FLAX : une histoire d’amitié entre Los Angeles, La Californie et la France
La fondation France Los Angeles Exchange basée à Los Angeles permet à des artistes français en résidence de venir collaborer avec la scène locale et soutient ceux qui ont besoin d’y passer du temps en collaboration avec des institutions locales. De ces échanges naissent en retour des projets en France.
Anna Milone, tu es curatrice chez FLAX : quelle est sa mission ?
FLAX a vu le jour en 2006 à Los Angeles grâce à deux hommes d’affaires français ayant fait le constat que les artistes français y étaient très peu représentés. Ils ont créé une fondation pour promouvoir les échanges culturels entre la France et Los Angeles et favoriser une meilleure compréhension entre les deux pays.
Ils ont commencé en soutenant les institutions qu’ils connaissaient ; des salles de concert, de théâtre, des musées ayant besoin de faire venir un artiste français… Il y a 11 ans, Elisabeth Forney est devenue directrice exécutive de la fondation et en a totalement repensé la direction. Des projets ont alors commencé à être produits.
Quel était ton projet chez FLAX ?
J’ai connu FLAX en travaillant sur la première exposition qu’ils ont produite il y a sept ans sous le commissariat de Marc-Olivier Wahler. Lost in LA rassemblait des artistes français, internationaux et de Los Angeles et ce séjour a transformé leurs pratiques. FLAX a donc lancé un programme de résidences pour continuer à faire venir des artistes et provoquer ces rencontres.
Après l’achat de deux maisons, ce programme a d’abord été confié à la curatrice Martha Kirszenbaum qui a souhaité le rattacher à Fahrenheit by FLAX, un espace dédié à Downtown.
En succédant à Martha pour gérer FLAX Projects, je voulais sortir du lieu dédié. La ville est immense et le Arts District à Downtown est un lieu pour les initiés où l’on touche souvent la même audience.
Je souhaitais utiliser la géographie de la ville à notre avantage, aller vers d’autres publics en impliquant des institutions variées, et créer de nouvelles collaborations qui puissent se prolonger même lorsque FLAX n’est pas engagé.
Pacific Standard Time orchestré par le Getty avait montré que l’on pouvait coordonner une programmation de 6 mois à l’échelle de la ville. Sans avoir l’ambition de réaliser un projet d’une telle ampleur, je compris qu’une grande place était ici laissée à la collaboration et que mon projet de résidence itinérant était possible.
Comment s’organise la réciprocité des échanges entre la France et la Californie ?
C’est une réciprocité un peu déséquilibrée. La mission principale de FLAX est de faire venir des artistes et curateurs français à Los Angeles pour collaborer avec professionnels et artistes locaux. Ce travail se fonde sur des coproductions et des co-commissariats. De cela découle forcément une réciprocité.
Je fais venir des curateurs qui amènent eux-mêmes des artistes français. Ceux-ci rencontrent des artistes de Los Angeles, puis les invitent en France pour d’autres projets.
FLAX essaye de présenter les projets produits ici à Paris, comme la projection du film d’Étienne de France à la Fondation Ricard. On fait alors venir TJ Demos, un curateur basé en Californie, pour une discussion après la projection.
Au Centre Pompidou, FLAX a un partenariat pour trois ans avec le Studio 13-16 qui n’avait jamais accueilli d’artistes internationaux : depuis 2017, un artiste de Los Angeles vient chaque année y faire un projet. Les deux premières années, c’étaient Edgar Arceneaux, puis Alison O’Daniel.
Puis des connexions se créent au-delà des FLAX Projects ?
Oui, des relations se créent puis se développent ailleurs. Le projet du curateur Fabien Danesi était représentatif de cet esprit.
Il est venu en recherche en résidence avec FLAX, a rencontré de nombreux artistes d’ici, puis est rentré en France pour travailler sur son projet The Dialectic of the stars. Il est revenu avec des artistes français pour produire et présenter cinq événements dans toute la ville rassemblant artistes français et californiens.
Plus tard, sans que FLAX ne soit impliqué, Fabien a invité pour un projet en Corse un des artistes avec lequel il avait travaillé à Los Angeles. Quand ce type de collaboration existe, c’est qu’on a réussi.
Pluralité de lieux, d’artistes… donne-nous un exemple de collaboration
Créateurs du groupe de recherche Art by Translation, les curateurs Maud Jacquin et Sébastien Pluot m’ont contactée en 2018. Ils travaillaient sur les questions de traduction et ont mené une recherche sur la pièce The House of Dust par Alison Knowles, un de ses premiers poèmes générés par ordinateur puis traduit en une architecture.
Je les ai rejoints sur le projet pour une itération californienne : nous avons travaillé ensemble grâce à un partenariat avec CalArts et le MAK Center à la Schindler House. Cinq artistes sont venus deux semaines en résidence chez FLAX en mars 2018. Ce projet a duré un an et donné lieu à deux expositions.
– Pour The Tirany of Distance, montrée simultanément à Los Angeles et Angers en 2018, des pièces pensées dans les deux lieux ont abordé la question de la traduction dans l’espace et dans le temps.
– Shelter or Playground a été présentée au MAK Center cette année : c’est l’histoire croisée de cette œuvre d’Alison Knowles et de la Schindler House, avec pour angle principal les relations entre architecture et performance.
