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Jean-François Fourtou : “Je pense que mon travail est plus émotionnel que conceptuel…”

Alizée Bourgeois 5 février 2021
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"Tombée du ciel", 2010 © Jean-François Fourtou

Rencontre avec Jean-François Fourtou, un artiste français installé à Marrakech qui explore le réel et l’occupation de l’espace en puisant dans ses souvenirs d’enfance et dans la nature qui l’environne. Au travers de sculptures gargantuesques, Jean-François nous convie à découvrir un monde onirique dans lequel les animaux et les hommes se font face. Partagé entre l’émerveillement et la surprise, il parvient à réveiller l’enfant en chacun de nous et interroge notre rapport au passé et au présent. 

Pour commencer, comment définirais-tu ton travail, qui est à la fois art de la sculpture, de l’architecture, de la décoration, et comment te qualifierais-tu ?

Pendant des années je me suis cantonné à la sculpture, c’est-à-dire que je suis rentré par ce biais aux Beaux-Arts. Quand j’ai obtenu une bourse à Madrid, je me suis installé dans mon atelier et j’ai pu me concentrer sur mon travail. C’est cette introspection qui m’a permis de me libérer de la sculpture “académique”. Sur un plan personnel, c’est le fait d’avoir quitté mon atelier qui m’a poussé à explorer davantage. Je me suis mis à la photographie car elle était devenue nécessaire à la narration de mes installations. Et puis il y a l’architecture, que j’affectionne tout particulièrement. Mes animaux sont toujours en rapport avec un décor urbain, un intérieur. Enfin, plus récemment, j’ai commencé à explorer la broderie, les collages ou encore la décoration dans la Villa Dar El Sadaka. Avec l’expérience, on étoffe notre technique et il me semblait nécessaire de croiser les pratiques et les médiums. Effectivement la sculpture serait un terme réducteur. Je pense qu’aujourd’hui on n’a plus besoin d’être “catégorisé”. Si mon travail a commencé par la sculpture, il a beaucoup évolué. Je le qualifierais plutôt comme une pratique pluridisciplinaire qui mêle le collage, la broderie, la photographie, l’architecture mais aussi la narration.

Tu as fait l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris puis tu t’es temporairement installé en Espagne. Peux-tu nous décrire ton parcours et nous dire ce que tu tires, au-delà de l’enseignement, de ta formation artistique ?

Plein de choses (rires). D’abord j’ai fait une Maîtrise de Gestion à Paris Dauphine, j’ai travaillé et puis j’ai finalement intégré les Beaux-Arts à 23 ans. Quand je suis entré aux Beaux-Arts, ce qui m’a le plus marqué c’était de sortir d’un certain ennui et de pouvoir développer et vivre ma passion dans un cadre sublime. Et les enseignements étaient très variés, ce qui m’a permis d’avoir des bases solides avec lesquelles j’ai débuté pour ensuite m’émanciper de la pratique stricte et proposer ma vision de la sculpture. L’année de mes 29 ans a marqué un tournant dans ma carrière. J’ai obtenu une bourse pour Madrid et j’ai effectué ma résidence à la Casa de Velásquez, dans un cadre idéal pour la création. Lors de ma première exposition j’ai vendu toutes mes œuvres et j’ai eu ma première commande publique !

À quel âge as-tu commencé à créer des scènes et à être attiré par les Beaux-Arts ?

Petit, mon grand-père m’a beaucoup inspiré et c’était en quelque sorte le seul à être sensible à l’art. Au collège et au lycée, il y a eu une enseignante qui m’a initié au dessin et qui m’a encouragé dans cette voie. Après pendant mes cours dans le supérieur, je faisais des plans fantaisistes mais je ne me doutais pas que j’en ferais mon métier ! C’est drôle parce que j’ai repris des études assez tard. J’ai (re)passé le concours des Beaux-Arts. Je l’avais déjà tenté en peinture quelques années auparavant mais ce fut un échec. Et puis j’ai rencontré la sculpture, et je pense que c’était le moyen d’expression avec lequel je me sentais le plus à l’aise.

Tu donnes une grande place aux souvenirs dans ton travail, c’est un hommage à l’enfance ou plutôt une extension de toi ?

Un peu les deux mais je ne suis pas nostalgique, je suis ancré dans le présent. C’est à la fois un hommage à mon grand-père et une façon de raconter quelque chose de moi. Mon travail est autobiographique mais je pense que chacun peut ressentir mes installations et je le constate lorsque les gens les découvrent. Les personnes en viennent à parler de leurs propres souvenirs et c’est ça que j’aime aussi dans mon travail. Le souvenir est une sensation à la fois singulière et universelle. Avec la réminiscence, tous nos sens sont sollicités.

Tes premières expositions mettaient quasiment toutes en scène des animaux, plutôt herbivores d’ailleurs. Pourquoi les animaux ?

