Jaeraymie : “J’aime pouvoir exprimer mes idées graphiquement”
À 34 ans, Jaeraymie sème dans l’espace urbain des mots et des dessins pleins d’humour et de poésie. Vous pouvez retrouver ses créations décalées autant au pied d’un escalier parisien que sur un pilier d’autoroute à Saint-Brieuc.
Vous meniez une vie rangée. Vous n’aviez pas de connaissances particulières en arts plastiques. Il y a trois ans à peine, vous décidez d’investir l’espace urbain. Pour quelles raisons ?
Pour sortir de ma routine. Je travaillais dans un bureau toute la journée. J’avais besoin de prendre l’air. J’ai posé mon premier collage dans la rue en septembre 2017 puis de nombreux autres ont suivi, tous centrés sur le détournement, le langage, et des réactions à l’actualité. Je ne m’inscrivais pas alors dans une démarche artistique, il s’agissait d’un passe-temps. Et puis mon action relevait d’un plaisir très enfantin : je collais des posters sur les murs non plus de ma chambre mais de ma ville. Je ne réalisais pas alors que ma présence dans la rue serait remarquée mais ce fut le cas lorsque j’ai commencé à poser des pochoirs sur les murs “le romantisme est un truc de bonhomme” – que j’entendais comme le romantisme est un acte courageux. Peu de temps après, je l’ai associé à un visuel que je détournais : celui de Clint Eastwood, un bouquet de roses entre les mains à la place du revolver. J’ai alors eu le déclic d’en faire une série et de remplacer le pistolet des mains d’Alain Delon et d’autres icônes masculines du cinéma par des bouquets de fleurs. Cette série s’est terminée par un solo show à la Galerie Young Artists Montmartre. Toutefois, en vue de l’exposition prévue six mois après, les galeristes m’ont indiqué qu’afin de pouvoir exposer mes œuvres, il fallait que celles-ci présentent un véritable travail plastique et qu’ils ne pouvaient vendre des impressions. Jusqu’alors, je ne savais pas ce qu’on entendait par travail plastique, je travaillais simplement chez moi sur Photoshop. J’ai donc refait la série en la peignant sur bois et me suis ainsi formé sur le tas.
Ce changement dans votre façon de travailler pour la galerie a-t-elle eu un impact quant à votre travail dans la rue ?
Tout à fait. Aujourd’hui, tout ce que je réalise dans l’espace urbain est dessiné ou peint sur papier et ensuite collé sur les murs des rues. Ma technique a énormément évolué. J’aime désormais pouvoir exprimer mes idées graphiquement, le message étant tout aussi important. J’ai ainsi pu peindre aux États-Unis un “Arthur Rainbow” afin d’en faire une icône LGBT. J’ai également pu traiter du racisme avec Mohamed Ali en Superman et réaliser une fresque pour la Journée internationale des droits des femmes. Enfin, lorsque je me suis posé la question de faire du street art plus qu’un passe-temps, j’ai lu l’ouvrage Pourquoi l’art est dans la rue ? de l’artiste urbain Codex Urbanus. Ce livre a fait écho en moi et m’a notamment interpellé sur la notion de don et le fait qu’on donnait davantage aux passants en peignant.
Vous avez créé récemment une série intitulée Les Expressions Idiomatiques. Comment vous est venue cette idée ?
Je m’étais toujours intéressé à ces vieilles expressions de la langue française qui, lorsqu’on les prononçait, me faisaient voir des choses assez incroyables comme “Sur les chapeaux de roues”. Et j’avais donc l’idée de montrer aux gens ce que visuellement pouvait rendre telle ou telle expression étrange lorsque, comme moi, on la prenait au pied de la lettre. J’ai alors commencé à travailler en atelier pendant deux mois sur cette série qui représentait trente expressions idiomatiques toutes numérotées. J’ai pour cela utilisé de nouveaux matériaux tels que l’encre de Chine, des pinceaux serrés, de nouvelles techniques comme celle du lavis ; j’ai fait incarner le personnage des expressions par un ami au visage intéressant. Et j’ai découpé la série en trois chapitres. Les collages du premier se sont retrouvés sur les murs de Paris. En revanche, pour le deuxième chapitre, je souhaitais décentraliser mon action et permettre à d’autres personnes en province de pouvoir les apercevoir. Je suis donc parti coller dans onze villes de France. Enfin, le troisième chapitre s’est retrouvé en galerie. Le retour de cette série fut positif et m’a fait comprendre que je pouvais changer complètement d’esthétique tout en continuant à plaire. Ce qui m’a rassuré puisqu’une de mes caractéristiques est de me lasser très vite d’un style et de toujours vouloir en changer, contrairement à beaucoup d’artistes qui travaillent de manière constante l’élément qui les rendra identifiables.
Pouvez-vous nous dévoiler vos futurs projets ?
En raison du confinement, je suis resté chez moi sans matériel et avec beaucoup de temps pour réfléchir. Une autre de mes caractéristiques est de toujours vouloir réaliser quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. Je prépare ainsi pour septembre une nouvelle série non plus autour de la langue ou des mots, mais plus dure et plus politiquement engagée, en couleur et à la peinture à l’huile cette fois-ci. J’ai également le projet de faire l’état des lieux de tous les gens que je connais dans le street art en les dessinant dans leur environnement, l’idée étant de montrer des street artistes qu’on n’a pas l’habitude de voir en raison de leur activité. J’ai beaucoup d’idées en développement. Toutefois, je tiens à ne présenter qu’une série à la fois, par cohérence artistique et par respect pour le regardeur.
Retrouvez le travail de Jaeraymie sur son compte Instagram @jaeraymie.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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