Germain Prévost : “Le style n’est plus le propos, c’est la pensée, l’action et la philosophie politique qui deviennent l’enjeu”
Engagé et en dehors de tout cliché, le street artiste Germain Prévost, alias IPIN, revient sur son passage d’un style libre et figuratif vers une approche plus abstraite et contextuelle de sa création subtilement structurée alliant vitalité et énergie.
Germain, pourrais-tu te présenter ainsi que ton parcours ?
Je m’appelle Germain Prévost, Alias Ipin comme pseudonyme – anciennement IPIN2, “i’peint tout !”. Je précise car personne n’a jamais su dire correctement ce blaze.
J’ai 39 ans, originaire de Reims, mais évoluant dans l’agglo marseillaise depuis 1999.
J’ai deux fils, je vis à Toulon, mais j’ai mon atelier à la Cité des Arts de la Rue à Marseille où je co-anime le Mur Du Fond avec STF Moscato.
J’ai commencé le Graff avec quelques potes dans les années 2000, à La Ciotat où j’entamais des études d’environnement urbain type urbanisme. Puis, j’ai fini mon cursus à Marseille avec un stage à la Cité des Arts de la Rue qui a éclaté ma façon de voir le monde de la création. 15 ans plus tard, j’y suis toujours. Cela m’a permis de collaborer avec quelques compagnies de spectacles en espace public comme KompleX KapharnaüM pour ne citer que la plus connue et aussi celle avec laquelle j’ai le plus collaboré. J’y croise également beaucoup d’artistes et de projets. Cela me place du coup au cœur des réflexions sur la création en espace public qui anime tous ces acteurs culturels. Je trouve cela passionnant.
Pourquoi vouloir t’exprimer dans la rue ?
À la base, pour ma part ça n’a pas été un choix, mais plutôt une nécessité. Aucun talent particulier ne m’aurait de toute façon permis d’accéder à un quelconque espace d’exposition à ce moment-là, et sincèrement, je pense que je ne m’en posais même pas la question. Pour moi, l’histoire de l’art, c’était le bouquin Kapital et je viens de la culture glisse. Le Graff était, en fait, les arts plastiques de ce mouvement.
Puis, à force de peindre des murs et d’en faire les photos, j’ai développé une expertise. Me retrouver devant une toile blanche ou un white cube est pour moi beaucoup plus compliqué que d’intervenir sur un bâtiment. Ces lignes, son contexte, les nécessités techniques – accès, temps, outils – créent déjà 50% du dessin.
De manière générale, je n’interviens que très peu en “pirate”, mais je dois avouer que j’en garde ce petit goût exquis de la désobéissance. Si je dois être plus philosophe, je crois aussi que le simple fait d’écrire son nom sans en demander la permission est pour moi subversif et je dirais même d’utilité publique car ça pousse à la réflexion sur la désobéissance et son rapport à la loi.
Comment décrirais-tu ton style, tes influences ou tes inspirations ?
J’ai eu plusieurs époques et plusieurs styles : le personnage Mr A du street artiste André m’a énormément influencé sur mes lampadaires entre 2004 et 2008. En parallèle, je peignais sur le terrain dans la pure tradition de la bande, j’essayais de peindre des lettres, mais ça finissait bien souvent en freestyle ‘abstractisant’. Pour ce style, j’ai beaucoup été influencé par le trait de IEMZA ou Lksir qui dessinaient avec la bombe un trait sale, texturé. J’aimais beaucoup cette nouvelle manière de peindre, hyper libre. Je peignais souvent avec Mash-Up, on s’éclatait en essayant de peindre de la musique, laisser sa main libre, imprimer un flow plus qu’une forme. En parallèle, j’ai aussi fait pas mal de collages, des affiches figuratives, mêlant souvent objets et animaux, peintes souvent de format conséquent. C’est dans cette série que j’ai commencé à vraiment travailler le sens de l’image par rapport au lieu, une approche contextuelle en fait. Ce sont mes potes de Reims qui m’ont montré cette voix du collage, le collectif High Kick qui était hyper innovant à l’époque et aussi Mezzoforte. Dans le style, je pense que, comme beaucoup de gens, ce travail a été influencé par Banksy bien que je n’ai eu son bouquin que plus tard. Dans cette technique, j’ai aussi œuvré avec Pom qui retournait bien Marseille à cette époque.
