Jean Mallard : “J’étais hypnotisé, j’avais envie de tout dessiner”
L’artiste illustrateur Jean Mallard accueille le spectateur dans un imaginaire où les couleurs vaporeuses du jour et de la nuit se mêlent en harmonie à l’allégresse des soirées napolitaines. À 23 ans seulement, l’illustrateur, qui en mars dernier présentait sa première exposition, Via Miracoli, à la Slow Galerie, ne cesse d’entreprendre et de surprendre.
Pour ton exposition, Via Miracoli, tu as réalisé de nombreuses illustrations autour de la vie urbaine napolitaine. Tu peux nous en dire un peu plus ?
L’expo Via Miracoli retrace un an de dessin napolitain. À l’origine, j’étais dans le nord de l’Italie pour une résidence, et une fois terminée j’ai rendu visite à un ami qui vivait à Naples à ce même moment. Je devais rester quelques jours mais quelque chose me poussait à rester plus, j’étais hypnotisé et j’avais envie de tout dessiner, alors j’ai suivi mon instinct et je suis resté à Naples, cette “petite visite” a duré finalement un an.
J’avais peu d’affaires, j’ai emménagé dans une coloc, et comme la vie n’est vraiment pas chère et que j’avais quelques boulots d’illustration, j’ai pu vivre en passant mes journées à arpenter les rues et à dessiner comme un fou. Je remplissais des carnets et des carnets toute la journée, je notais les détails, les petites scènes, les postures, les tenues, des bouts d’architectures, les couleurs, les animaux, tout. Et le soir j’imaginais des compositions pour raconter tout ce que j’avais vu, dans de grandes aquarelles et gouaches. C’est pour cette raison que mes dessins ont des allures cartographiques, avec des points de vue très lointains, et des personnages tout petits, pour raconter un maximum de choses. C’est aussi parce que je n’ai jamais été vraiment napolitain, et jusqu’au bout j’étais quand même un étranger dans cette ville, donc il y a ce recul nécessaire. Bref, c’était la meilleure période créatrice de ma vie, j’étais inspiré jour et nuit !
À un moment, j’ai été tenté de dessiner la vie autour de Naples, la région Amalfitaine, qui est sublime bien sûr, mais j’avais peur de m’éloigner de ce qui me touchait vraiment, la ville de Naples et ses habitants, et je voulais rester centré sur eux. Naples est déstabilisante au début, épuisante et assez violente, mais on s’habitue, et une fois qu’on connait un peu les gens, on peut alors vraiment comprendre le fonctionnement de cette cité. C’est une ville définitivement ingouvernable, où règne un désordre permanent mais bienveillant, il y a de l’histoire derrière chaque pierre, beaucoup de fierté et surtout d’entraide. Il y aussi une tristesse permanente à Naples, car c’est une ville pauvre et très moquée par le reste de l’Italie, mais cela rend les gens encore plus soudés entre eux.
Et puis il a fallu partir, pour retrouver la vie que j’avais un peu abandonnée. Avant que je parte, quelqu’un m’a dit : “Tu pourras voyager où tu veux maintenant, mais tu finiras toujours par revenir à Naples “, et il avait raison ! Je pense qu’il y a quelque chose de rassurant dans cette cité qui ne change pas, qui résiste aux temps, pour le meilleur et pour le pire.
Qu’ils soient festifs ou paisibles, les thèmes du soir et de la nuit sont souvent présents dans tes œuvres. Entre jour et nuit, quel moment est le plus propice pour créer ?
C’est vrai, je dessine beaucoup de scènes nocturnes. Crépusculaires avant tout, car c’est à ce moment de la journée qu’il arrive des miracles avec les couleurs. J’ai un carnet où je note toutes les nuances en fonction des soirs, pour ne jamais reproduire à l’identique les couleurs du ciel. On s’habitue à ces choses-là, car cela arrive tous les jours, mais c’est quand même divin d’être éclairé par une étoile autour de laquelle on tourne. À Paris par exemple, c’est formidable, on croit qu’il fait gris tout le temps, c’est un peu vrai, mais comme on est dans un bassin, les couleurs du soir sont toujours différentes ! Et puis c’est aussi le moment de la journée où les gens se retrouvent, sortent de leur coquille et qu’il se passe plein de choses. En général, je n’ai pas trop d’idées ni d’envie la journée, je suis assez laxiste, mais l’atmosphère du soir qui vient me remet toujours sur les rails. Ensuite la nuit bien sûr c’est passionnant, surtout dans les villes, car nos lumières viennent redessiner un monde nouveau. Quand j’ai découvert l’art russe populaire sur laque, j’ai commencé à travailler sur fond noir, en venant rajouter de la couleur, et c’était une révélation, car j’ai pu alors dessiner toutes ces scènes de nuits. J’adore cette atmosphère, où l’on se demande qui sont ceux qui dorment, et ceux qui ne veulent pas aller se coucher. Je m’inspire aussi beaucoup des fêtes dans lesquelles je tombe, en général les photos d’une soirée c’est assez triste, ça brise le mythe, par contre en peinture, on peut conserver la folie et le tourbillon émotionnel. Mes gueules de bois ont maintenant une toute autre envergure…
Tu travailles principalement avec de la gouache et de l’aquarelle, qu’est-ce qui te plaît dans ces matières ?
