Frida Kahlo, portrait d’une icône moderne (2/2)
Frida Kahlo, portrait d’une icône moderne (2/2) |
Son engagement sans frontière pour l’art, le communisme et la vie… … lire la première partie du portrait Son entrée en art se fait par la petite porte. Juste après son accident, elle doit garder le lit pendant 3 mois et pour tromper l’ennui, elle commence à peindre grâce à la boîte de couleurs que son père lui a offerte. Sa mère lui confectionne un chevalet adapté qu’elle peut poser sur son lit. Elle peint ses proches, mais aussi et surtout elle-même, sujet privilégié qu’elle peut décortiquer grâce au miroir que sa mère a installé sur son lit à baldaquin. Ce sera sa matière première. Autodidacte, elle n’en est pas moins nourrie par la culture européenne de son père, un Allemand qui a quitté l’ancien continent pour une nouvelle vie. Il est allé jusqu’à abandonner son prénom de Wilhelm pour celui de Guillermo, mais a emporté dans sa bibliothèque Bergson, Proust, Zola, des ouvrages sur Cranach, Dürer, Botticelli, Bronzino… qu’il partage avec Frida. Un an après son accident, elle peint son Autoportrait à la robe de velours, où s’affirme déjà son propre style et où transparaît l’influence de l’Autoportrait à la fourrure de Dürer. L’art devient pour elle un refuge, un moyen d’exprimer sa souffrance physique (« Ma peinture porte en elle le message de la douleur » écrira-t-elle), ses traumatismes (entre avortements et fausses couches) et sa relation complexe avec Diego : un véritable journal intime en images, sans concession. Elle va jusqu’à darder de véritables coups de couteau le cadre du tableau Quelques petits coups de pique, tant sa colère est grande contre l’infidèle Diego. Elle se représente tantôt fière et séductrice (Autoportrait dédié à Léon Trotski, Fulang Chang et moi), tantôt déchirée et anéantie (L’Hôpital Henry Ford, La Colonne brisée), mais constamment elle revendique sa « mexicanité ». La révolution mexicaine (1910-1917) a en effet redonné une place cruciale à la culture populaire, aux racines précolombiennes, ancrant le pays dans une histoire héroïque, ce qu’avait banni le vieux dictateur Porfirio Díaz. Ce basculement est fondamental pour Frida Kahlo, qui troquera sa date de naissance de 1907 contre celle de 1910. L’avènement du président Álvaro Obregón est synonyme de l’ébauche d’une conscience nationale, de la réappropriation des terres et de l’industrie qui était jusque-là aux mains des Nord-Américains et des Européens. Le ministre de l’Education, José Vasconcelos, promeut l’art des muralistes qui sont les porteurs des nouveaux messages politiques dans un pays où domine l’analphabétisme. Frida Kahlo ne cède cependant pas à la monumentalité des « Tres Grandes » (Rivera, Orozco et Siqueiros). Elle partage leur engagement politique, mais elle s’exprime sur des petits formats, rappelant les retablos, ces ex-voto peints sur des plaques de métal déposés dans les églises, invoquant une guérison. Son style et les couleurs vives sont dans la droite ligne de ces créations populaires naïves. Toute la culture mexicaine retentit dans ses œuvres : les animaux, la végétation luxuriante, les fruits des natures mortes, la place de la mort, les objets précolombiens… L’engagement politique est indissociable de son engament artistique, elle s’affirme comme « une artisane » et une « alliée inconditionnelle du mouvement révolutionnaire communiste ». Elle est de toutes les manifestations avec Diego Rivera – qui est un temps secrétaire général du Parti Communiste Mexicain -, parfois un peu trop dans l’ombre de ce géant. Mais la consécration arrive : le galeriste Julien Levy l’expose en 1938, un véritable succès commercial qui entraîne des commandes : Suicide de Dorothy Hale (1939) pour Clare Boothe Luce, rédactrice en chef de Vanity Fair, et Autoportrait au singe (1940) pour l’industriel Conger Goodyear. L’histoire a déjà tranché, célébrant l’avènement d’une artiste à la destinée tragique et d’un couple mythique, ayant donné un nouveau langage à la culture métissée du Mexique. Stéphanie Pioda |
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