Ensuite, comme déjà évoqué, j’ai fait un break de quelques années pour mettre toute ma créativité au service de projets de spectacles en espace public. Puis, je suis revenu à des travaux plus personnels en tournant complètement le dos à la figuration, me sentant totalement en ‘overdose’ par les figures pop et iconiques médiatisées par la vague street art.
Par ailleurs, les performances de canon à peinture que je faisais avec mon ami Thomas Nomballais m’ont ouvert les portes d’une expo collective à la Colab Galery en 2015. C’est là que j’ai rencontré Easteric puis par la suite OX et The Wa à Bien Urbain, puis découvert des artistes comme SpY, Brad Downey, Amparito, Eltono, E1000… ; comment je pourrais oublier de citer le travail de ZEVS également que j’ai toujours adoré.
J’aime cette mouvance activiste et les artistes contextuels, conceptuels, j’y trouve énormément de sens et de créativité contrairement à une autre partie du mouvement qui selon moi, s’est logotisé et uniformisé. Dans cette mouvance conceptuelle le style n’est plus le propos, c’est la pensée, l’action et la philosophie politique qui deviennent l’enjeu.
Pour d’autres questions esthétiques j’aime beaucoup le travail de gens comme Eliote, Hams, Nelio, Noteen, 108, CT, Eko, Damien Auriault que j’ai découvert récemment. Côté art contemporain, je suis obligé de citer Victor Vasarely, Georges Rousse, Felice Varini, Pierre Delavie, Katarina Grosse, Ian Strange… Bref, je définirais mon style comme un mélange de tout ça même si aujourd’hui j’essaie de me contraindre à du “non figuratif et contextuel”. Pour décrire ma démarche en jeux de mots à la con, j’avais trouvé : “anarchitecte forain, iconoclaste graphique”, ou plus pompeusement “sculpteur de chaos”.
Tout au long de l’histoire, l’art et la politique ont été étroitement liés en raison de la position cruciale de l’art dans l’identité culturelle d’une société. Est-ce que tu utilises tes pratiques pour générer des messages ?
Je pense que oui, complètement. Chacun voit midi à sa porte et il n’y a pas d’obligation, mais effectivement je pense que l’art urbain peut défendre des opinions voire même avoir un rôle social. J’ai eu l’occasion d’engager un travail spontané dans une histoire d’expropriation de familles. J’ai réagi en barrant purement et simplement les façades de toutes ces maisons par de grands traits de rouleaux, une par une, revenant durant plusieurs semaines. Cela a permis de mettre au jour la situation de ces familles, ça n’a aucunement changé leur sort, mais cela a au moins permis d’en parler.
Je taquine pas mal aussi la ville où je vis, autour de la lutte antitag, en détournant les carrés de peinture couleur saumon qui servent à recouvrir les tags. Sinon, une grande partie de mon travail se résume à créer des motifs, symbole d’ordre pour venir les bousculer ensuite. Je pense que la métaphore parle d’elle-même. J’essaie de ne pas trop tomber dans le discours manichéen, mais à minima d’exposer des situations. L’humour et la dérision marchent pas mal aussi je pense pour cela.
Peux-tu nous expliquer un peu ta technique, tes supports et univers préférés ?
J’utilise toutes les techniques possibles pour arriver à l’image que j’ai en tête. La technique fait sens également. Les supports sont plutôt des bâtiments que j’essaie de considérer dans leur ensemble. Je m’appuie beaucoup sur l’architecture et les lignes de force des lieux pour créer mes images. Je puise quasiment toutes mes formes dans ce qui est déjà sur place.
Je travaille pour la photo finale, du coup je maquette presque toutes mes interventions sur Photoshop en dessinant directement sur la photo, j’ai perdu en spontanéité, mais ça m’a permis de gagner en pertinence sans doute. Parfois je n’arrive plus à savoir si je suis peintre ou photographe, un peu les deux je pense.
Tu as pas mal bougé, pourquoi Marseille ?
