Jochen Gerner : “J’apprends plus sur ma pratique en me déplaçant vers de nouveaux terrains”
Entre réflexion sur le support, utilisation d’images préexistantes et recherche du minimalisme, Jochen Gerner teste sa pratique en se déplaçant constamment vers de nouvelles expérimentations graphiques.
Comment avez-vous débuté dans l’illustration ? De quelles façons ou à l’aide de quelles inspirations avez-vous développé votre propre style ?
J’ai toujours dessiné dans mon enfance. J’étais accompagné par mon père, enseignant en dessin et histoire de l’art, et lui-même dessinateur. Mon père a donc été mon premier modèle. J’étais très inspiré par ses personnages, son écriture et sa façon de construire de petits récits. Plus tard, je me suis nourri de beaucoup d’images. Mais celles-ci ne venaient pas forcément du monde du dessin. Je me nourrissais de tout : art, architecture, graphisme, imagerie scientifique, littérature. Après avoir achevé mes études supérieures en école d’art, j’ai réalisé des dessins de presse, des livres illustrés et des bandes dessinées mais je crois bien qu’il m’a fallu une petite dizaine d’années pour comprendre la logique de ma pratique conceptuelle et graphique. Quoiqu’il en soit, j’apprends encore aujourd’hui.
Est-ce que vous vous souvenez de votre première illustration professionnelle ?
Je crois qu’il s’agissait d’une série de dessins pour un manuel de français publié par un éditeur iranien en 1983. J’avais 12 ans. Ma tante, professeure de français à Téhéran, m’avait commandé 5 illustrations de nouvelles de Georges Simenon, Françoise Sagan, Marcel Aymé, Alphonse Daudet et Alain Demouzon. Ce sont des dessins très épurés au trait noir. Aujourd’hui, je les trouve plus réussis que beaucoup d’autres dessins réalisés 15 ans plus tard, au début de mon activité professionnelle.
Le mot ‘minimaliste’ est souvent associé à votre travail, êtes-vous d’accord avec ce terme ?
Je suis d’accord avec ce terme dans le sens où j’essaie le plus possible d’aller vers une certaine forme de minimalisme graphique. Mais je ne suis pas sûr de toujours y parvenir. Cela ressemble finalement assez souvent à un minimalisme foisonnant. Les formes simples peuvent avoir tendance à s’accumuler dans l’espace de ma page. J’ai d’ailleurs réalisé un livre très complet sur la notion de minimalisme à partir d’un texte de Christian Rosset, publié en 2016 dans la Petite Bédéthèque des Savoirs des éditions du Lombard.
Vous avez travaillé avec beaucoup de monde de milieux bien différents. Est-ce un choix de votre part de changer d’horizons et de registres ?
Oui, j’ai toujours apprécié le renouvellement des pratiques et des horizons. J’aime bien me remettre perpétuellement en question et donc me confronter à de nouveaux formats et supports. Cela me permet de ne pas m’enfermer dans un domaine trop précis. Je n’ai aucune envie de devenir un spécialiste ou de réaliser constamment un même principe de dessins. Par exemple, je n’aurais jamais pu réaliser une série en bande dessinée avec des personnages récurrents. J’apprends plus sur ma pratique en me déplaçant vers de nouveaux terrains : travailler sur des projets d’animation, réaliser des dessins pour des architectes, concevoir un alphabet, des couvertures de livres ou élaborer des dessins pour un service de table.
D’un point de vue technique, vous travaillez notamment sur le principe de recouvrement, pouvez-vous nous expliquer comment cette idée est-elle arrivée et ce que vous souhaitez faire ressentir grâce à cela ?
J’ai commencé à utiliser le recouvrement dans un petit livre intitulé Berlin (Jochenplatz) paru en 2000 aux éditions du Rouergue. Ce projet était une forme d’accumulation d’expérimentations graphiques. Parmi ces expériences, il y avait le principe du recouvrement : je m’étais dit qu’il serait intéressant de détourner une bande dessinée existante en redessinant par-dessus et en laissant à découvert uniquement certains détails de la bande dessinée imprimée utilisée comme support. L’année suivante, j’ai poursuivi cette pratique de façon plus radicale encore en choisissant de recouvrir d’encre noire une bande dessinée entière. J’ai ainsi réalisé « TNT en Amérique » (éditions l’Ampoule, 2002) à partir du livre « Tintin en Amérique » de Hergé. Je n’ai laissé à découvert que certains mots choisis et quelques zones de couleurs représentant des petits pictogrammes illustrant ma nouvelle proposition de récit.
Selon les supports utilisés, le procédé est-il le même ? Quelles sont les techniques que vous appliquez ?
Je réalise encore souvent des recouvrements. Mais en fonction du support, je peux varier mon principe de recouvrement et choisir d’utiliser de l’encre noire ou de la peinture acrylique. Un lavis d’encre, un principe de trames, un aplat, une teinte noire ou blanche en acrylique permettent de varier les effets du recouvrement. J’essaie de construire une réflexion sur l’image initiale. Parfois je souhaite montrer la vérité cachée de cette image. D’autres fois, il s’agit d’un détournement total et je peux ainsi faire dire à une image le contraire de ce qu’elle suggérait initialement.
Vous dessinez aussi beaucoup sur des buvards, des feuilles de cahier à lignes… le support est finalement mis autant en avant que l’illustration en elle-même, pourquoi ce choix ?
Le support d’un dessin a énormément d’importance. Il fait partie du dessin. Le format, la texture, l’impression et la main d’un papier sont des éléments constitutifs de l’image. Mais parfois, pour une commande d’un dessin de presse dont l’unique fonction sera d’être reproduit dans un journal, je peux utiliser le papier machine blanc le plus simple et lisse qui soit. Ce support sera idéal pour un dessin rapide et une reproduction à l’aide d’un scanner. C’est un dessin qui ne sera vu que par le biais de sa reproduction dans le journal.
Vous avez un compte Instagram où vous partagez vos créations. Ce réseau est une nouvelle façon de s’exprimer et de partager du contenu très facilement. De plus, il s’adapte aux illustrations et bandes dessinées ; est-ce un outil devenu indispensable pour vous ?
Oui, c’est devenu une façon importante pour moi de diffuser et partager mes dessins. Cela peut montrer les dessins inédits d’un projet en cours, des dessins prévus pour des expositions ou encore de petits exercices ludiques à partir d’une simple tache d’encre. C’est un peu comme une galerie personnelle. Cela peut servir aussi à communiquer sur la parution d’un livre ou sur d’autres actualités professionnelles. C’est en tout cas une façon assez intéressante de publier et d’échanger avec des personnes. Mais je ne montre ni selfie ni photos de réalisations culinaires…
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille actuellement sur un projet de livre et d’exposition sur une collection d’oiseaux. Je prépare également la parution prochaine d’un second livre compilant mes dessins réalisés pour le journal Le 1, à paraître en septembre prochain aux éditions Casterman. Et j’achève un autre projet de livre sur les reliefs de montagne à paraître au printemps 2021 aux éditions Marguerite Waknine. Par ailleurs je prépare diverses expositions prévues pour les prochains mois au Musée des Arts décoratifs de Paris, au Weltkulturerbe Völklinger Hütte de Saarbrücken et à la fondation Bullukian à Lyon.
Découvrez le travail de Jochen Gerner sur Instagram, Facebook ainsi que sur son site officiel.
Propos recueillis par Charlie Egraz
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