Femme photographe : lumière sur l’œuvre de Martine Franck
Martine Franck par Henri Cartier-Bresson, 1972 © Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos
Photographe élégante et discrète, Martine Franck (1938-2012) incarne un personnage mystérieux à l’ombre de son époux, Henri-Cartier Bresson. Elle est pourtant à l’origine d’une œuvre pleine de vie et d’émerveillement et l’une des premières femmes à intégrer Magnum, la célèbre agence de photographie pourtant très misogyne à l’époque (1980).
Vie et œuvre
Issue d’une famille de collectionneurs, Martine Franck étudie l’histoire de l’art et se passionne pour la sculpture. C’est en 1963, lors d’un périple en Asie aux cotés de son amie Ariane Mnouchkine, femme de théâtre, qu’elle s’essaie à la photographie de manière plutôt frivole : “La photographie est apparue par hasard dans ma vie. J’ai obtenu un visa pour la Chine et mon cousin m’a prêté son Leica en me disant que j’avais beaucoup de chance et qu’il fallait que je rapporte des images.” – d’après les propose recueillis par Roland Quilici en 2007.
Martine Franck rentre en France avec des images douces, qui révèlent un œil attentif et emphatique, témoignant d’un intérêt profond pour l’être humain dans sa vie quotidienne. Ces premières images inscrivent d’emblée Martine Franck dans la veine de la photographie humaniste. Voyageuse, elle capture des fragments de cultures et d’ethnies entre Japon, Iran, Tibet ou Irlande du Nord.
Tout au long de sa carrière, Martine Franck s’intéresse aux communautés dites marginales et aux personnes isolées ; elle photographiera par exemple les foyers de l’Armée du Salut, les femmes en situation de précarité, les personnes âgées dans les hospices… Martine Franck développe ainsi un engagement humanitaire et féministe. En 1980, elle est l’une des rares femmes à intégrer l’agence de presse photographique Magnum, après Susan Meiselas notamment.

Tulku Khentrul Lodro Rabsel, 12 ans, avec son tuteur Lhagyel, monastère Shechen, Bodnath, Népal, 1966 © Martine Franck/Magnum Photos

Quartier de Byker, Newcastle upon Tyne, Royaume-Uni, 1977 © Martine Franck/Magnum Photos

Foyer de l’Armée du Salut, New York, 1979 © Martine Franck/Magnum Photos
Style et esthétique
Si l’œuvre de Franck est aussi remarquable, c’est également grâce à son souci marqué de la composition. La photographe prend l’habitude d’isoler un ou plusieurs personnages dans son cadre, un paysage ou une scène particulière. Les images qu’elle produit travaillent les formes, les courbes et lignes ondoyantes. C’est donc une caractéristique graphique que Martine Franck développe, et qui est d’autant plus renforcée par l’utilisation assidue du noir et blanc.
Dans l’exemple ci-dessous, la célèbre photographie de la piscine conçue par Alain Capeillères nous plonge dans un univers quasi cinématographique tant la composition de l’image est méticuleuse et équilibrée. Dans cette ambiance si singulière, digne du film de Jacques Deray (La Piscine, 1969), la photographe introduit un jeu de perspectives en capturant les personnages placés sur de multiples plans. Leurs points de vues sont tous mis en relation dans un triangle harmonieux et créent une interaction latente. Martine Franck nous invite ici à la contemplation d’une image au cadrage délicat et parfait.

Le Brusc, été 1976 © Martine Franck/Magnum Photos
Réception et postérité
Malgré son œuvre singulière, Franck détient aujourd’hui une place discrète dans le monde et l’histoire de la photographie qui accorde, par exemple, beaucoup plus de place à l’œuvre de son mari Henri Cartier-Bresson surnommé “l’oeil du siècle”. Le travail de Martine Franck reçoit parfois de sévères critiques : “C’est une photo bourgeoise en noir et blanc. Elle n’a pas le talent de toute cette génération d’hommes-photographes parmi lesquels on trouve malheureusement très peu de femmes.”, selon Fabrice Bousteau, ou encore : “Pour moi elle pêche par une mise en retrait dont elle est elle-même consciente, elle a photographié toute sa vie à l’ombre du grand arbre.” d’après Ingrid Luquet-Gad.
Pourtant, Martine Franck développe de vraies particularités, notamment dans son procédé de création et sa manière de photographier. En effet, à l’inverse de son mari, Martine Franck accorde une grande importance à l’acte même de photographier, au temps de pose et au lien créé avec le sujet photographié. Par exemple, à travers ses portraits, une vraie proximité et intimité se dessinent ; c’est là un espace-temps unique, le temps d’un échange précieux, révolu mais conservé à jamais par l’appareil de la photographe qui nous est donné à voir. C’est donc principalement avec son calme et sa méthodologie fine qu’elle se différencie de Cartier-Bresson, plus proche de la photographie de rue et théorisant “l’instant décisif” ou le “tir photographique”.

Maison de retraite, Ivry-sur-Seine, 1975 © Martine Franck/Magnum Photos © Centre Pompidou
Martine Franck est ainsi une artiste à l’œuvre juste et tendre, témoignant d’une grande empathie pour son prochain. Ses photographies aux compositions travaillées et élégantes, ou ses portraits intimes et profonds dévoilent une sensibilité unique. Sans-cesse ramenée à l’œuvre de son mari, Martine Franck est pourtant une artiste complète, complexe et singulière.

Plage, village de Puri, Inde, 1980 © Martine Franck/Magnum Photos
Les œuvres de Martine Franck sont aujourd’hui conservées au sein de la Fondation Henri Cartier-Bresson.
Marine Dorandeu
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