Hip-hop – Du Bronx aux rues arabes
Hip-hop – Du Bronx aux rues arabes Du 28 avril au 26 juillet 2015 Mardi, mercredi et jeudi de 10h à 18h Vendredi de 10h à 21h30 Samedi, dimanche et jours fériés de 10h à 19h Fermé tous les lundis et le 1er mai. Plein tarif : 10 € Institut du Monde Arabe M° Jussieu |
L’Institut du Monde Arabe présente une exposition passionnante sur le hip-hop, de sa naissance porté par le funk dans le Bronx à New York dans les années 1980 jusqu’aux expressions révoltées dans les rues arabes. Rap, danse, graff, le hip-hop est une culture transversale, qui est un cri parfois, mais surtout la seule qui se soit imposée à ce point au niveau mondial. Akhenaton est le directeur artistique de l’exposition. Il répond à nos questions. Quel est l’enjeu d’avoir pris la direction artistique de cette exposition ? L’enjeu est simple : donner une direction qui est fidèle à ce qu’est cette culture dans son ensemble, sans pour autant en faire une exposition didactique, mais basée sur la transmission dans cette forme d’art. Dans le graff, la danse, le rap, le DJing, le beatmaking. Malheureusement, tu ne le sais peut-être pas, mais en tant qu’acteurs du hip-hop qui existe depuis 30 ans en France, et 40 ans aux États-Unis, on est très peu crédités pour l’apport général que cette culture a eu sur d’autres cultures “mainstream” et sur d’autres formes d’art aussi. Pourrais-tu développer ? Par exemple, un couturier comme Dapper Dan, qui découpait à Harlem les sacs Louis Vuitton pour en faire des tenues pour tous les rappeurs et les dealers de New York, avait même créé des techniques de print différentes et il a fini par se faire ruiner à cause de procès menés par ces grandes marques qui lui ont piqué ses techniques de print au final. Je pense que, dans le fond, il n’y a pas tellement de justice sur la créativité, la création, c’est un peu à l’image de ce qui se passe dans notre culture, on invente des choses, c’est repris par les courants mainstream et on devient transparent. Est-ce qu’il y a des clichés que l’exposition tenterait de démonter ? Non, pas réellement. Je pars d’un point plus positif comme l’illustre le pied de nez dès l’entrée de l’exposition avec le mur de Ghetto Blasters : c’est le cliché du mec qui écoute du rap avec le poste sur l’épaule. Pour moi, c’est une sorte d’affirmation, “oui, c’est notre culture, et… ?”. Le but n’est pas de repartir de l’exposition en en ayant plein les yeux, mais d’avoir découvert tel artiste, comme le graffeur libanais Yazan, et de vouloir en savoir plus sur lui… Il faut que ce soit à l’image de notre culture, une “dégringolade transmissive”. Internet ne doit pas servir qu’à poster des photos du petit-déjeuner, mais à découvrir des gens extraordinaires. Globalement, ces dernières années, on est dans un modèle destructif où on ne parle que des choses négatives et on ne crédite pas des gens qui font des choses bien. On peut découvrir des artistes et graffeurs du monde arabe qui méritent d’être entendus et appréciés. Ils vivent une autre réalité que la nôtre, pourtant ils sourient plus et sont moins aigris ! Faire une exposition sur le hip-hop, est-ce que cela revient à dire que le hip-hop est mort ? Et comme l’exposition ouvre sur les nouvelles expressions dans le monde arabe, cela nous amène-t-il à comprendre que le dernier bastion de résistance du hip-hop est maintenant dans ce territoire en révolte ? Le dernier bastion de résistance du hip-hop est de partout ! Le hip-hop existe dans toutes ses formes et dans sa forme originelle qui est le divertissement. C’est vrai que la mésentente de la presse française avec la culture hip-hop est de croire que c’est uniquement une culture engagée, alors que ce n’est pas le cas. Est-ce qu’on ne peut pas mesurer un peu cette affirmation ? C’est comme dans le graff et le street art, certains artistes sont engagés et d’autres non ? La période engagée se situe véritablement entre 1986 et 1991, ce qui est infime sur 40 ans de musique ! C’est la période où il y a eu les premiers articles sur le rap en France. Public Enemy a fait découvrir ce phénomène-là à grande échelle. Donc les bastions de résistance sont dans les idées et têtes des gens. Et on gagne et on perd des batailles ! Comme lorsque Five Pointz a été détruit l’année dernière à New York, un endroit extraordinaire où tous les graffeurs du monde avaient posé leurs œuvres, c’était un endroit sauvage [ndlr : une usine désaffectée du Queens de 20 000 m2 de murs] : il a été détruit en une nuit, j’étais atterré. L’art a été beaucoup affublé de “ismes” – impressionnisme, fauvisme, expressionnisme… –, mais aujourd’hui, l’art est devenu individualiste, on n’a plus de mouvements. Le seul qui peut se revendiquer comme un mouvement de masse, qui bouge et qui est transversal, j’ai l’impression que c’est le hip-hop… Oui, pour moi, cela reste un mouvement avec une esthétique et une ouverture d’esprit qui permettent à des formes extrêmement différentes de cohabiter au sein de cette exposition. Le hip-hop est un vrai cheval fou : on ne peut pas s’asseoir dessus ni le maîtriser. On peut juste le regarder et se dire qu’il est magnifique. On peut courir à côté. Les murs de l’IMA ne peuvent pas contenir cette culture-là ! À quoi rêve le hip-hop en 2015 ? Il rêve d’évolution, de créativité, d’inventivité, de nouvelles formes. Quand tu es beatmaker, tu rêves de faire le son qui va révolutionner. C’est une culture de compète, il y a beaucoup de rapports avec le sport. Quand tu es rappeur, tu rêves de faire “LE” texte qui va marquer le rap dans 10 ans encore ; quand tu fais du graff, tu espères réaliser le visuel qui marquera les esprits, qui sera comme un symbole. Il y a cette idée de pérennité, d’entrer dans la légende ! Tu vas dans le sens du témoignage de JonOne dans un entretien diffusé dans l’exposition, où il dit qu’il faut travailler sur toile pour préserver les œuvres, qu’on puisse dans 50 ou 100 ans encore en parler ! C’est important que cet art puisse exister et perdurer. Les détracteurs des graffeurs qui peignent sur toile sont généralement des graffeurs qui ne sont pas bons. Lorsqu’on est moins bon, on peut toujours être plus radical ! En tant qu’artiste, tu t’es inspiré de beaucoup de sources artistiques, dont l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, l’exposition cherche-t-elle à changer le regard qu’on porte sur cette région, la faire basculer d’un territoire où se déroulent des révoltes et où se jouent des événements politiques importants à un foyer d’inspiration artistique, de potentialités créatives ? C’est une des raisons pour lesquelles je me suis intéressé à ça ; dans les révoltes et les événements, on dépeint à la télé des gens vindicatifs, et il y a des artistes qui ont des propos construits. Lorsqu’on voit la photographie des trois rappeurs palestiniens des G-Town qui écartent le mur avec leurs petits bras, la symbolique est énorme ! Elle vaut mille semaines de conflits, elle a plus de portée, plus d’impact pour montrer la réalité des Palestiniens ! Je pense que les choses peuvent évoluer en mieux, mais cela ne peut pas se faire avec la force, ni d’un côté ni de l’autre. Était-ce difficile de choisir les œuvres ? Oui, et il y a même une œuvre pour laquelle je ne suis pas tellement d’accord car je connaissais une autre pièce de l’artiste qui correspondait mieux au contexte. Il s’agit des Trois grâces de Kehinde Wiley. J’avais choisi le portrait de Grandmaster Flash, mais malheureusement, le collectionneur ne voulait pas le prêter… Cette exposition t’a donné l’envie de reproduire l’expérience, ailleurs ? Cela m’a surtout donné l’espoir que cette exposition voyage, tout d’abord dans ma ville de naissance, Marseille, mais pourquoi pas dans ma ville d’adoption qu’est New York et dans ma ville d’origine, Naples, ou quelque part en Italie. Mais par-dessus tout, dans des grandes capitales du monde arabe : Alger, Rabat, Tunis, Le Caire, Beyrouth, ce sera plus compliqué pour Damas ou Bagdad ! Que les gens écrasés par leur quotidien rencontrent les rappeurs et les graffeurs qui pensent la société de demain dans leurs œuvres. Tu es un utopiste ? Au bout d’un moment, si on n’a pas un minimum d’espoir et de foi en l’être humain, il vaut mieux abandonner le terrain aux aigris et aux néo-nazis de tout bord ! Propos recueillis par Stéphanie Pioda [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=v676PDuLovA[/embedyt]
[Akhenaton © Nicolas Guerin / MR.M, “Invasion” Panasonic RF 5410 – 1984, 2010, techniques mixtes, 40 x 23 cm, Collection Gac Original © GAC ORIGINAL / Laura Levine, Tina Weymouth and Grandmaster Flash, New York City, 1981 © Laura Levine / Henry Chalfant, Blade, Walking Letters, Années 80, Taxie Gallery/Valériane Mondot, © Henry Chalfant / Ammar Abo Bakr, Mo Mahmoud said Khaled, “Glory to the unidentified”, 2013, Ganzeer, Cairo, Egypt © Abdo El Amir / Yazan Halwani Fayrouz, “JdoudnaIkhtara’ou Al Sofor, Wa Ah’fadhom Sarou Sfoura” (Nos grands-pères ont inventé le Zero, leurs petits-fils sont devenus zéros). Gemmayzeh, Beyrouth, 2013] |
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