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Glitter power : entretiens au sein du Couvent, jeune maison de Drag à Bordeaux

Maeva Gourbeyre 6 janvier 2020
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Juliette Capulet, Titania, Lady Macbeth… sur les planches de l’époque élisabéthaine seraient nées les premières drag queens. La pratique du théâtre alors interdite aux femmes, les personnages féminins étaient joués par des hommes, ainsi, le terme “drag” ou “dress resembling a girl émanerait de ces acteurs. C’est dans les années 1930 dans les Vaudevilles, puis, de façon plus clandestine, dans les speakeasy que le Drag se rapproche de sa forme contemporaine pour se lier à l’histoire de la communauté LGBTQIA+.

Particulièrement impliquées dans la lutte pour l’égalité et les droits des LGBT aux États-Unis, les drag queens organisent des concours de beauté, des défilés, et fréquentent les ballrooms new-yorkais, berceaux du Voguing. Mais ce n’est que très récemment que l’art et la culture drag se sont vraiment fait connaître du grand public, par l’intermédiaire d’un télé-crochet américain, Rue Paul Drag Race. L’engouement est planétaire, sortant la drag queen du placard, libérée des clichés de La cage aux folles.

La France n’a pas échappé au phénomène, et il se trouve que Bordeaux est devenue un des haut-lieux du drag français. Depuis 2 ans les performances et les runways s’enchaînent dans les bars bordelais, révélant des artistes haut.e.s en couleurs.

Maison close, la Casa de las Maryposas ou encore le Couvent fédèrent une communauté fidèle et enthousiaste. Le Couvent a eu la gentillesse de nous accueillir à l’occasion d’une de leur réunions dominicales. Cette association a été fondée par trois jeunes drag queens bordelaises : Anushka Rasovski à la beauté transsibérienne, Miss Kahlo Graham inspirée de votre vieille tante vendéenne et l’extravagante Lucy :

« L’idée, c’était d’aider les nouvelles artistes bordelaises, parce que lorsqu’on est artiste et que l’on débute, on n’a pas forcément les moyens de se faire une place sur une scène ou d’exposer correctement son travail. On a donc décidé de se regrouper et de proposer aux nouveaux arrivants dans le drag et autre (on prend plein d’artistes différents) de venir s’exprimer avec nous, en assistant à des cours de maquillage ou des cours de théâtre et à côté de ça leur apporter une aide financière. Pour acheter du make-up, des tenues etc… On va notamment ouvrir une friperie afin d’engendrer des revenus pour l’association et proposer des vêtements accessibles à tous. », nous explique Kahlo Graham.

Se faire une crédibilité dans le milieu du drag n’est pas chose aisée : « Quand tu es nouvelle on attend que tu fasses tes preuves. Il y a une hiérarchie entre les drag queens déjà établie et les nouvelles arrivantes qu’on appelle des baby. On estime qu’il est temps de laisser aux personnes qui se sentent l’opportunité de monter sur scène. »

Kahlo Graham a commencé le drag lors d’un séjour à la capitale. C’est dans les soirées parisiennes qu’il croise d’autres drags queens bordelaises : « Je ne savais pas qu’il y avait une scène drag à Bordeaux en fait…»

Cependant en un an et demi ce milieu artistique encore très underground a émergé de façon fulgurante :

Qu’est ce que ça a changé pour vous ?

« Il y a des pour et des contres à cette explosion du drag : ce qui est bien dans un sens c’est que plus de lieux sont intrigués et acceptent de nous recevoir, face à autant d’engouement les bars et autres établissements ne vont pas dire non à de potentiels clients. Il va y avoir également plus de diversité artistique et ça c’est cool aussi. En revanche, il y a un risque de se perdre, on peut le concevoir comme quelque chose de fun (pas de problème) mais n’oublions pas que le drag reste une pratique artistique et un métier. »

Une scène ouverte

Bordeaux est l’une des trois grandes scènes de drag en France, une scène riche de sa diversité ou les différentes maisons communiquent et se soutiennent, ce qui fait sa particularité. C’est aussi une scène ouverte, le Couvent en est un exemple des plus probants. À travers divers entretiens menés au sein de l’association nous avons pu aborder différentes personnalités et parcours d’artistes qui nous en permis de mieux comprendre les enjeux créatifs et sociétaux du drag.

