Jordane Saget : “C’est le mouvement qui apporte l’équilibre à la ligne”
Jordane Saget, 40 ans, est un artiste français qui travaille la ligne dans l’espace urbain parisien, une ligne ondoyante qui révèle bien des sens et des parcours divers. Il ne s’agit pas ici de narration linéaire, bien au contraire…
Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?
Je n’ai jamais vraiment étudié les arts plastiques. Plus jeune, j’étais incapable de dessiner les mêmes caricatures que mes camarades. En revanche, j’étais doué en mathématiques et en géométrie : via le simple tracé de droites, de carrés et de triangles, je tentais donc de créer une esthétique inspirée de Vasarely. J’ai toujours eu cette volonté en moi de trouver une règle d’or du beau. Des années plus tard, j’ai commencé à pratiquer le Taï Chi Chuan et me suis tourné vers la pensée chinoise. Je me suis alors essayé à dessiner des lignes sur papier. C’est en m’inspirant de l’idée d’ondulation, du Yin et du Yang en constant mouvement, de la notion de frontière poreuse, qu’est apparue la courbe. J’ai commencé à tracer une seule ligne mais cela correspondait au chiffre un, symbole dans de nombreuses cultures de l’absolu, ce qui me semblait de l’ordre de l’inaccessible. Le tracé de deux lignes m’apparaissait bancal. J’en ai alors dessiné trois : j’avais trouvé ma formule “magique” qui me suit jusqu’à ce jour et, je pense, me suivra jusqu’à la fin de ma vie. Le chiffre trois, par essence déséquilibré, amène paradoxalement à l’équilibre parce qu’il implique un début de mouvement, de nouvelles histoires, un premier enfant au sein d’un couple. Tel l’équilibriste qui, pour tenir sur une corde, doit être en mouvement. C’est ainsi le mouvement qui apporte l’équilibre à la ligne que je trace.
Comment définissez-vous votre art ?
Lorsqu’on me demande ce que je fais, je réponds tout simplement “des lignes”. Cette définition est tout sauf réductrice, elle laisse au contraire ouvert le champ des possibles. Plus le temps passe et plus la définition de ce qu’est mon art s’enrichit. Si une ligne paraît simple en tant que telle, j’ai réalisé au fur et à mesure combien elle regorgeait de sens pour chacun. On m’a souvent dit que ces lignes présentaient, telles des racines, un côté “primitif” pouvant évoquer les arts aborigènes ou africains. J’ai ainsi réalisé leur caractère universel. Pour d’autres, elles sont très contemporaines en ce qu’elles évoquent les réseaux, Internet, la mondialisation.
D’où vous est venue cette envie d’investir la rue ?
Tout simplement, l’envie de prendre l’air. Au début, je n’étais pas très sûr de moi et souhaitais donc un matériel qui s’efface facilement : la craie s’est imposée d’elle-même, blanche de surcroît, car elle reflétait mieux la lumière. Mais elle m’a surpris — et me surprend encore — car, lorsque je reviens un an après, je vois souvent que mes dessins sont encore présents. Ils ont perdu de leur éclat et ont été effacés en partie mais j’aime les voir “vieillir” : ils sont la preuve qu’il y a eu de la vie.
Comment avez-vous appréhendé le travail des lignes ?
J‘ai d’abord beaucoup travaillé chez moi, sur papier : si la formule des trois lignes avait été trouvée, le résultat ne me satisfaisait pas. Ce n’est que dans la rue, dans un espace plus vaste, que j’ai intégré le mouvement de mon corps tout entier dans le tracé des lignes. J’ai ainsi trouvé un meilleur équilibre et une chorégraphie du trait s’est mise en place, que je ne cesse de travailler depuis. Ce mouvement dépend aussi beaucoup des surfaces que je choisis. Elles doivent être assez “veloutées”, ni trop lisses, ni trop rugueuses, pour que la craie y adhère. La résistance de celle-ci contre la surface se répercute sur la vitesse du tracé de la ligne : une fois que j’ai donné une impulsion à une ligne, je ne peux pas revenir sur ma décision et ne peux l’incurver que très progressivement, jamais de façon abrupte. Quant à la décision initiale de donner telle ou telle direction à la ligne, j’aime aller contre ma première intuition pour éviter tout automatisme. Si je ressens l’envie d’aller vers la gauche, je vais alors vers la droite.
Pourquoi ne retrouvons-nous vos œuvres qu’à Paris ?
La première raison est simple : j’y habite. Au début, je partais le matin à pied avec mon matériel et j’aimais savoir que je pouvais également rentrer à pied. Et, pour des questions de température en hiver, je suivais le soleil. Je n’ai jamais repéré à l’avance un spot, le processus a toujours été spontané. Aujourd’hui encore, je me balade toujours à Paris avec mon matériel sur moi, y compris pour me rendre chez le dentiste. Mon parcours est ainsi raconté dans ces lignes. Et puis, à chaque spot correspondent des rencontres. Enfin, mes lignes ondoyantes s’inscrivent harmonieusement dans l’esthétique parisienne : elles viennent faire écho au Paris de l’Art Nouveau caractérisé par ses arabesques. Mes lignes sont devenues au fil du temps intrinsèquement liées à Paris tout autant qu’à ma propre histoire.
Quels sont vos futurs projets ?
Je souhaite réaliser un recueil rassemblant les expertises de personnalités issues de différents domaines, démontrant ainsi les multiples résonances entre mes lignes et leurs diverses activités. Par ailleurs, suite à mes collaborations notamment avec Peugeot ou Les Restos du Cœur, j’en prépare une nouvelle avec la créatrice Agnès B. Le point commun entre tous ces projets est qu’ils aient du sens, qu’ils viennent raconter l’histoire que mes lignes dessinent depuis toujours.
Retrouvez Jordane Saget sur son compte Instagram @jordanesaget et sur son site internet en cliquant ici.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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