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Horéa : “En tant qu’artiste, je veux être libre”

Elise Marchal 5 août 2020
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D.R

Rencontre avec Horéa, une artiste alsacienne qui s’épanouit à travers son art et nous surprend avec des compositions toujours plus détonantes. Elle nous fait aujourd’hui le plaisir de répondre à nos questions.

Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Horéa, je suis artiste plasticienne mais aujourd’hui je me présente davantage comme ingénieure de l’art, voire performeuse. Avec 25 ans de recul, j’ai la possibilité de dire que j’ai un travail pluriel : un travail de peinture, photo, sculpture et de tableau-objet.

Comment as-tu réussi à vivre de ton art depuis 25 ans ?

C’est le résultat d’une honnêteté, d’une réflexion… Le fruit d’une démarche lente et réfléchie par rapport à l’histoire de l’art. J’étais craintive à l’idée de tout déballer d’un coup mais j’ai réussi à gérer ces tremblements spirituels, esthétiques et intellectuels. C’est important de rassurer le spectateur et de l’amener vers son univers, telle une promenade intellectuelle.
C’est aussi 25 ans de communication avec autrui, d’échange, de critique et de vie. Quand les gens comprennent ton charabia, c’est fantastique ! Un nouveau langage se crée entre le spectateur et l’artiste.
L’acquisition d’une œuvre, c’est un lien et non pas uniquement un échange financier. Je rencontre mes amis à travers mon art : dans mon monde je n’ai pas de clients !

“La Reine”, huile sur toile, 150 x 120 cm © Horéa

Comment décrirais-tu ton univers artistique ?

Je le trouve personnellement contemporain, voire audacieux. Je me permets de le dire aujourd’hui, parce qu’à 50 ans je l’accepte enfin ! Le confinement m’a apporté un cadeau extraordinaire malgré la gravité du moment : j’ai vu le soutien accordé à mon travail et accepté le fait qu’il soit apprécié et reconnu.
Quand je crée je peux me balader entre le figuratif et l’abstrait, raccrocher les gens vers un point figuratif intellectuel ou historique, puis les amener vers une représentation complètement décalée.

“Ballerines”, sculpture (métal / cathédrales / opéra) © Horéa

Tu as évoqué précédemment que tu travailles différents médiums, en as-tu un de prédilection ?

Non, tout est à la fois multiple et complémentaire ; mon cerveau est comme ça aussi. Plus jeune, j’ai fait un cursus qui mêlait les sciences et les arts. Je suis ravie de pouvoir assouvir cet aspect dans mon travail : mon esprit est en constante recherche.

“La [Re]Belle Strasbourgeoise”, huile sur toile, 120 x 120 cm, © Horéa

Au regard de tes œuvres, on remarque beaucoup le thème de l’héritage que tu déclines à travers l’opéra, la cathédrale, l’esprit, le corps et cette année l’interprétation de La Belle Strasbourgeoise, une œuvre de Nicolas de Largilliere (1703). Comment l’interprètes-tu ?

Le sujet de l’héritage est pour moi primordial, mais je ne l’ai pas compris tout de suite. Les dix premières années, j’ai représenté l’esprit, qui est en quelque sorte mon paysage intérieur : j’ai donc fait beaucoup de tableaux abstraits. Puis, j’ai travaillé le corps, le nu, même si ce n’est pas évident de trouver le bon nu… Après 15 ans et notamment grâce à la maternité, j’ai réalisé des empreintes de corps dont celles de mes clientes avec la série “Empruntez-vous”, pour laquelle il n’y a ni distance, ni peinture, ni référent. C’est l’empreinte d’un corps vivant par lequel on rentre dans l’abstraction : c’est superbe. Ces empreintes restent dans la famille tel un héritage.
D’ailleurs mes premières cathédrales ont été créées avec l’empreinte de mon corps habillé de ses verticales, très représentatives de la Dame de Strasbourg. L’Alsace m’a permis de m’épanouir : l’Opéra National du Rhin est un bâtiment extraordinaire dans lequel mes “cathédrales” ont pu être présentées en 2012. Pour moi c’est un lieu inspirant qui m’a permis en 2019 de créer une collection particulière. Un travail pluriel, une manière pour la cathédrale de Strasbourg de tendre la main à l’Opéra… son frère. La notion d’héritage est une verticale essentielle dans ma démarche contemporaine, je suis toujours à la recherche d’une démarche riche et audacieuse et parfois remplie d’humour.

“Eva”, huile sur toile, 150 x 120 cm (Empreinte) © Horéa

Quand tu crées, ton processus est plutôt spontané ou réfléchi ?

Depuis longtemps, il y a une maturité de réflexion mais sincèrement tout est fluide. La spontanéité me ramène à l’essentiel et me permet d’avoir l’audace et d’être originale : peindre les choses dans la mimesis ne m’intéresse pas si ce n’est pas pour transmettre une émotion. En effet les verticales, les rythmes, la moisissure, l’humidité et l’altération du corps me fascinent.
D’ailleurs le dernier sujet, qui n’est d’autre que La Belle Strasbourgeoise de Nicolas de Largillierre (1703) que j’ai réintitulée La [Re]belle strasbourgeoise, est une réaction : la Strasbourgeoise c’est ma vie que j’ai extrapolée en trois collections. Ont alors émergé Re/Père, un remerciement pour mon père qui m’a permise de m’exprimer, la Fugueuse remplie de fantaisie, et Bouche… B, les autoportraits inconscients. Symboliquement, j’ai trouvé ça beau de représenter cette dame de Strasbourg en transparence avec les ruelles de la ville. Ce sont nos parents qui nous guident dans ces rues en nous montrant le chemin. Ça nous permet d’être et de grandir.

