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Flavien Durand : “Mes photographies sont une quête impossible de ce temps de l’apparition”

Thaïs Franck 31 mars 2021
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© Flavien Durand

Rencontre avec Flavien Durand, photographe et passionné de nature, qui nous invite à rentrer dans ses compositions.

Bonjour Flavien, peux-tu nous raconter un peu ton parcours ?

Cela pourra paraître incongru mais je crois qu’avant tout, c’est la forêt qui m’a formé. À l’âge de 8 ans je me suis retrouvé face à face avec un cerf en pleine forêt, dans le Jura, je m’en souviens comme si c’était hier. Encore aujourd’hui, je considère cette rencontre comme ma plus forte émotion artistique. J’ai ensuite passé le plus clair de mon temps libre dans la forêt. C’était plus qu’une passion, quand je ne dormais pas déjà dehors, je me réveillais parfois à 4h du matin pour rejoindre la forêt à vélo. J’avais toujours le sentiment de rater quelque chose, un combat de cerfs, une biche qui traverse la rivière, bref, il fallait que j’aille voir. Puis vers mes 12 ans, j’ai eu le désir de partager ces moments et j’ai reçu mon premier appareil photo à Noël. Parallèlement, je me passionne pour le piano et je débute plus tard une formation en musicologie à l’université, mais la photographie et la nature me rattrapent vite et je conserve la composition au piano comme simple passion. J’intègre donc l’école de photographie de Condé à Lyon pour me former techniquement, avant de poursuivre un Master en photographie et art contemporain à l’université Paris 8.

Peux-tu nous expliquer ta démarche artistique ?

Mon travail relève de ce qu’on pourrait appeler un “romantisme contemporain”. J’ai fait le constat suivant : nous regardons comme des romantiques mais nous ne pensons pas comme eux. C’est en partie ce paradoxe qui me pousse à réaliser des images. Je m’explique : il faut d’abord souligner que le romantisme ne correspond pas à l’idée populaire qu’on s’en fait, il s’agit avant tout d’un mouvement de pensée né en Allemagne à la toute fin du dix-huitième siècle. Ce mouvement a fortement imprégné notre façon de regarder le monde, même aujourd’hui, de manière inconsciente. Les frères Schlegel ou encore Novalis plaidaient pour rétablir l’harmonie primitive de l’âme humaine. Pour atteindre une telle harmonie, ils suggèrent une initiation qui passe par un temps d’illumination, une apparition qu’ils cherchent souvent dans le paysage. Il semble qu’à présent nous tournons encore notre regard vers ces paysages, mais sans y voir ce potentiel d’apparition. Ainsi, nous regardons dans la même direction que les romantiques mais nous n’avons plus l’espoir d’y trouver cette apparition, clé d’une harmonie nouvelle. Mes photographies sont une quête impossible de ce temps de l’apparition. Au fond, chacun de mes travaux conserve cette volonté de restitution d’une certaine profondeur esthétique et romantique. Personnellement, c’est la rencontre avec un cerf qui m’a poussé à tenter sa mise en forme, mais je pense que nous avons tous vécu de pareilles expériences décisives, même si elles demeurent très différentes. Pour résumer, mon travail est une quête poétique de l’apparition merveilleuse à travers la représentation de la nature et du vivant. Par ailleurs, mes derniers projets diffèrent quelque peu d’une attitude strictement romantique, en cela qu’ils tentent de reconnaître aux animaux un point de vue sur le monde. À l’inverse, le tradition picturale européenne a souvent représenté l’animal comme simple support d’une projection humaine.

Peux-tu nous parler de la création de ta dernière série ?

Mon dernier projet, intitulé #sunset, rejoint précisément ce que je viens d’évoquer, à savoir comment convoquer la profondeur esthétique et romantique du paysage. Il s’agit de proposer des images de paysages en réaction au sort que lui réserve Instagram. L’exemple du soleil couchant est révélateur puisque sur le réseau social, plus de 250 millions d’images sont affublées du hashtag #sunset. Tandis que le soleil couchant évoquait L’Éternité dans le poème éponyme d’Arthur Rimbaud, celui-ci est devenu un papier peint devant lequel poser. On assiste à une disparition du soleil, relégué en arrière-plan. Cela est aussi vrai pour une montagne, une fleur, une forêt… Il y a donc un paradoxe, plus nous photographions le soleil, moins nous le regardons. Pour réagir à cette disparition du visible, j’ai tenté de recourir à la peinture à partir d’images stéréotypées d’Instagram. Ce procédé tente de perturber notre regard pour restaurer et faire réapparaître ce qui tend à disparaître sous le poids des poncifs et des habitudes visuelles.

Parle-nous de la photo ci-dessous. 

