Hybrides : les danseurs de la belle endormie
À Bordeaux, quand viennent les beaux jours, ils sont partout. Ils animent des showcases au Miroir d’eau, s’entraînent devant l’Opéra, de tous styles, toutes origines.
Au travers de deux interviews, j’ai voulu explorer le Bordeaux des danseurs Hip-hop.
Commençons par remonter le temps, destination : les 90’s. Notre guide : Tommy Lafargue, fondateur de la Smala, crew vainqueur du Battle of the year 2010.
Je le retrouve un vendredi soir autour d’un verre Place de la Victoire. Enfant, il regardait “H.I.P H.O.P” (une émission dédiée à la culture hip-hop) avec sa mère mais il attrape le virus de la danse bien plus tard :
« En 1998 j’ai vu un reportage sur Arte qui s’appelle Faire kiffer les anges de Jean-Pierre Thorn. J’ai découvert les toutes premières compagnies de danses hip-hop. C’était un truc de ouf parce que j’y ai trouvé ce qui me manquait dans le rap ou dans le graff : d’exprimer physiquement ce que j’avais en moi […] Ça a été un peu comme une pilule contre le mal de vivre »
De là Tommy apprend, en autodidacte, avec un ami. Il s’entraîne au stade Brun, vers Nansouty. C’est alors qu’ils apprennent que sur les terrasses de Mériadeck, d’autres danseurs se réunissent.
Bordeaux était déjà un terrain fertile pour le hip-hop :
« Un training y était organisé tous les dimanche. À l’initiative, il y avait déjà Hamid Ben Mahi, de la compagnie Hors série. Mais aussi des gens comme Anthony Égéa de la compagnie Rêvolution, Boubacar Cissé… »
Les noms cités ici sont à l’origine de compagnies et même de formations désormais incontournables. En effet, la compagnie Hors série et son directeur artistique Hamid Ben Mahi sont désormais connus pour la création de pièces chorégraphiques mêlant hip-hop et danse contemporaine, se jouant ainsi des frontières de styles. En ce qui concerne la compagnie Rêvolution, que dire ? C’est un acteur majeur dans le milieu de la danse, dans la région : une compagnie, une formation professionnelle pluridisciplinaire, un lieu de diffusion et de médiation. C’est d’ailleurs de la formation Rêvolution qu’est issue notre deuxième interlocutrice, Marine, de l’association Fish & Shoes.
« Tu viens en tant que danseur hip-hop confirmé mais tu apprends la danse classique, le jazz, le théâtre… » m’explique Marine. Et c’est de l’initiative collective des étudiants de la formation qu’est née Fish & Shoes :
« On était une dizaine à vouloir créer une association. Dans notre formation, on était habitué à mêler les genres et on se rendait compte qu’il n’y avait pas de lieu approprié à ce genre de pratique. Dans Bordeaux, il y a (en quelque sorte) telle MJC dédiée au break, telle autre dédiée au popping ou d’autres styles de hip-hop… Tu as le conservatoire pour le contemporain, le jazz ou le classique, le Jeune ballet d’Aquitaine… Tout était très cloisonné. Or, nous voulions un espace pour décloisonner à la fois les esthétiques et permettre aux gens de se rencontrer. »
C’est ainsi que l’association est créée en mars 2015. Très vite, elle s’installe au Marché des Douves, une friche culturelle ouverte en juillet de la même année. Les premières battles ont lieu dans des appartements puis aux Douves. Leur ligne directrice : le partage et l’échange.
Avec les divers acteurs du hip-hop bordelais, le courant passe rapidement :
« Ils ont vu qu’on était vraiment déterminé à faire ce qu’on faisait, avec l’envie de bien faire, et de la bienveillance. Au bout d’un moment les acteurs principaux de Bordeaux, il y a quand même des têtes bien implantées ici, ont accepté. Ils ont vu qu’on jouait vraiment le jeu et avec peu de moyens… Ça s’est très bien passé. On est en partenariat avec la 197 box ; on est en très bons termes avec Tommy de la Smala qui est un très gros acteur ici. On est en bons termes avec tout le monde au final. »
D’ailleurs Tommy ne manque pas de me parler d’eux pour évoquer le jeune hip-hop bordelais.
Et ils s’accordent tous les deux à dire que Bordeaux a une aura particulière :
« Bordeaux est une belle ville d’artistes » me dit Tommy.
« A chaque fois qu’un danseur d’une autre ville vient ici, il se rend compte du vivier de danseurs qu’il y a ici, et des danseurs vraiment talentueux. On n’est pas aussi connu que Paris mais, au niveau de la culture, on est vraiment aidés. Il y a quand même des compagnies qui tournent, que ce soit Hors Série, Rêvolution, Collectif Orobanche… Il y a des aides pour les jeunes compagnies, ce qui est chouette.» m’assure Marine ; « Et même dans le milieu underground, des battles il y en a. C’est important parce que ce n’est pas le cas partout… Les danseurs peuvent être libres de penser.
Il n’y a pas de prise de tête comme à Paris… L’appartenance et l’apparence sont moins présents ici. Après ma formation, j’ai voyagé (avec des compagnies) pendant 2 ans et je n’ai pas trouvé ailleurs ce sentiment de bienveillance entre les danseurs et cette envie de partager dans la joie et la bonne humeur. »
Si aujourd’hui la pratique du hip-hop s’est démocratisée, entraînant ainsi une commercialisation de sa culture, ce que Tommy déplore, les visées artistiques et engagées de la discipline sont bien là. Je pense particulièrement au volet social et éco-responsable que développe Fish & Shoes. Que ce soit par la réduction de déchets sur son festival, le Fish Mind, ou au travers de son travail d’échanges, en cours de réalisation, auprès des réfugiés.
Je pourrais continuer sur des pages entières et cet article ne saurait couvrir la vastité et la pluralité de son sujet.
Ce qui est sûr, c’est que les danseurs de la belle endormie ont un bel avenir devant eux.
Maeva Gourbeyre
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