Ingrid Amaro, une artiste qui bouscule les règles du jeu
Artiste et chercheuse indépendante d’origine hispano-française, Ingrid Paola Amaro porte de multiples casquettes : photographe, plasticienne, performeuse et paysagiste, elle explore avec humour le rapport de l’homme à son environnement. Rencontre avec une artiste qui bouscule les règles du jeu.
Bonjour Ingrid, tout d’abord, pourrais-tu nous en dire plus sur ton parcours en tant qu’artiste ?
Enfant, je souhaitais que “marcher à travers les champs et la ville” soit un métier. Pour construire cet idéal j’ai étudié le design urbain, le paysage et les arts plastiques. J’ai découvert le voyage avec ma grand-mère. Nous prenions un bus et nous allions jusqu’à son terminus. Puis nous en prenions un autre. C’était une aventure en soi, surtout que ma grand-mère n’est pas du tout une voyageuse. Depuis, je me rends compte que le “voyage” c’est l’état qui me procure la matière créative et c’est ce que je souhaite faire émerger à l’intérieur de chaque personne. Le voyage est un état d’esprit, non pas un lieu particulier et c’est ce que je partage avec mon art, notamment avec le “tourisme vernaculaire”. Parallèlement, je mène aussi ma recherche “Contre-Nature” qui depuis 2015 se développe autour de l’endémisme, de la muséification de la nature, du voyage des plantes et d’histoires d’aventuriers.
Quelle démarche artistique guide tes recherches dans ton travail ?
Depuis 2011, j’ai décidé d’être une touriste où que je sois, en marchant et en donnant une forme plastique à mes souvenirs, j’appelle cela le “tourisme vernaculaire”. Cela se manifeste par une passion pour les cartes-postales et les dérivés du tourisme de masse comme les souvenirs et le kitch qui en découle. J’utilise la photographie, les balades avec une personne ou un groupe. J’aime travailler par ricochet, comme une sorte de lien invisible que je crée entre les lieux où je produis et les personnes qui vivent les expériences. Par exemple, je ne possède pas d’appareil photo, je les emprunte. Je me dois de créer un lien humain pour créer plastiquement. C’est une contrainte. Puis, lorsque je marche avec quelqu’un et que je lui transmets ce regard artistique sur le déplacement, ma mission c’est de faire développer sa fibre aventurière. De ces expériences naissent des installations photographiques, des sculptures… comme une archive.
Le tourisme vernaculaire, qu’est-ce que c’est ?
C’est la proposition d’être touriste dès que vous le décidez. Avec cette décision, vous êtes l’artiste de votre vie. Vous pourrez regarder le coin de la rue, les nuages du ciel, les habits des passants comme pendant un voyage lointain. C’est finalement une façon de vivre qui permet d’apprendre et de nourrir sa curiosité chaque jour. Comme lorsque vous avez été touriste. Être touriste vernaculaire c’est être capable de manifester cet état de fascination. Mon but premier n’est pas la production d’objets, même s’ils existent (photo, céramique, gravures), mais de créer des souvenirs, des sensations uniques à chacun et qui vous appartiennent ensuite.
Dans le tourisme vernaculaire, comme dans tes photographies, le détournement est primordial, pourquoi ? Quel message cherches-tu à faire passer ?
Pour ce qui est de la photographie, j’explore l’apprentissage constant, par le fait de ne pas avoir d’appareil et par conséquent de changer continuellement de machine et de m’en accommoder. Mais aussi par la manière obsessive avec laquelle je prends les photos, souvent qu’un cliché avec la minutie d’une carte postale. L’esthétique des cartes postales me fascine. Puis, tout ce qu’utilise le tourisme de masse, je l’utilise avec d’autres règles. Le tour, la balade, le trekking, les souvenirs, l’hôte, l’auberge… J’aime partager l’état dans lequel je me trouve lorsque je découvre l’esthétique du lieu le plus banal. S’il peut paraître innocent, le tourisme vernaculaire nous apprend à aimer l’espace qui nous entoure à le transformer avec notre simple présence.
La question n’est pas de considérer ce qui est “beau” ou “laid”, pour faire une photo ou créer une balade, mais l’espace, la perception et la manière de vivre l’action.
Ton travail est inspiré par le mouvement Fluxus, pourrais-tu nous en dire plus sur celui-ci ?
Fluxus a émergé dans les années 1960 entre l’Europe et New York. Le manifeste a été rédigé en 1965 par George Maciunas. Au début de ma pratique, sans le savoir, je développais mon travail avec leur philosophie, l’art comme amusement : pour et par tous. L’art apparait quand on le décide, c’est comme tomber amoureux. Il est radical parce que l’on décide de le vivre, tout simplement. Comme Allan Kaprow, je revendique le fait que c’est de l’art à partir du moment où nous le décidons. Et cela peut être décidé par tous : le fameux “moi aussi je peux le faire”. Oui, faites-le ! L’art peut rentrer dans nos vies à tous. C’est ce que j’aime de Fluxus. Cela n’empêche pas de s’émerveiller d’une technique unique ou de la grandeur des œuvres antiques, mais il faut que le “monde de l’art contemporain” se rende à l’évidence que Fluxus a gagné : tout est art. L’art est une décision, celle de se consacrer à une technique, de la développer et de la partager. La décision de vivre et de penser le monde qui nous entoure avec de l’intensité : dans la joie, parfois la mélancolie, mais avec jeu et humour.
Quels sont tes projets et temps forts pour 2023 ?
Vous pouvez retrouver mes oeuvres en vente sur mon site ou la plateforme Your Art créée par Maurice Lévy. Un article sur mon travail a été publié dans la revue Art Absolument, numéro 105 à la page 36.
Prochainement, aura lieu une collaboration avec le Musée du Design à Bruxelles et des interventions et balades ponctuelles se dérouleront dans la capitale.
Retrouvez le travail d’Ingrid Amaro sur son site Internet
Propos recueillis par Louise Chenuet
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