“Re/père” La [Re]Belle Strasbourgeoise, technique mixte sur toile, 150 x 120 cm © Horéa

Dans une interview tu as précisé que lorsque tu crées tu ne te considères “ni homme, ni femme, simplement artiste”. Ça signifie quoi pour toi ?

Quand je crée je n’ai pas de genre, je suis asexuée. En fait, je ne suis même pas artiste, je le deviens dans l’œil d’autrui. Pour la société, je suis considérée comme une artiste qui travaille et qui est socialement inscrite à la Maison des Artistes. En revanche, je ne peux pas prétendre l’être parce que c’est une considération qui n’appartient qu’à autrui, je vais être une artiste pour l’un et pas pour l’autre. Quand je peins, je “suis”, simplement. Je suis alors dépourvue de faiblesse ou de force, je suis simplement. Ce n’est pas facile d’être simple, pourtant la simplicité c’est un livre d’or et il faudrait davantage l’être, donc je tends vers ça comme je peux.

VIE/RAGE, Cathédrale de Strasbourg, huile sur toile, 120 x 120 cm © Horéa

On peut te retrouver à ton espace, la Cour D’Horé à Strasbourg ; que peut-on y trouver ?

Alors il faut s’accrocher parce que je me suis fabriqué une cour extraordinaire avec 5 locaux qui sont finalement un petit peu comme mon cerveau.
Il y a la partie création, composée de deux ateliers, l’un me permet de faire des empreintes avec toute l’intimité nécessaire pour mes clientes, c’est comme une petite maison. L’autre, c’est le bazar complet, c’est génial ! S’ajoutent à cela 3 galeries. Une manière de trier mon cerveau et de présenter un petit peu mon chaos organisé avec ces espaces de respiration. J’adore, j’ai l’impression que ma Cour d’Horé, c’est mon cerveau, en géant, c’est une sorte de ruelle intellectuelle.

Certains artistes t’inspirent-ils plus que d’autres ?

Bien sûr, il y a plein d’artistes qui m’inspirent. Tout d’abord, je me prosterne devant Léonard de Vinci, Rubens, Monet… On a de la chance d’avoir une telle richesse artistique et intellectuelle. Je n’ai pas vraiment de préférence ; j’adore Alechinsky par exemple, Van Gogh aussi même s’il y a des choses que je ne voudrais pas chez moi. Je m’incline devant l’intelligence de Picasso également. Cela étant, je pense être une héritière de l’impressionnisme, du néo-impressionnisme, c’est sûr. Tout ce qui me plaît, c’est la vibration, c’est le moment. Je suis aussi coloriste, pour moi la couleur c’est un langage extraordinaire.

Quels sont tes projets à venir ?

Je suis déjà dans mon projet à venir. Je suis dans “sum”, être. Il n’y a pas d’ambition ou de fantasme particulier… Je vis de mon art depuis 25 ans, ce n’est déjà pas trop mal. Après, être dans des grandes galeries à l’international, ça ne m’intéresse pas tant que ça ou alors il ne faut juste pas qu’on me fasse travailler davantage, c’est déjà beaucoup trop pour moi-même ! J’aime aller vers la simplicité, ce n’est pas que je n’ai pas d’ambition mais que je suis dans mon ambition.

“Re/Père” (détail) © Horéa

Est-ce que tu considères qu’aujourd’hui il y a certaines limites qui t’empêchent de faire ce que tu veux aussi librement que tu le souhaites ?

La maternité m’y empêche. Je ne peux plus peindre la nuit. Avant mon enfant, que j’aime plus que tout, je peignais 15h par jour, et je ne considérais pas que je peignais : je respirais. Après, en tant que maman, il y a une réalité sociale. J’ai des responsabilités qui me prennent du temps. Donc je suis obligée d’orchestrer ces soi-disant espaces d’expression artistique alors un peu souillés par le quotidien. Plus jeune, j’adorais peindre pendant des heures parce qu’au bout de 10h, je savais que la fatigue serait intéressante et lavée de tous codes sociaux. J’arrivais à un stade de concentration et d’audace extrême et c’est là que je faisais mes plus belles toiles, entre 23h et 4h00 du matin. Mais soyons honnête, la maternité offre une force incroyable aussi… mon fils Tim m’a inspirée et m’inspire encore !

Portes-tu une attention particulière à la dimension sociale que peut avoir l’art et si oui est-ce que tu l’as déjà exprimé à travers des créations ?

C’est important pour moi et même primordial. Je suis un être humain et une maman, beaucoup de causes me touchent mais plus particulièrement les enfants malades et leurs parents. Ça me perturbe. Dans ma galerie, ça m’arrive de faire des événements et d’aider une fondation comme ASALYA. Je pense qu’il faut donner, toujours donner.

“Blue Queen” (Cathédrale), huile sur toile, 150 x 95 cm © Horéa

Pour finir, qu’est-ce qui compte le plus pour toi en tant qu’artiste ?

La liberté absolue. Je n’ai pas envie de me sentir prisonnière ni du froid ni de la faim ; je veux être libre, avoir mon rythme à moi, être en harmonie.

Retrouvez Horéa sur son site et sa page Facebook ; retrouvez ici l’association Asalya.

Propos recueillis par Elise Marchal

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