de matériaux ? Laine, ballons remplis d’eau, etc.
Ma recherche est finalement très peu préméditée. Mon intérieur est une accumulation de matières en tout genre si bien qu’il comporte une infinité de potentialités créatives. Je me réveille un matin, je trouve une bobine de fil ou quelques anciens journaux, et les idées fusent.
Qu’est-ce que cela fait de se dévoiler autant ? As-tu de nouveaux projets ?
Beaucoup de personnes sont réceptives à mon contenu ; je reçois de nombreux messages me disant que mes photos sont bienfaitrices ou réconfortantes. Mes abonnées m’avouent parfois se reconnaitre dans certains de mes clichés, ce qui est particulièrement gratifiant. Je ne fais part que très rarement de ce que peuvent évoquer ou signifier mes photographies ; les interprétations sont alors aussi personnelles que diversifiées et c’est un plaisir de découvrir les différents ressentis suscités par mon travail. Je ne suis apparemment pas la seule à en avoir assez de cette multiplication d’images fausses, dans nos quotidiens, ou à vouloir inspecter les tréfonds humains. Pour la suite, j’envisage de me décentrer de l’autoportrait pour travailler davantage avec mes modèles et avec le médium vidéo.
Pour découvrir le travail de Julie Botet : Instagram.
Propos recueillis par Jade Vigreux
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