J’ai commencé le dessin tout petit avec mon père, qui avait une minuscule boîte d’aquarelles de poche, avec juste six couleurs. On l’emmenait partout et on faisait des dessins avec, même sur des petits galets. J’ai toujours été fasciné par cette petite boite, c’est sûrement pour ça que je suis obsédé par l’aquarelle maintenant. Depuis deux/trois ans, je fabrique mes propres aquarelles, à partir de pigments et de gomme arabique. J’aime beaucoup faire cette cuisine à couleurs, c’est une préparation mentale et aussi un bon moyen d’apprécier la peinture et sa matière. L’année dernière, j’ai découvert la gouache, que j’ai tout de suite adoptée. Elle se travaille un peu comme l’aquarelle, mais offre une opacité et une vivacité que l’aquarelle n’a pas. Donc le mélange des deux est parfait pour moi ! La grande qualité de ces deux techniques, c’est que ce sont des peintures à l’eau, donc qui ne demandent pas trop de place, et avec lesquelles je peux me balader partout sans difficultés. Grâce à l’eau il y a aussi plein d’imprévus possible, des résultats hasardeux mais bien heureux. En ce moment, j’essaie aussi de mélanger ces techniques avec du crayon et du pastel, pour varier un peu et prendre de nouveaux chemins.
Tu as réalisé une courte bande dessinée sur le thème de la vieillesse nommée Encore une belle journée. Penses-tu en réaliser de nouvelles bientôt ? Si oui, sur quel(s) thème(s) ?
Oui, c’était une bande dessinée que ma copine a scénarisée et où moi j’étais au dessin. J’ai adoré cette répartition des tâches, n’avoir à se soucier que des images, et mettre en scène la vision et l’histoire d’un autre. C’est quelque chose que j’aimerais beaucoup faire par la suite, illustrer les histoires qu’on me raconte. Car pour l’instant les scénarios que j’invente sont très décousus, sans queue ni tête, je manque de confiance, et ce sont surtout des prétextes pour dessiner. Toutefois, je travaille depuis quelque temps sur une histoire inspirée du Dieu grec Hadès, transposé au monde actuel. Et pour mon diplôme cette année, je vais sûrement illustrer le livre de Luis Sepúlveda Le vieux qui lisait des romans d’amour. Ce ne sera pas vraiment de la bande dessinée, mais il y aura du texte et beaucoup d’images !
Quels sont les éléments indispensables pour réaliser un dessin de Jean Mallard ?
Quand l’idée d’une image me vient, en me promenant, en me perdant, en gribouillant, en écoutant de la musique, ou en discutant, j’ai comme une illumination. C’est comme si des connexions dans mon cerveau se croisaient pour la première fois. J’ai tout à coup l’impression de savoir exactement ce que je dois faire. C’est assez merveilleux comme sensation. Ensuite, il faut arriver à conserver intactes ces visions soudaines. Quand je commence un dessin je dois alors me plonger dans une sorte de transe. Il faut quitter le monde, et vivre dans son dessin. Je me focalise sur les sensations du dessin, le pinceau sur la feuille, les couleurs qui se superposent… Il faut jeter son téléphone par la fenêtre, et rester en mouvement. La concentration est sacrée, surtout que je dessine vraiment lentement, couche après couche, il ne faut pas avoir peur des longues heures qui s’écoulent. J’écoute beaucoup de musique ambiante quand je dessine, Aphex Twin, Brian Eno, Hiroshi Yoshimura, et d’autres… Cela m’aide à me caler dans une autre dimension, calme et aérienne, dans un autre rythme. C’est pour cette raison aussi que je travaille beaucoup la nuit, personne ne me dérange, tout le monde dort, et le temps s’offre infini devant moi.
Une phrase pour décrire tes envies de création en ce moment ?
En ce moment, je retourne un peu au dessin d’observation, sur le motif, en regardant bien les petites choses qui m’entourent. Pour éviter le piège de s’habituer à toujours représenter les choses de la même façon.
Retrouvez les créations de Jean Mallard sur sa page Instagram ainsi que sur son site Internet !
Propos recueillis par Hélène de Montalembert
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