James Doran-Webb : la danse des animaux en bois flotté
C’est aux Philippines que l’artiste britannique de renom mondial crée ses sculptures en bois flotté, souvent monumentales, qui s’exposent dans des lieux prestigieux à travers le monde. Animaux sauvages et créatures mythologiques expriment leur puissance en plein mouvement. En août 2019, le travail de cet artiste engagé arrive en France pour la première fois.
La chose est paradoxale : en Europe, le bois flotté est du dernier chic en décoration intérieur, pour apporter quelques sensations d’authenticité à des habitations contemporaines jusqu’à en devenir stériles. On trouve même des manuels pour fabriquer du faux bois flotté à partir de planches de bois industriel. Ce fake très tendance s’est arrogé tout un marché, alimenté par un mode de vie qui privilégie les produits industriels.
Bois flotté, mouvement capturé
A l’opposé de ce culte urbain artificiel, on trouve l’artiste contemporain James Doran-Webb. Chez ce sculpteur amoureux des Philippines, le bois flotté prend de la hauteur et se libère. Chaque pièce dont il confectionne ses œuvres a traversé des décennies sous les pluies et le soleil tropicaux. Le bois flotté qu’il utilise est collecté dans les forêts et sur les plages de l’île de Cébu (Philippines).
Quand Doran-Webb les assemble pour représenter chevaux, ours, lièvres, aigles, rongeurs, tortues et tant d’autres, il part à la fois d’études sur le mouvement et des formes des pièces récoltées. En choisissant parmi des milliers de pièces, en les sculptant là où cela est nécessaire, et en les assemblant par un processus de longue haleine, Doran-Webb évoque chaque muscle de ses créatures et parfois leurs veines, leurs cinétique, leurs intentions, leur regard, leur vie, leur liberté, si ce n’est : leurs danses…
Sculpture et photographie
Ses chevaux en plein galop ou en cambrure sont le dernier fleuron de l’étude du mouvement du cheval, initiée par la chronophotographie d’Eadweard Muybridge à la fin du 19e siècle. C’est en retournant à l’art photographique que Doran-Webb crée ensuite des chefs-d’œuvre dans lesquelles il peut intégrer son propre corps. C’est pour la photo, c’est de la mise en scène. Certes.
Mais son œuvre répond de façon directe à la photographie animale non spéciste qui présente chaque individu comme une personnalité. A leur tour, les sculptures de Doran-Webb intègrent l’environnement naturel de chaque espèce, et le travail matériel rencontre les arts visuels pour rendre un hommage appuyé à la beauté de la nature, à sa force et sa fragilité.
Le bois molave des Philippines
Le bois défraîchi utilisé pour les sculptures n’en fait pas moins. Les animaux paraissent à la fois vivants et comme sédimentés. Ils semblent prêts à s’envoler, tout en offrant leurs entrailles à notre regard, telles des bêtes traversées par les millénaires. De cette poésie, à la fois familière et étrange, émane un rappel de ce que la faune sauvage de nos forêts existait longtemps avant l’éclosion de homo sapiens, et lui survivra…
Mais partout dans le monde, la liste des espèces menacées s’allonge chaque jour. Elle inclut aujourd’hui le molave (Vitex parviflora) des Philippines, un arbre au bois très dense et riche en huile. Très apprécié par les colonisateurs espagnols dès le 16e siècle et massivement exploité pour la fabrication de meubles, le molave, présent exclusivement aux Philippines, ne survit plus que grâce à la reforestation.
Doran-Webb y participe à travers son programme « 80.000 trees », en s’engageant à planter 80.000 arbres en quinze ans sur l’île de Cébu. Le sculpteur rend ainsi à la forêt ce qu’elle lui donne sous forme de bois flotté, ramassé par son équipe et la population.
Défendre la vie
Il va sans dire que Doran-Webb n’a jamais fait couper un seul arbre pour la création de ses sculptures. Même les meubles qu’il confectionnait aux Philippines avant d’entamer sa carrière d’artiste, étaient faits de bois flotté. Aujourd’hui la disparition progressive du molave fait que le bois flotté de cet arbre se raréfie à son tour.
Le bois utilisé a passé jusqu’à cinquante ans sous les pluies et le soleil tropicaux. La croissance des arbres incluse, sa présence incarne donc un espace-temps qui dépasse une vie sur terre. Mais la vie s’écrit surtout au présent. C’est pourquoi Doran-Webb a créé un projet social, aidant des femmes dont l’existence a été ravagée par un cyclone en 2013 à vivre de la confection de bijoux vendus aux touristes.
Aujourd’hui, la première exposition de Doran-Webb en France se tient dans un cadre confidentiel, alors que ses œuvres font partie de collections privées importantes et sont présentes, de façon annuelle ou permanente, dans des lieux d’envergure comme Gardens by the Bay à Singapour ou le Chelsea Flower Show de Londres, le plus célèbre concours horticole et paysager du monde, où Doran-Webb a été élu meilleur exposant en 2013 et 2017.
Une occasion pour collectionneurs
En attendant que des lieux et événements comparables accueillent la ménagerie flottée de cet artiste d’exception, il faut s’arrêter dans la petite commune de Ribérac en Dordogne, et ce au plus tard le 30 août, pour entrer en contact avec cette œuvre emblématique dans une salle et un jardin aménagés pour l’occasion. Les collectionneurs peuvent ici faire leur marché sans changer de continent, d’autant plus que la collection inclut des miniatures, en fait les études réalisées avant de passer aux grands formats.
« Défendre la vie », également parce que l’intégralité des revenus sera destinée aux soins du jeune frère de l’artiste, très gravement malade, hospitalisé aux Philippines et pour lequel les traitements très coûteux sont pris en charge uniquement par sa famille.
Thomas Hahn
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