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Histoire des modes et du vêtement du Moyen-Age au XXIème siècle – Rencontre avec les auteurs

Cloé ASSIRE 12 novembre 2018
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« Histoire des modes et du vêtement du Moyen-Age au XXIème siècle » vient de paraître en librairie. À la manière de l’Histoire de l’art pour tous de Nadeije Laneyri-Dagen (HAZAN, 2011), ce livre se veut comme une approche radicalement neuve, ouverte et transversale de l’histoire de la mode, et même des modes. Entretien avec Denis Bruna et Chloé Demey, chargés de la direction de cet ambitieux ouvrage.

On parle souvent de LA mode. Pourquoi cette utilisation du pluriel dans le titre ?

Chloé Demey : On a choisi le pluriel parce qu’on avait envie d’une mode riche, complète et pas forcément élitiste comme l’ait la plupart des ouvrages sur l’histoire de la mode. On parle de la mode, mais c’est souvent la mode aristocratique sous l’Ancien Régime, de la bourgeoisie au XIXe siècle, de la mode des podiums au 20e siècle, etc. On avait envie d’une mode plus large et populaire, donc plurielle, aussi bien masculine que féminine, aussi bien des enfants que des adultes, aussi bien des élites que des classes populaires ou moyennes, ou encore les anti-modes pour montrer l’étendue du sujet.

Ce livre s’ouvre sur cette citation de Balzac « L’homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot » (dans son Traité de la vie élégante en 1830). Une ouverture de votre problématique au contexte historique, sociologique et économique ? Quel a été le point de départ de cet ambitieux projet ?

Denis Bruna : C’est en effet un ambitieux projet dont nous parlions depuis quatre ans avec Chloé et qui a nécessité trois ans de travail. C’est une longue histoire. L’idée était de faire quelque chose qui nous plaisait et d’écrire un livre nouveau qui réponde à un public très large. Je suis aussi professeur en histoire de la mode et du costume à l’École du Louvre et, chaque année quand je dois faire la bibliographie pour les étudiants de premier cycle, il y a toujours des livres très vieux et le livre de référence que l’on cite toujours date de 1965. L’idée était donc de faire un livre nouveau qui parle aussi de l’impact sociologique, économique, etc, en utilisant vraiment les phénomènes de mode comme des documents.

À qui s’adresse ce livre ?

Chloé Demey : Un public très large, pas forcément des étudiants ou des amateurs. La création d’une soixantaine de focus donnent des clés d’entrées pour un public qui ne serait pas encore avisé.

Denis Bruna : Nous avons voulu renouveler l’iconographie, car nous ne voulions pas utiliser les mêmes images que l’on retrouve souvent dans les autres ouvrages de mode. Il a donc fallu varier les sources avec des cartes postales, des photos de familles, etc. Le but vraiment était à la fois de faire un livre nouveau, mais aussi de le rendre accessible à tous. En effet, si on s’intéresse à l’Histoire, on peut aussi trouver son compte dans ce livre.

Comment avez-vous procédé pour les recherches nécessaires à cette Histoire des modes et du vêtement ?

Chloé Demey : Nous avons travaillé avec une équipe de jeunes chercheurs à qui nous avons donné des consignes particulières, comme ce renouvellement de l’iconographie, mais surtout cette volonté de ne pas se restreindre à une élite.

© Paris MAD

C’est à partir du milieu du XIXe siècle que la publication d’ouvrages sur l’histoire de la mode s’accroît, alors qu’en 1550 Vasari est déjà considéré comme le premier historien de l’art avec Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Pourquoi faut-il attendre autant pour s’y intéresser ?

Chloé Demey : Tout d’abord, au XIXe siècle, on parlait davantage de l’Histoire du costume. L’histoire de la mode est en effet très récente et existe depuis environ 150 ans, car elle était souvent considérée comme une sous-catégorie par rapport à l’histoire de l’art, présente depuis environ 500 ans. L’histoire du costume se mêlait donc à l’histoire de la mode et, pendant des générations, les historiens voyaient en la mode quelque chose de futile, et non pas un phénomène qui en dit long sur la société de telle ou telle époque.

Les expositions qui célèbrent la mode dans les musées fascinent les foules, notamment avec Dior, couturier de rêve, qui a attiré plus de 700 000 visiteurs aux Arts Décoratifs. Comment expliquer cet engouement ?

Denis Bruna : Tout d’abord, il y a une part de rêve qui est très importante. La mode fascine le grand public et nous sommes dans une période où celui-ci recherche de plus en plus à comprendre, à se cultiver, ce qui justifie l’engouement autour des expositions, en général. De plus, les expositions de mode sont très récentes. On les voit seulement se développer à partir des années 1980, ce qui est donc très nouveau par rapport aux expositions traditionnelles sur les Beaux-Arts.

Les expositions de mode se multiplient, les ouvrages la prennent de plus en plus souvent pour objet d’étude scientifique, tandis qu’à l’École du Louvre, depuis 2007, il est possible de suivre un enseignement en histoire de la mode. N’est-ce pas paradoxal que de vouloir conserver ce qui est souvent défini comme éphémère ?

Denis Bruna : On conserve la mode pour compléter les collections et, ainsi, être le témoin de son temps pour les générations futures, même si la mode est éphémère, au même titre de documents attestant de la vie d’hommes et de femmes à un moment donné.

Chloé Demey : Et l’histoire est faite d’une accumulation de choses éphémères !

© Paris MAD

Denis Bruna est docteur en histoire de l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et conservateur chargé des collections Mode et Textile antérieures au XIXe siècle aux Arts Décoratifs. Il est aussi professeur et directeur de recherche en histoire de la mode, du costume et du textile à l’École du Louvre. Il est notamment l’auteur de Piercing, sur les traces d’une infamie médiévale (Textuel, 2001) et Bijoux oubliés du Moyen Âge (Seuil, 2008).

Chloé Demey est diplômée de l’École du Louvre en muséologie. Elle est responsable des éditions du Musée des Arts Décoratifs.

Cloé Assire

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