Ivy Arnold – une Américaine à Paris
Depuis l’âge de 18 ans, étudiant le dessin devant modèle vivant, elle n’a cessé de peindre. Elle étudiait à la Pensylvania Academie Fine Arts, à proximité de l’endroit même où vivait la famille d’Andrew Wyeth, un de ses guides. Tout un symbole ! Elle a vécu à Florence, à Lyon et au final, en 1988, a posé valises et chevalet à Paris intégrant les Beaux-Arts en 1990. Comme poursuivant le juste cheminement d’une logique mémorisée par des générations d’américains, cette artiste américaine s’installait dès lors à Paris comme ses aïeuls, il y a plus d’un siècle, lorsque ces peintres américains choisissaient de vivre dans la capitale. Nombre d’entre eux cependant choisissaient la Bretagne, à Pont-Aven en particulier. Ceux qui travaillaient en Pennsylvanie et qui sont montés à Paris furent les Thomas Eakins, inspirateur de Wyeth, qui avait étudié avec Jean Léon Gérone ou Mary Carxatte, célébre Impressionniste qui à l’époque travaillait avec Degas.
Regarder vers l’extérieur et non plus vers l’intérieur, c’est le réalisme !
« Dès le début, j’ai été attirée par le réalisme. Les techniques à Philadelphie étaient frustrantes, je travaillais sans passion les pastels et les couleurs. J’ai commencé par étudier la nature morte et le nu, puis mon style est devenu moins académique et s’est enrichi de la découverte de l’Europe et des ses mythologies anciennes qui ont eu une influence considérable sur l’évolution de mon style et de ma vie.
Tout a changé pour moi quand j’ai rejoint l’atelier de Jean Leduc, un homme qui a changé ma vie d’artiste et a cru en ce que pour lui j’avais de talent. J’ai appris à regarder, à vraiment regarder vers l’extérieur et non plus vers l’intérieur. Cela m’a toujours servi. Aujourd’hui, je travaille avec Timoté, cet ex-ingénieur à la vision d’autodidacte possède une connaissance très large du trompe œil jusqu’à la peinture plein-air (nomade). C’est à Paris que j’ai rencontré ceux qui m’ont le plus influencée. Ils m’ont appris à regarder la nature avec la plus grande rigueur et à conjuguer la théorie et la technique de la peinture avec ma vision personnelle. L’un de ceux qui m’inspire le plus parmi les anciens qui nous ont quitté il y a fort longtemps, c’est Tissot (Jacques-Joseph Tissot – dit James Tissot, 1836-1902)
Et Andrew Wyeth, bien évidemment. »
La beauté est plus belle dans la réalité !
Plus je contemple leurs tableaux plus j’affirme qu’il faut être fidèle à ce que l’on voit. Demeurer cohérent comme l’était Andrew Wyeth, lequel à l’heure du hard et de l’art abstrait a su rester fidèle à ce qu’il voyait de la nature proche. Il a cette capacité de regarder comme il fait regarder ses personnages.
Ivy Arnold se reconnaît dans Wyeth. Pour elle, l’artiste restitue juste ce qu’il peut contempler ou retenir de mémoire. « Il a sa fidélité, nous dit-elle, la beauté est bien plus belle dans la réalité. Donc il reste un éveillé à la profondeur, à sa recherche. Il ne provoque jamais rien. Souvenez-vous de cette phrase de Wyeth en parlant de lui-même « la profondeur de mon art doit aller aussi profond que mon amour. »
A ses détracteurs qui l’accusaient de faire de la photo sur toile, Henri Cadiou, fondateur du Mouvement des Peintres de la réalité s’en défendait de la sorte : « On entend souvent dire que l’imitation des aspects de la nature est devenue inutile depuis l’intervention de la photographie. Autant prétendre qu’il faut se couper les jambes parce qu’il y a des autos. La photo ne rend superflues que les œuvres plates et sans chaleur humaine. »
Cette sortie fait sourire Ivy Arnold qui pondère: « On croit que le réalisme est une expression carrée, que tout est devant l’artiste. Or, c’est faux, il y a l’inconnu, c’est à dire cette part d’inconnu entre l’artiste et son modèle. Cette unité n’est pas figée, il y a un monde entre elle et moi. Et ce monde, c’est l’imagination ! Depuis mon enfance, j’ai considéré l’art comme un moyen de recréer la beauté de la nature et des êtres qui m’entouraient.
Une inspiration artistique qui renvoie au 19eme siècle !
Ivy Arnold aurait aimé naître au siècle des lumières ou encore vivre à la Belle Epoque, juste avant 1914 : « C’est difficile à dire pourquoi ces périodes m’attirent. c’est comme lorsque j’écoute de la musique, il y a de la profondeur et des sentiments surgissent. La musique de cette période m’inspire. Cependant, je me préserve de la mélancolie au profit de la poésie. Voilà pourquoi je n’ai jamais trop de tristesse. »
Vous lui demanderez ce qu’elle écoute, elle vous dira aujourd’hui le 4ème concerto pour Piano et Orchestre de Prokoviev – et plus généralement les compositeurs baroques.
Le monde d’Ivy ?
Elle vit entre Paris et Antony où elle se réfugie pour créer. Elle aime les jardins d’Antony, le Parc de Sceaux, les arbres « uniques si magnifiques », les pavillons épars. Amoureuse des châteaux de la région parisienne, elle en veut bien évidemment à Colbert pour ce qu’il a conspiré afin de détruire Nicolas Fouquet, ce protecteur des arts, qu’il fit exiler de Vaux-le-Vicomte vers une mort assurée.
Se sent-elle elle-même exilée ?
« Je suis un émigrant culturel. J’ai quitté les USA, pour la culture et pas pour autre chose. Certains émigrent vers un pays à la faveur d’un mariage ou d’autre circonstance, pour trouver un boulot ou vivre de revenus sociaux, pour moi, rien de tout cela.
Comment aborde-t-elle ses sujets ? A quel moment sa vision des choses se transcende-t-elle en tableaux du réel ?
La photo l’aide à rechercher ses idées. Ce support lui convient comme l’étude des modèles vivants. Par ailleurs, elle plonge dans les livres d’histoire, dans la vie des personnages qui nourrissent une part de son inspiration. « Ensuite, ajoute-t-elle, il y a la technique : grâce aux efforts combinés de certains artistes, les secrets des grands maîtres nous ont été révélés. Ces techniques vieilles de plusieurs siècles connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt et sont essentielles à la pratique de mon art. En effet, maîtriser la technique, la composition, la perspective et la couleur me semble indispensable au réalisme de ma peinture. Mon travail intègre harmonieusement des éléments d’époques différentes avec le monde actuel. Très prosaïquement, mes sources d’inspiration sont la nature et les êtres qui l’embellissent. »
Entre ses expositions passées à Paris au Salon des Indépendants (Grand Palais) et aujourd’hui, au-delà des galeries, à Bourg-la-Reine, à Sceaux et l’accrochage à venir à Chatenay-Malabry, elle pourrait bénéficier des vastes salles de la Fondation Bismarck à Paris que chacun y trouverait son compte (!) Le public d’abord et, enfin, les admirateurs du réalisme ainsi qu’Ivy Arnold le défend sans se poser plus de questions que celles que propose la simple contemplation de la nature et des êtres.
Patrick DuCome
[Visuel : Ivy Arnold, Isabelle. Huile sur toile. Courtesy de l’artiste]
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