Alison avait transformé le premier poème de son recueil en une architecture lors de projets réalisés à New York, puis à Los Angeles sur le campus de CalArts. Allan Kaprow y avait fait des performances comme un lâcher de poèmes depuis un hélicoptère sur la structure installée sur le campus.
Par exemple, l’artiste de Los Angeles Milka Djordjevich a écrit pour l’exposition un score, une pratique très liée au mouvement Fluxus, en s’inspirant de ce poème de The House of Dust. Elle a pensé la déambulation de sa performance dans la Schindler House en attribuant chaque lettre à une partie de son corps : elle récitait le poème avec son corps.
FLAX est un observatoire privilégié des spécificités liées à la culture française, américaine, et californienne ?
J’avais travaillé à la Monnaie de Paris notamment sur l’exposition d’ouverture avec Paul McCarthy. On parlait beaucoup des différences entre Paris et Los Angeles. Le rapport à l’art est très différent entre les deux villes. À Los Angeles, l’approche principale est plus matérielle et expérimentale, je dirais presque plus spontanée qu’à Paris où le travail théorique est souvent mis au premier plan. Cela ouvre des possibilités et une approche de l’art très généreuse.
Le social practice et le post identity politics sont extrêmement marqués ici. Les artistes produisent des œuvres à l’intérieur de leur communauté et en deviennent les porte-paroles. Cette conception de la communauté, bien sûr liée aux questions d’identité, encourage par exemple des questionnements différents de ceux que l’on peut avoir en France.
L’étude de ces conceptions sociales, en parallèle à une réflexion sur l’histoire de la Californie, m’a passionnée. Nous avons des systèmes opposés et j’ai compris qu’il n’y a pas de modèle idéal : ni l’un ni l’autre ne fonctionnent. Bien sûr, toutes ces différences trouvent un écho sur les scènes artistiques locales.
Au sein d’une exposition, mon but est de faire dialoguer les artistes et de présenter la complexité de la scène artistique d’aujourd’hui en les rassemblant plutôt qu’en les séparant. J’essaye de réunir ceux qui ont un travail très engagé et ceux qui ont des priorités de langage plastique.
Tu as réintroduit le principe du drive-in à Los Angeles ?
Les drive-in n’existent quasiment plus à Los Angeles, or cela parlait à l’imagerie et à mon fantasme de la ville. J’ai voulu créer un Drive-In Theater et montrer des films d’artistes. L’artist-run space Tin Flats nous a accueillis. Je choisis une vidéo d’un artiste français ou californien et celui-ci choisit un deuxième film : c’est une carte blanche et une double curation avec les artistes.
Pour cet événement informel de rencontres, je fais du pop-corn et du thé glacé. C’est très chaleureux. Cette année on en propose un par mois d’avril à octobre. On a été repris par tous les sites de cinéma spécialisés sur les projections en plein air et le drive-in.
Quel public FLAX attire-t-il dans ce genre d’expérience ?
C’est le public le plus varié qu’on ait eu car ce format fait venir des gens qui ne sont pas du milieu de l’art et par ailleurs, tous ceux qui sont venus au drive-in sont revenus, donc c’est gagné. On a beaucoup d’artistes, tout le milieu culturel artistique de Los Angeles, des francophiles, des gens qui parlent un peu français et qui ont envie de parler… Ils découvrent ainsi des artistes auxquels ils n’avaient pas forcément accès. C’est une façon d’attirer des gens différents.
Tu prépares l’exposition Paroxysm of Sublime pour septembre au LACE…
Les mots Paroxysm of Sublime viennent d’un poème écrit par l’artiste Sara Favriau pendant la préparation du projet. L’exposition comptera des artistes de Californie, de Colombie et de France.
J’ai lu un livre de Jared Farmer, Trees in Paradise, sur la colonisation naturelle de la Californie et sa nature luxuriante mais non endémique. Les premières raisons d’implantation d’arbres à Los Angeles sont affectives : les pionniers ont apporté des plantes de chez eux pour créer un sentiment de familiarité. Puis des arbres exotiques ont été plantés dans les années 50 pour attirer de nouveaux habitants : le but était de «imparadise Los Angeles », d’en faire ce jardin d’Eden vendu sur carte postale et dans les films produits par Hollywood. Comment a-t-on de cette façon créé cette image de rêve californien ?
Nous nous sommes attachés au concept de solastalgie développé par le philosophe Glenn Albrecht qui décrit un sentiment de perte de familiarité avec son propre environnement lié aux changements si rapides de nos sociétés (gentrification, réchauffement climatique…). Cette réflexion inspirée par l’histoire de la philosophie nous permet de repenser le rapport à notre environnement et notre perception humano-centrée du monde…
Propos recueillis par Dorothée Saillard
Exposition « Paroxysm of Sublime » du 18 septembre au 3 novembre 2019 au Los Angeles Contemporary Exhibitions (LACE)
À découvrir sur Artistik Rezo :
Wasteland, New art from Los Angeles au Mona Bismarck American Center, de Artistik Rezo
Prince.sse.s des villes : la nouvelle exposition événement du Palais de Tokyo ! de Orianne JOUY
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