Femmes artistes, passions, muses, modèles – château de Chamerolles
Si au début du Moyen Age, la femme détient une place prépondérante dans la production artisanale (broderie, enluminures…), son rôle s’ammenuise au fil des siècles et se marginalise. Pour autant, la figure féminine se retrouve traditionnellement dans les allégories, muses, personnages bibliques…
Au XVIIème siècle, les femmes créent dans l’ombre des hommes. Elles peuvent exposer au Salon du Louvre tous les deux ans, mais n’ont pas accès aux cours, ni aux modèles vivants, ni à l’enseignement. Privées de peinture d’histoire, chasse gardée des hommes, elles se spécialisent dans la peinture de genre. Autodidacte, Clara Pieters (Anvers 1594 – id. apr. 1657) excelle dans l’art de la nature morte et se distingue en élaborant des correspondances entre les différents éléments, jusqu’à alors simplement juxtaposés. Loin d’être anecdotique, cette unité dans la composition marque les artistes, notamment Jean Siméon Chardin.
Au XVIIIème siècle, les rares femmes artistes continuent d’exécuter des scènes de genre, des natures mortes — Urèle Peigné (élève de Chardin) et Anne Vallayer-Coster —, ainsi que des miniatures et des portraits — Inès Esménard, Virginie Rousseau, Adèle de Romany… Au fait d’être bien née, il fallait alors être repérée par un maître et savoir défendre son travail face aux sournoiseries de certains. Encouragées par Marie-Antoinette, certaines parviennent à s’illustrer à la cour de Versailles, parmi lesquelles Elisabeth Vigée Lebrun, orpheline d’un père artiste, Anne Vallayer-Coster et Adélaïde Labille-Guiard.
Au XIXème siècle, les femmes accèdent enfin à la reconnaissance. Si beaucoup restent ancrées dans l’art académique (ex. George Sand, admirée par Corot et Théodore Rousseau, Marie Bashkirtseff, Clémence Roth…), d’autres se tournent vers la modernité et l’impressionnisme : Berthe Morisot, belle-sœur de Manet, Mary Cassat, Eva Gonzales, Blanche Hoschedé-Monet, belle-fille et muse de Claude Monet qui parvient à la manière du maître à capter les éléments de la nature…
De la provinciale désargentée (ex. Rosa Bonheur qui reçoit de la l’impératrice Eugénie la première légion d’honneur décernée à une artiste) à la mondaine parisienne (ex. Madeleine Lemaire, l’une des amies de Proust qui fréquentait les grands salons littéraires), toutes tentent de s’imposer par leur talent comme des artistes à part entière. Progressivement, elles gagnent en assurance et en audace : elles fréquentent les cafés, notamment ceux situés à proximité de la place de Clichy, se battent pour être exposées dans les galeries et pour étudier le nu. Faute de pouvoir le faire à l’Académie des Beaux Arts (qui ne les y autorise qu’en 1897), elles se forment alors dans des académies privées. Elles se rendent notamment à la Grande Chaumière, chez le peintre Léon Cogniet et sa femme, Caroline Thévenin-Cogniet, et à l’Académie Jullian, où elles sont séparées des hommes et régulièrement mises en compétition avec eux ; un tableau réussi par une femme était montré aux hommes, et inversement.
Au tournant du siècle, les femmes et les hommes travaillent côte à côte, la connivence et la complicité artistique s’installent. Des amours naissent régulièrement, et parfois tournent au drame. Le cas le plus célèbre est celui de Camille Claudel qui tombe follement amoureuse de son professeur Auguste Rodin, qui ne quittera jamais sa femme, et qui désespérée finira ses jours à l’asile…
De nombreuses artistes exposent dans les Salons et Berthe Weill, dans sa petite galerie défend le travail des avant-gardes. A côté des tableaux de Modigliani, Dufy et Picasso, la galériste présente des œuvres de Marie Laurencin, Jacqueline Marval, qui apporte à l’aréopage matissien une grande liberté d’expression, Suzanne Valadon, qui marque les esprits à Montmartre et fait chavirer les cœurs de Toulouse-Lautrec, Miguel Utrillo…
Parmi les jeunes couples qui marquent les esprits : Amedeo Modigliani et Jeanne Hébuterne. Partagant avec son compagnon le même sens de la rigueur, celle-ci l’influence avec ses femmes d’une grande pudeur et tout deux parviennent à saisir l’intériorité de leurs modèles. Leur relation ne dure malheureusement que trois ans : Jeanne se suicide quelques heures après qu’Amedeo succombe à la maladie.
Durant l’Entre-deux-guerres, beaucoup d’artistes russes s’illustrent à Montparnasse et stimulent l’ambiance intellectuelle parisienne. Diego Rivera a une liaison avec la peintre Marie Vorobieff (Marevna), puis se marie avec Angelina Beloff, Robert Delaunay fonde l’Orphisme avec Sonia Tjerk, Nadia Khodossievitch (qui avait étudié la peinture avec Malevitch) devient l’élève de Léger puis sa femme après la guerre…
Au sortir de la seconde guerre mondiale, les femmes qui viennent de recevoir le droit de vote, sont déterminées à s’imposer encore davantage. Parmi les grands noms de l’époque figurent Christine Boumeester (compagne de Henri Goetz) et Elena Viera da Silva (élève de Bourdelle et femme d’Arpad Szenes) qui toutes deux exposent chez Jeanne Bucher. Et parmi les femmes de talents qui réussissent à s’imposer dans les décennies suivantes, on peut citer : Marie Raymond (la mère d’Yves Klein), la peintre et décoratrice italienne Leonor Fini, Niki de Saint Phalle (la ravissante épouse de Jean Tiguely), Claude Lalanne (qui forma un célèbre duo de sculpteurs avec son mari François Xavier), Jeanne-Claude (qui réalisa d’emblématique emballages géants avec son conjoint Christo)…
On peut regretter que l’exposition n’aborde pas la période contemporaine. Pour aller plus loin, le visiteur intéressé pourra consulter un court article d’Axelle Blanc, dans le catalogue d’exposition. Intelligemment écrit et fort bien documenté, cet ouvrage, publié aux éditions Alternatives s’impose comme une véritable référence pour tous ceux qui s’intéressent aux femmes artistes.
Jean-David Boussemaer
Femmes artistes, passions, muses, modèles
Commissaire d’exposition : Sylvie Buisson
Du 16 juin au 19 août 2012
Tous les jours de 10h à 18h sans interruption
Plein tarif : 6 euros // Tarif réduit : 3 euros (inclut la visite du château et l’accès au parc)
Château de Chamerolles
Gallerand
45170 Chilleurs-Aux-Bois
[Visuels (de haut en bas) : Affiche exposition // Blanche Hoschedé-Monet, Plage de la côte normande. 1ère moitié du 20ème siècle. Huile sur toile 54x73cm. Musée Alphonse-Georges Poulain, Vernon © Musée de Vernon (27) // Camille Claudel, Femme accroupie. Bronze, fonte La Plaine d’après l’original de 1885, 37 x 37 x 24 cm. Musée Dubois- Boucher, Nogent-sur-Seine © Nogent-sur-Seine, musée Paul Dubois-Alfred Boucher, cliché Yves Bourel // Jeanne Hébuterne, Autoportrait, 1917. Huile sur carton marouflé sur toile 58x42cm. Collection particulière]
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