© Flavien Durand

Il s’agit d’une image réalisée à l’aveugle dans le métro, au “pifomètre” pour reprendre l’expression d’Henri Cartier-Bresson. Pourtant, malgré cet emprunt au niveau de la méthode, je tente plutôt ici de m’éloigner d’une esthétique héritée de la photographie humaniste. Les photographes des années 1950 dits “humanistes” ont façonné une belle image idéalisée de Paris. Malgré leur beauté évidente, j’ai la sensation que de telles images “cartes postales” comme Le Baiser de l’hôtel de ville sont à l’opposé de ma quête photographique. J’ai pu confirmer cette sensation en découvrant l’œuvre de Mario Giacomelli. Bien qu’étant contemporain des photographes humanistes, ce photographe propose une vision radicalement différente de ces derniers. Tandis que les “humanistes” sont occupés à représenter les scènes joviales d’une société d’après-guerre, Giacomelli s’attache à photographier les réalités tragiques et intemporelles de l’existence, ce qui à mon sens le rend davantage humaniste. Ses images sont comme des blessures, dans lesquelles les noirs et blancs profonds annihilent temps et espace pour ne laisser apparaître que l’essentiel. J’aime cette idée de l’image intemporelle, dont on ignore l’époque et le lieu, et qui de ce fait, la rapproche d’une potentielle universalité.

Quelle fut ta meilleure expérience de voyage pour réaliser tes photographies ?

Ayant débuté par la photographie animalière, comme beaucoup, j’ai rêvé de contrées lointaines et sauvages, de grandes traversées à la Into the Wild. La plus marquante reste une expédition de deux semaines seul au nord de la Laponie, en automne 2017. Après trois jours de train, je débarque au milieu de la toundra. Un matin, alors le soleil n’était pas encore levé, un grand fracas d’éclaboussures me réveille soudainement, il provenait du lac près duquel j’avais installé ma tente. Pas tellement rassuré, j’imagine déjà la drôle d’allure de l’individu assez fou pour se baigner aussi bruyamment à cet endroit-là, à cette heure-ci, dans cette eau-là. Malgré tout, j’ouvre timidement ma tente. Et là, surprise : deux énormes orignaux pataugeaient gaiement dans l’eau, juste sous ma tente. Le lac filait sur plusieurs kilomètres mais c’est sous ma tente qu’ils ont choisi d’opérer leur brouhaha. Ils passent ensuite à quelques mètres de moi et je me sens tout petit. Comme pour le cerf de mes 8 ans, je ne pense pas pouvoir oublier une telle expérience. Hormis cela, j’ai eu à supporter la solitude, enfermé dans ma tente pendant quatre jours de pluie-tempête. Durant ces longues journées, la contemplation de ma toile de tente aura été ma seule distraction, mais ce fut un temps riche où j’ai beaucoup appris. Finalement, cette expérience en Laponie à été mon dernier vrai voyage, pour le moment je ne ressens plus le besoin de partir si loin. C’est “l’ailleurs” qui m’importe plutôt que le voyage. Celui-ci diffère du voyage puisqu’il peut se trouver partout, il nécessite simplement une acuité plus fine à ce qui nous entoure. C’est cette même acuité qu’il me semble important d’aiguiser en tant que photographe, même si un vrai voyage restera toujours un bon moyen de s’offrir de nouvelles perspectives sur le monde.

Que conseillerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer dans la photographie ?

Je n’ai pas de conseils “pratiques” à proprement parler pour se lancer, mis à part qu’il ne faut jamais se limiter à cause du matériel. La contrainte de moyens techniques et financiers permet souvent de développer des approches originales, ce qui n’est pas toujours le cas avec l’appareil photo dernier cri. Pour le reste, chacun part de là où il est. Il existe une multitude de trajectoires, sans pour autant que l’une soit préférable à l’autre. En revanche, le plus important à mon sens est d’avoir quelque chose à dire, de chercher ce quelque chose comme un trésor puis de tout mettre en œuvre pour le dire. J’ai le sentiment que si chaque jour on s’interroge sur ce qui nous anime vraiment et qu’on finit par trouver cette source vive, alors le reste n’est que formalité. Cette vision des choses est peut-être assez idéaliste mais elle me semble plus intéressante que de réfléchir en termes de débouchés ou de carrière, même si c’est aussi parfois nécessaire, ce n’est pas l’essentiel.

Quels sont tes futurs projets ?

Je réalise actuellement mes premières images pour un projet intitulé Le sentiment de la forêt, qui fera l’objet d’une exposition d’ici deux ans. J’ai décidé de revenir à mes “fondamentaux” en abordant ce à quoi je suis sensible depuis l’enfance : la forêt et ses habitants. Je tente de déployer un langage visuel capable de rendre plus concrète et visible la cohabitation entre vivants au sein de la forêt. Ce projet vise ainsi à défendre une forêt riche en vivants, à travers une représentation photographique qui laisse tout d’abord la place à l’animal dans son territoire, sans pour autant exclure l’humain. Par ailleurs, Adieu à la photographie vient de sortir. Il s’agit d’un livre photographique réalisé avec 16 autres photographes, sous la direction artistique d’Olivier Davenas et Chloé Rieb. L’ouvrage, à la fois théorique et photographique, a pour vocation de promouvoir la richesse intellectuelle et expressive du médium photographique.

© Flavien Durand

Retrouvez Flavien Durand sur Instagram.

Propos recueillis par Thaïs Franck

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