    Sweet in pain (c)Oceane Rigonnet

Hanaé alias Sweet-in-pain est artiste interdisciplinaire, elle peint, et écrit un livre sur la condition féminine à partir d’interviews réalisées sur la côte ouest africaine.

Comment as-tu commencé le drag ?

« Sans m’en rendre compte (rire) en fait la maison Spectre en juin dernier a organisé un gala. J’aime me lancer des défis pour briser les barrières que je me suis construites au fur et à mesure de mon éducation, du coup préparer un costume et participer à un runway (ndlr : défilé) semblait être une bonne idée. »

On s’imagine souvent que le drag est réservée aux hommes mais il s’agit d’un milieu ouvert à la diversité.

« On a les drag queens, les drag kings (femmes habillées en homme) et on a aussi les hyper… je ne pensais pas qu’une femme pouvait sérieusement faire du drag avant d’essayer. D’ailleurs au début on m’appelait bio-queen, biologiquement femme. C’est pas top comme appellation, c’est excluant pour les femmes transgenres. Certes, certaines drag queens sont plus sévères avec moi, parce que je suis une femme ce qui, selon elles, facilite ma pratique du drag et je devrais donc me dépasser, faire encore plus d’effort. »

Sweet-in-pain nous apprend que le drag en tant qu’art de la scène est moins codifié qu’il n’y paraît. Outre le traditionnel lip sync tout est permis :

« Récemment j’ai vu une performance de drag où l’artiste récitait un texte de Saez assise sur scène par exemple. »

Cette diversité se retrouve sous bien des aspects, un point que nous abordons avec Angelo alias Angel :

« Pour moi, mon drag c’est une partie de moi même et pas deux personnes distinctes. J’essaie de vraiment développer mon esthétique et de faire passer une émotion au travers de mes performances. Je me suis intéressé au drag en regardant Rue Paul Drag Race mais je me suis rendu compte que ce n’est pas forcément la réalité qui y est représentée, on y voit des queens cisgenres, pour la plupart, et cetera… alors qu’il y a des bio-queens des queens avec une esthétique plus conceptuelle et pas juste des beauty queens(ndlr reine de beauté)… Pour moi il y a autant de définition du drag que de personnes qui en font. »

C’est un sentiment que l’on retrouve chez Fluffy, dont l’univers esthétique pourrait se définir comme intime et singulier :

« J’ai connu le drag en regardant Rue Paul drag race. J’ai découvert la scène bordelaise et je me rend compte du manque de diversité de Rue Paul Drag Race depuis… c’est très fermé, aux personnes trans par exemple. Mon personnage, j’ai envie d’en faire une créature, je suis un Club Kid (c’est un personnage non genré, ni femelle, ni mâle, ni humain), mais rien n’est très défini, je viens de commencer le drag. »

Le mouvement club kid émerge à la fin des années 1980, début 1990, dans le milieu new-yorkais de la nuit. On compte parmi les grandes figures de ce courant, James Saint James et Michael Alig. Le film Party Monster (2003) inspiré du livre autobiographique Disco Bloodbath de James St James raconte son histoire.

« Ça ne m’intéressait pas trop d’être dans la binarité, je suis attiré par le concept de créature, la mythologie gréco-romaine, et puis j’adore dessiner, je dessine souvent des monstres. Du coup pourquoi ne pas leur donner vie en les incarnant, en quelque sorte ? »

En effet les origines, inspirations et motivations de chacun donnent au drag une coloration particulière. Au fil des discussions, les enjeux politiques de cet art se révèlent…

Lola (c) Océane Rigonnet

Drag et militantisme

Recrue alors récente du couvent, Lola Moonchild est étudiant en cinéma. À l’occasion d’un sketch il incarne une drag queen pour la première fois, il commence alors à fréquenter les galas bordelais :

« J’ai trouvé cet univers incroyable, artistiquement et humainement. Il y a une ambiance très familiale et c’est très vaste en terme de création : ça regroupe de la danse, de la mise en scène, de la confection de costumes… »

Le couvent, (c) Oceane Rigonnet

© Océane Rigonnet

C’est cette même entièreté artistique qui a séduit Lucy :

« Je compte m’inscrire au cours Florent, le coup de cœur que j’ai eu sur le drag c’est de pouvoir me maquiller et faire de la scène, j’ai toujours eu une pratique artistique, notamment la musique. Ce que j’aime dans le drag c’est que ça regroupe divers aspects artistiques : un côté esthétique et même plastique avec par exemple la création de tenues ; les arts de la scène avec un côté très théâtral dans les performances, mais aussi un côté dansé, voire chanté… » nous explique le jeune performeur.