Au début, je ne savais pas pourquoi. J’ai d’abord appris à faire des nus, c’était un apprentissage très enrichissant. Mais j’aimais l’idée de faire des animaux aux expressions humaines, des animaux qui étaient aussi à l’image de ma place dans la société d’une certaine façon ; incongrue, décalée… Cela a été un choix autobiographique en quelque sorte, et j’ai ensuite élargi mon prisme en explorant le lien entre l’homme et la nature, leur cohabitation et ce qu’elle suggérait. Et puis le concept de cohabitation peut s’appliquer à différents niveaux, je pense par exemple au rapport qu’ils entretiennent avec leur habitat.

JFF

© Daren Keith

Face au contexte sanitaire qui nous renvoie, plus que jamais, à notre intérieur – et à notre intériorité également – qu’as-tu constaté en tant qu’artiste ?

C’est paradoxal parce que cette année, plus qu’une autre, j’ai eu beaucoup d’opportunités et de commandes. Je ne m’étais pas fait la réflexion mais c’est vrai que mon travail prend un sens nouveau en cette période particulière. J’essaie de faire le lien entre nos habitats et ceux des animaux. Habiter et occuper l’espace posent de nombreuses questions. Je me suis intéressé au lien que l’on entretient avec notre environnement et l’image que l’on s’en fait. Les souvenirs peuvent colorer notre réalité. Par la suite, j’ai travaillé sur des animaux qui avaient leurs propres habitats comme les abeilles, les escargots ou encore les papillons. Je parle de la cohabitation de l’espèce avec son milieu et effectivement, ces temps-ci, c’est une question que l’on se pose singulièrement. 

Comment réalises-tu une œuvre comme Tombée du ciel ?

J’ai eu plusieurs ateliers, en Espagne, à Paris puis à New York, et dans un deuxième temps j’ai tout ramené à Marrakech, lorsque je me suis installé là-bas. J’avais besoin de m’ouvrir à de nouvelles expériences et je ressentais le besoin de me recentrer sur moi, j’ai donc quitté la ville. Pour certaines constructions, je les réalise sur place, avec des équipes et entreprises locales. J’ai aussi un assistant qui me suit depuis longtemps et qui connaît ma façon de faire. Plus généralement, il faut de la patience. Les choses ne fonctionnent pas partout de la même façon. J’ai mis un ans et demi pour réaliser la maison “Tombée du ciel”. Ce n’est pas très long pour une installation de cette envergure mais tout dépend de l’endroit et de la culture. En revanche, pour la maison de géant à Marrakech, cela a pris 5 ans. Je suis actuellement sur un projet de ruche qui est sur le point d’être achevé, après 7 ans de production. Je mets du temps à l’élaborer puis il faut la construire et parfois, il y a un choc culturel ou conceptuel. Au Maroc, il a fallu tenir compte de certaines réalités comme le fait de demander la construction d’une maison à l’envers, et donc “non fonctionnelle”.

Parallèlement aux expositions et commandes, tu effectues des installations pour Hermès depuis quelques années maintenant. Peux-tu nous parler de cette collaboration ?

Mon travail avec Hermès a commencé il y a un petit moment déjà et par deux biais différents. Dans la vie il y a des signes comme ça, des croisements symboliques qui, avec le recul, font sourire. La toute première fois, j’avais envisagé d’être vendeur chez Hermès. Et à coté de ça, le directeur d’Hermès avait repéré l’une de mes sculptures – un cheval mythologique – et il a demandé à une personne de suivre mon travail. De là, on a programmé à Bruxelles une exposition dans la Verrière Hermès (cabane de géant) qui a inauguré mon travail avec Hermès. Parallèlement, ils m’ont demandé de faire une installation dans une vitrine pour l’inauguration de la boutique rue de Sèvres. J’avais fait des animaux qui venaient parasiter la devanture. J’ai imaginé une vitrine par saison pendant un an, je recréais des intérieurs avec des animaux. C’est un travail et une relation durables mais pas nécessairement réguliers. Je composais des installations pour les vitrines des “maisons ambassadrices” (Paris, Tokyo, Shanghai, Dubaï). Cette collaboration repose sur une relation de confiance. Lorsque j’ai effectué les vitrines à Tokyo, je me souviens avoir vécu des moments très percutants. Face à mon travail, les réactions sont culturellement différentes, c’est très enrichissant de constater que la réception diffère d’un pays à l’autre.

Vitrines Hermès Shanghai © Hermès

Pour finir, as-tu un projet en cours et peux-tu nous en dire quelques mots ? 

J’ai plusieurs projets en cours, deux appartements-sculptures à Madrid, l’un sur le thème des papillons, l’autre sur celui des escargots. Puis, c’est encore confidentiel mais j’espère que cela va aboutir, une accumulation de maisons coloniales colorées au Brésil et une maison improbable pour une grosse exposition à Paris cet été.

Retrouvez le travail de Jean-Francois Fourtou sur son site internet ou sur son compte Instagram.

Propos recueillis par Alizée Bourgeois

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