Fragonard et la peinture galante
La croisée entre deux écoles, celle du néoclassicisme et celle du rococo, Fragonard va propulser dans les salons et expositions la peinture galante. Pour cela il réalisera deux œuvres majeures et fondamentales, Le Verrou et Le Baiser à la dérobée.
Jean-Honoré Fragonard est né en 1732 à Grasse, en France. Il fut formé par Chardin puis Boucher, deux grands noms de la peinture française et européenne, à la peinture d’histoire. Son travail fut rapidement reconnu et il remporte le Prix de Rome en 1752. De 1756 à 1761, il réalise son premier voyage en Italie. Peu de temps après son retour en France, en 1765, il est reçu à l’Académie. Mais Fragonard fuit la reconnaissance, il ne cherche pas la célébrité, à tel point qu’il refusera d’être peintre royal. Il retourne donc en Italie, ce second voyage va être décisif dans l’œuvre de Jean-Honoré Fragonard. Inspiré par la peinture de grands maîtres italiens, entre le clair-obscur de Caravage et le sfumato de De Vinci, il va rapidement délaisser la peinture d’histoire pour la peinture galante. La peinture galante puise ses origines et ses thèmes dans les fêtes galantes. En effet à la mort de Louis XIV en 1715, la cour du roi va délaisser la splendeur de Versailles et ses fêtes emblématiques pour des fêtes plus intimes et moins officielles, organisées dans les maisons aristocratiques de Paris. Ces fêtes sont appelées fêtes galantes ou fêtes champêtres et dureront jusqu’en 1770. Ainsi, la peinture galante est l’allégorie même de ce lâcher-prise et de ce relâchement des mœurs. Mais le style sensuel, rapide et décoratif de Fragonard va se voir critiqué par ces paires. Si Fragonard est un peintre rococo, la société elle ne voit que par les codes classiques et la peinture d’histoire. Ainsi l’œuvre de Jean-Honoré Fragonard va provisoirement être oubliée entre révolution et néoclassicisme. L’œuvre galante de Fragonard s’incarne autour de deux œuvres majeures, Le Verrou et Le Baiser à la dérobée. Ces deux œuvres ont pour point commun d’être des peintures galantes et non historiques. Elles traitent toutes deux d’un sujet similaire, la sensualité voire la sexualité. En revanche, ces deux chefs-d’œuvre s’opposent à bien des égards. En effet, bien que leur sujet soit le même il est traité de manière radicalement opposée.
Le Verrou fut réalisé par le maître en amont du Baiser à la dérobée. Ce tableau lui fut commandé par le marquis de Véri. Fragonard fraîchement rentré d’Italie, et encore sous l’emprise de ce qu’il y a vu, réalisera ce tableau avec plein de couleurs et de chaleur à l’instar des peintures italiennes. La scène représentée déborde de passion. Au moment où ce tableau est peint, la France vit une époque bercée par le savoir et la philosophie des Lumières. La hiérarchie des genres imposée par l’Académie laisse aussi de plus en plus de place à la peinture de genres, là où jadis seules la peinture sacrée et la peinture d’histoire ne semblaient avoir de l’intérêt. Ainsi s’amorce le mouvement rococo. Ce contexte se fait lourdement ressentir dans Le Verrou, la scène se passe dans une chambre, ce qui ne laisse aucun doute quant à la suite à venir. De plus, l’homme est peint en sous-vêtements ce qui laisse entendre que les préliminaires sont d’ores et déjà engagés. L’homme cherche à fermer le verrou de la porte, la femme elle réalise le même mouvement que l’homme mais semble au contraire vouloir l’empêcher de fermer le verrou. La scène est éprise d’un érotisme enflammé mais une question subsiste et fait débat, est-ce ici une scène d’amour ou une scène de viol ?
Le Baiser à la dérobée lui, nous inspire un pendant plus chaste et plus bourgeois que le tableau initial. La scène se déroule ici dans une antichambre, un lieu de passage ; l’homme semble être habillé convenablement et l’érotisme est bien plus timide. En effet dans la scène qui est peinte ici, l’homme vole un baiser à la femme mais la sexualité de la scène n’est pas imposée au spectateur. Les deux protagonistes étant vêtus et dans un lieu ouvert, le public est libre d’imaginer ce qui a pu se produire avant ou ce qui pourrait potentiellement se produire après. La sensualité est ici plus subjective et moins frontale, Fragonard nous offre le loisir d’un jeu d’esprit autour de la question de la sexualité des deux amants. Les signes d’érotisme se laissent deviner et ne sont pas directement exposés. Prenons l’exemple du tiroir ouvert au premier plan laissant jaillir des rubans, il peut suggérer une ouverture, un érotisme certain. Ou encore l’athénienne au premier plan, à cette époque le fait de se rincer après l’acte était considéré comme un acte de contraception, ainsi pouvons-nous supposer l’utilité pour la jeune femme d’avoir une athénienne à ses côtés. Tant de suggestions sans affirmation de la part de Jean-Honoré Fragonard.
Le Baiser à la dérobée fut ainsi une œuvre bien moins controversée que Le Verrou, alors même que le sujet était identique. Cela nous démontre que le bon traitement du sujet est indispensable quant à l’opinion que va s’en faire le grand public et les professionnels du marché, à savoir ici les critiques d’art. Fragonard, après les critiques reçues pour Le Verrou, a bien compris cela et nous a offert une seconde version plus chaste et plus morale des pulsions humaines : Le Baisée à la dérobée. Pouvons-nous considérer que Le Baiser à la dérobée est en réalité un repentir du chef-d’œuvre Le Verrou ?
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