C’est là où je vis, enfin l’agglo marseillaise puisque je vis à Toulon.
Mais ça ne m’empêche pas de toujours pas mal bouger pour faire des projets un peu partout en France. J’adore cette ville, unique en France, ici on est ailleurs.
Quelle est la place de l’art urbain à Marseille, comment vois-tu son évolution ?
Marseille est depuis que je la connais une grande ville de graffiti. À part au cours Julien, où la ville cherche à le combattre mais n’y arrive pas vraiment, il faut dire ce qui est, même si la peinture beige coule à flot.
La scène vandale est incroyable, les types sont de plus en plus forts, les productions et les emplacements de plus en plus fous ! On a des stars du rouleau et de la perche ici, les mecs sont vraiment bons !!
Sinon les styles évoluent un peu comme partout en Europe.
En revanche, elle est carrément à la traine au niveau des commandes de façades, mais il y a quand même eu le projet de la L2, qui donne aussi à voir, du bon gros muralisme.
Penses-tu que le street art devrait s’inscrire dans une réflexion en amont d’un aménagement urbain et que les artistes devraient travailler davantage avec des architectes, urbanistes ?
J’ai déjà eu l’occasion d’y réfléchir un peu, notamment en me penchant sur le travail de Vasarely. Honnêtement, j’aime bien le concept, mais concrètement je n’ai pas de souvenir d’avoir vu une approche de réflexion en amont. Si ça existe, je serais curieux de le découvrir. Pour ma part, je n’ai été sollicité presque que sur des projets de démolition ou de signalétique. Plutôt en aval donc.
Il me semble que jusqu’alors, l’art urbain n’est sollicité que pour apporter une dimension “culturelle” à des projets déjà ficelés. Nous sommes réactifs, rapides, pas chers, des supers communicants et notre impact visuel final est très fort. C’est tout bénéf.
Mais on accorde finalement assez peu de place à la réflexion sur le social et la subversion est mal venue quand elle n’est pas rédhibitoire. On apprécie surtout le caractère éphémère de l’art urbain et l’on nous fait signer des clauses de respect de bonnes valeurs morales avant de valider nos maquettes. Sauf rares exceptions, dans ce domaine, la prise de risque n’existe pas pour les pouvoirs publics.
Tout cela n’a rien à voir avec l’amour de l’art, ça reste, malheureusement, uniquement de la communication.
Pourrais-tu nous parler de tes projets en préparation ou en cours de réflexion ?
Cette année, j’ai la chance d’avoir une place de choix avec le festival Chalon dans la Rue qui m’a offert une sorte de résidence de huit mois pour travailler sur le thème du déplacement. C’était bien parti, mais malheureusement le Covid a bien ébranlé l’affaire, on va voir comment on arrive à transformer cet essai et réinventer des trucs.
Je dois aussi réaliser un habillage sur une œuvre monumentale de Charles Bové et Miguel Chevalier dans le cadre de Manifesta 13 à Marseille, mais pareil, le Covid a bousculé un peu l’agenda, mais ça devrait quand même arriver à voir le jour d’ici cet automne.
On va pouvoir relancer nos événements du Mur du Fond aussi.
Sinon je continue à faire mes petites interventions, au gré des idées et des découvertes de spots et aussi un ou deux projets de déco pour arrondir les fins de mois.
Découvrez le travail de Germain Prévost sur son site.
Propos recueillis par Eleftheria Kasoura
Articles liés
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...
“Les Imitatueurs” à retrouver au Théâtre des Deux Ânes
Tout le monde en prend pour son grade, à commencer par le couple Macron dans un sketch désormais culte, sans oublier Mélenchon, Le Pen, les médias (Laurent Ruquier & Léa Salamé, CNews…), le cinéma, la chanson française (Goldman, Sanson,...
La danseuse étoile Marie-Agnès Gillot dans “For Gods Only” au Théâtre du Rond Point
Le chorégraphe Olivier Dubois répond une nouvelle fois à l’appel du Sacre. Après l’opus conçu pour Germaine Acogny en 2014, il poursuit, avec For Gods Only, sa collection de Sacre(s) du printemps qu’il confie cette fois-ci à la danseuse...