Lola joue dans une pièce de théâtre en préparation, Queer Hotel, qui réunit plusieurs performeur.se.s de la scène drag :

« C’est un projet qui va servir à mettre en scène un personnage considéré comme un agresseur, confronter à de nombreux performeurs qui vont arriver pour aborder, au travers de leurs performances, des sujets comme la violence, le viol, pour faire passer un message tout en restant accessible pour un public jeune (à partir de 17 ans). Notre but est éducatif. »

Tu te définis comme militant ?

« Oui, faire du drag pour moi c’est du militantisme on est en quelque sorte des bannières vivantes de toute une communauté, de tout un passé. Il y en a beaucoup qui sont pas forcément conscient de ça qui font du drag pour s’amuser, mais c’est important de garder en tête que l’on a un héritage de personnes qui sont mortes pour qu’on se sente libre de faire ça, même s’il y a encore des discrimination voire des violences. »

Lola embarque sa petite amie dans l’aventure du Couvent, étudiante en droit elle est une petite main, une conseillère, bref une femme de l’ombre :

« Je ne connaissais pas du tout cet univers artistique avant de rencontrer Théo. Et puis je ne pensais pas qu’une drag queen pouvait être hétéro, je n’étais pas sûre de la différence avec la transidentité, on a beaucoup d’à priori au travers des médias, du cinéma…J’apprends beaucoup de choses, je m’ouvre et j’ouvre petit à petit le monde dans lequel je vis sur cet univers là pour inciter à la tolérance. J’ai un parcours très encadré (ndlr : écoles privées, universités de droit), et je suis entourée de gens formatés plus ou moins de la même façon. »

La mise en parallèle de sa formation juridique et de son expérience au Couvent lui permet d’avoir une réflexion voire une remise en question sur des questions de société :

« On ne nous apprend pas tous ces termes et toute l’ambivalence autour d’eux. Par exemple s’il m’arrive de dire transsexualité au lieu de transidentité (ce qui est une erreur car très réducteur) c’est parce que je l’avais appris dans le code civil… »

Julien aka Véro La nique a fait ses premiers pas dans le drag il y a 6 ans, sa pratique reste longtemps festive, son style il le qualifie de vulgaire :

« Montrer qu’on peut être libre de faire ce que l’on veut, être Véro l’espace d’une soirée n’implique rien par rapport à ce que je suis dans la vie de tous les jours. Il y a un petit côté politique : une tenue ne fait pas de moi une “salope” et si c’est valable pour moi c’est valable pour n’importe qui, que ce soit une femme ou une personne transgenre. Le drag vis à vis de notre génération est un domaine hyper-clivant, on est certes plus apte à accepter ou du moins à en parler mais quand il y a des agressions elles sont devenues encore plus violentes. »

Notre dernier entretien sera celui d’Anushka

« J’ai commencé le drag il y a deux ans, j’étais modèle photo androgyne comme j’ai les traits fins on me maquillait souvent en femme, ça a créé un engouement pour le maquillage chez moi. Mon personnage s’appelle Anushka Rasovski, consonance russe, c’est une langue que je parle et qui me touche beaucoup, c’est né d’un projet qui a été fait il y a deux ans, on cherchait le nom d’un personnage pour une couverture de magazine. Je l’ai gardé comme nom de scène. Anushka est centrée sur la beauté, elle crée l’illusion de la femme elle recherche une ambiguïté avec la figure masculine afin de conserver une espèce de suspense. Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir aider toutes ces personnes à se développer, une aide que je n’avais pas à mes débuts. Je me bats aussi pour qu’on ne perde pas nos valeurs premières : notamment une valeur politique , les premières drag queens on fait ça justement parce que leur communauté n’arriver pas à s’exprimer assez fort c’est un moyen plus extravagant de faire passer nos idées. Quand on fait du drag il y a une dimension politique qu’on le veuille ou non. C’est avant tout un mouvement. »

Un mouvement qui va de l’avant, c’est l’image que nous retenons du drag après notre après-midi passé avec les membres du Couvent. Entre pop culture et art engagé, c’est un renouveau créatif qui s’opère sur la scène culturelle bordelaise, plein de fougue et de paillettes.

Propos recueillis par Maeva Gourbeyre

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